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« Dis son nom » : des centaines de noms disparaissent

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Radio -canada

2021-04-09 13:15:00

Les instigatrices du mouvement ont réduit du 2/3 la liste de dénonciation, quelques semaines après un jugement de la Cour supérieure…

Photo : Facebook
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La liste diffusée sur les médias sociaux par le groupe Dis son nom a été élaguée par ses instigatrices, passant de 1553 à 589 noms de prétendus agresseurs. Cette réduction a eu lieu quelques semaines après qu’un jugement, porté depuis en appel, eut exigé de remettre toutes les dénonciations reçues.

Radio-Canada a contacté plusieurs hommes ayant vu leur nom effacé de la liste. Tous ont demandé l’anonymat. Ils sont unanimes : il s'agit d'un réel soulagement pour eux.

« C’est la fin de l’épée de Damoclès qui peut te tomber dessus n’importe quand! », selon Roger, dont le nom était inscrit sur la liste.

Roger (nom fictif) est soulagé, mais pas complètement libéré. Oeuvrant auprès d’une clientèle jeunesse, il dit vivre avec la peur d’être présenté comme un agresseur, ne sachant toujours pas ce qu’on lui reproche. Il dit avoir vécu une rupture amoureuse et un arrêt de travail qu’il attribue en partie à la présence de son nom sur cette liste.

Albert travaille dans le domaine des communications. « Pour lui, c’est trop peu, trop tard. »

« Cela n’effacera pas le choc violent de se retrouver sur cette liste », signale Albert.

Après cet épisode, Albert dit avoir suivi une thérapie entre autres pour analyser sa relation avec les femmes. Lui non plus n’a jamais su ce qu’on lui reprochait.

Les répercussions de la diffusion de cette liste sont diverses, passant de la perte d’amitié à la dépression, jusqu'à des problèmes d’employabilité.

C’est le cas d’Éric que son employeur a mis à l’écart pour certaines tâches plus politiques, évitant ainsi de le mettre à l'avant-plan. Il dit accepter ce choix, mais s’inquiéter tout de même lors de nouvelles rencontres. Cette personne aura-t-elle vu la liste?

Malgré tout, les trois hommes ne sont pas insensibles au besoin des victimes de violences sexuelles de parler.

« Il faut trouver une manière que les victimes puissent s’exprimer et trouver une façon pour que les agressions arrêtent », ajoute Roger.

Éric dit comprendre la volonté des victimes d’utiliser les médias sociaux et cite en exemple les procès d’Éric Salvail et Gilbert Rozon, acquittés en Cour. Cependant, il croit que seulement balancer des noms anonymement sur les médias sociaux ne réglera pas les problèmes de violences sexuelles. « Il faut qu’il y ait un processus après », affirme-t-il.

Pourquoi raccourcir la liste?

Cet élagage survient dans la foulée de la décision de la juge Katheryne A. Desfossés, de la Cour supérieure du Québec, dans la poursuite en diffamation opposant Jean-François Marquis aux instigatrices de Dis son nom. Le jugement, porté en appel, exige de révéler l'identité de la deuxième administratrice, A. A., en plus de remettre toutes les « dénonciations reçues par les défenderesses jusqu’au mois d’août 2020, en caviardant les noms des victimes alléguées de même que les noms des personnes dénoncées, mais non inclus à la liste ».

L’avocate représentant Dis son nom, Me Virginie Dufresne-Lemire, a refusé de commenter la disparition des noms sur la liste en prétextant le litige devant les tribunaux.

Pour l’avocat de Jean-François Marquis, Me Pierre-Hugues Miller, la réduction de la liste démontre, comme l’avance la poursuite, que les instigatrices de Dis son nom, « contrairement à ce qu’elles ont dit dans les procédures judiciaires, n’avaient pas de dénonciation pour chacune des victimes alléguées ».

De son côté, Me Dufresne-Lemire dit que les victimes dont l’agresseur présumé ne se retrouve plus sur la liste peuvent communiquer avec Dis son nom par l'entremise de la page Facebook. « Il est toujours possible de faire une dénonciation, le site est fonctionnel », ajoute-t-elle.

Protéger les victimes

En demandant de divulguer toutes les dénonciations que la page a reçues, la juge Desfossés n'accorde pas d’office le droit à l’anonymat des victimes, explique l’avocate Marie Cossette. Bien que les noms soient caviardés, l’identité des victimes pourrait être révélée par le récit de leur dénonciation.

Dans un tel contexte, « il est possible d’imaginer qu’on ait voulu prêcher par davantage de prudence » en effaçant les noms des agresseurs présumés pour ne pas que les victimes aient à se dévoiler. C’est d’ailleurs l’un des enjeux de la demande d’appel de l’avocate Virginie Dufresne-Lemire.

« À la lumière du jugement, [les instigatrices de la page] ne pouvaient pas garantir l’anonymat des victimes et peut-être qu’au départ elles l’avaient proposé comme ça », avance Marie Cossette, avocate associée au cabinet Norton Rose Fulbright.

De leur côté, les procureurs au dossier tenteront de savoir pourquoi les noms ont été retirés de la liste, fait remarquer Me Cossette. « Qu’est-ce qu’il y avait au départ pour soutenir la présence de ces noms-là? Ils voudront tenter d’établir le sérieux de la démarche de Dis son nom. »

« Aujourd’hui, les noms sont retirés sans autres explications, on peut imaginer que ces personnes-là vont [réfléchir] à savoir s’ils [sic] ont aussi matière à instituer des recours », toujours selon Me Cossette.

Me Pierre-Hugues Miller affirme avoir déjà reçu des demandes en ce sens. Il ne faut pas oublier, rappelle Me Cossette, que le fardeau de la preuve est très difficile à démontrer dans le cas de procédures en diffamation.

Combattre les violences sexuelles

Le retrait des noms prouve, selon la professeure de sociologie du genre à l’UQAM, Stéphanie Pache, que les victimes ont pris conscience des risques qu’elles courent à dénoncer sur les médias sociaux.

« Ça rappelle qu’on ne peut pas faire de dénonciation anonyme dans la sphère publique », indique-t-elle.

Le partage des témoignages est indispensable au mouvement pour prendre conscience de l’étendue du problème, soutient Stéphanie Pache.

Seulement, le système de justice actuel traite de cas individuels, et tous ont droit à une défense pleine et entière. Or, l’enjeu des violences sexuelles est collectif. Selon Mme Pache, le mouvement des dénonciations anonymes n’aide pas à freiner les violences sexuelles.

« On demande à des personnes de prendre leurs responsabilités pour le harcèlement et les violences qu’ils ont [présumément] commis, mais soi-même on se cache derrière l’anonymat », mentionne Mme Pache.

La demande de la permission d'interjeter appel a été entendue devant la Cour. Une décision écrite du juge Frédéric Bachand sera divulguée dans les prochains jours.
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