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Aide juridique : une loi discriminatoire et inéquitable

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François Leduc

2020-03-06 11:15:00

Même si les avocats arrivent en bout de piste à être mieux payés, il n’en demeure pas moins que la loi est inadéquate, selon cet avocat...

Alexandra Me François Leduc. Photo : Site Web du Réseau juridique du Québec
Alexandra Me François Leduc. Photo : Site Web du Réseau juridique du Québec
Les revendications des avocats de pratique privée pour une bonification des honoraires payés par l’État ne changeront rien au fait que la Loi sur l’aide juridique est discriminatoire.

Deux principes fondamentaux sont à l’origine de la Loi sur l’aide juridique parce qu’à l’époque il y avait des avocats « populaires » subordonnés à un employeur public à la défense des déshérités, sacrilège déontologique du moment selon le Barreau.

Premièrement, pour « équilibrer » ce socialisme de la profession juridique, il fallait permettre aux avocats de pratique privée d’accepter l’aide juridique en parallèle aux salariés de l’aide juridique. On imagine mal effectivement les organisations criminelles être représentées par des avocats à l’emploi du ministère de la Justice, l’antichambre du DPCP de l’époque.

Deuxièmement, garantir l’indépendance professionnelle des avocats pour éviter toute ingérence du gouvernement dans la relation client-avocat.

Or, ces deux principes ont été supprimés par les gouvernements successifs et sans opposition du Barreau. D’abord, en 1996, le gouvernement a aboli le recours à un avocat de pratique privée acceptant l’aide juridique pour les employés congédiés, comme si l’État abolissait l’avocat de pratique privée qui accepte des mandats en matière criminelle.

Puis en 2001, avec le consentement passif du Barreau, l’État a aboli les dispositions de l’entente sur l’aide juridique qui protégeait les libertés professionnelles des avocats de la pratique privée, mais non celle de la Chambre des notaires.

Un régime parallèle

En effet, comment concevoir que l’ex-premier ministre Lucien Bouchard en 1996 ait aboli le droit à l’aide juridique privée pour tout employé ayant perdu son emploi (article 4.11 dernier alinea de la Loi) et ainsi tuer toute l’expertise des avocats de pratique privée à l’échelle du Québec en matière de normes du travail, tout en décrétant la gratuité absolue des services d’un avocat à l’emploi de la Commission des normes du travail, financée par les employeurs à 100 %, pour représenter les salariés ayant perdu leur emploi? Une chose et son contraire.

Autrement dit, le gouvernement Bouchard a créé un régime d’aide juridique parallèle totalement gratuit sans tenir compte des revenus des salariés alors que pour le commun des mortels : locataires, petits propriétaires, consommateurs, mère monoparentale, accusé au criminel ou potentiel employé en faillite, la Loi d’aide juridique exige des personnes les plus vulnérables de la société qu’elles obéissent à un barème de revenus, par exemple 18 000 $ par année, qu’elles contribuent financièrement au paiement de leur avocat de pratique privée qui accepte l’aide juridique, par exemple jusqu’à 800 $ et que ces personnes remboursent à l’État le coût de l’aide juridique s’ils ont obtenu un gain financier au terme de leur procès.

À ce compte-là, l’aide juridique devrait être gratuite et universelle pour tous les services juridiques, peu importe le niveau de revenus des personnes admissibles puisque cette gracieuse gratuité existe en matière de normes du travail, surtout que les personnes qui en bénéficient sont souvent des personnes bien informées, scolarisées et plus fortunées.

Pénurie d’avocats en région

De plus, il existe une grave pénurie d’avocats indépendants dans toutes les régions capables de conseiller en amont des milliers de salariés non syndiqués aux prises avec des problèmes de contrat d’emploi à signer les yeux fermés, de clauses de non-concurrence, des mesures disciplinaires abusives et des indemnités de départ déraisonnables en cas de fin d’emploi. Et par expérience, ce n’est pas le préposé téléphonique à Longueuil qui va être capable de conseiller le salarié en panique.

C’est sans considérer le fait que la fusion de la Commission des normes du travail et de la CSST par le ministre libéral Sam Hamad fait en sorte que des prestataires d’accidents de travail subissent des filatures de la CNESST en cas de fraude et qui, une fois congédiés par leur employeur, ces mêmes employés pourraient paradoxalement être représentés gratuitement par la CNESST qui a causé le congédiement. Cocktail parfait du conflit d’intérêts.

Autre incongruité, le Barreau qui négocie la hausse des tarifs d’aide juridique pour les avocats de la pratique privée avait dès les origines de l’Entente avec le ministère de la Justice exigé que les avocats qui accepteraient l’aide juridique bénéficient de leur indépendance professionnelle afin d’éviter que l’État tout-puissant s’ingère à la manière des pays autoritaires dans l’exercice du mandat de l’avocat.

Cette indépendance professionnelle a été également supprimée de l’Entente entre le Barreau et le ministère de la Justice au cours de la négociation de 2001 sous le gouvernement Bouchard-Landry. Cela explique aussi la revendication des avocats salariés de l’État qui ont fait la grève en 2017 pour voir inscrire l’indépendance professionnelle dans leur convention collective, en vain évidemment.

Avant de confier un mandat pro-bono à l’ex-premier ministre Lucien Bouchard pour négocier de nouveaux tarifs, le Barreau devrait d’urgence exiger une refonte en profondeur de la loi d’aide juridique afin que logiquement la gratuité soit absolue et universelle sans distinction de service, soit que la Loi d’aide juridique s’applique à ceux qui y ont absolument droit et que l’argent ainsi récupéré de la CNESST soit versé au régime d’aide juridique pour bonifier les graves retards dans la rémunération des avocats de pratique privée et des avocats salariés de l’aide juridique et hausser les seuils d’admissibilité.

Sinon, il faudra qu’on nous explique cette disparité de traitement et pourquoi l’accusé ou le consommateur économiquement défavorisé doit payer une partie des honoraires et même rembourser la totalité des honoraires en cas de succès tandis que le salarié ayant perdu son emploi, mais qui en a retrouvé un nouveau à 75 000 $ par année n’a rien à payer.

C’est une question d’équité et de justice pour les plus vulnérables de la société.

Sur l’auteur
François Leduc est avocat spécialisé en droit du travail.
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