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Le parcours fascinant du juge à la rose

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Dominique Fortier

2021-04-23 15:00:00

Il n'est pas fréquent qu'un avocat accède au poste de juge. C'est encore plus rare pour un natif de Matane de décrocher un tel emploi. C'est pourtant l'histoire de ce magistrat…

Maintenant retraité, le juge Marc Gagnon s'est découvert une passion pour les arts.
Maintenant retraité, le juge Marc Gagnon s'est découvert une passion pour les arts.
Marc Gagnon est né le 10 avril dans la maison familiale sur la rue Desjardins en pleine tempête à Matane. C'est son père qui était médecin qui a accompagné sa mère pendant l'accouchement. D'ailleurs, ils étaient plusieurs à pratiquer la médecine dans la famille Gagnon, soit son père, son grand-père, des oncles et des cousins. Le petit Marc n'était donc pas prédestiné à faire carrière en droit.

« Mon père avait son cabinet à la maison, ce qui signifiait que les enfants devaient faire silence pratiquement tout le temps. C'est pourquoi je suis devenu pensionnaire dès l'âge de six ans. Quand je suis revenu, j'étais devenu avocat, ce qui n'a pas plu à la famille », raconte-t-il en riant.

C'est en 1967 que Marc Gagnon est devenu officiellement avocat après avoir complété ses études à Québec, Ottawa puis à Montréal.

« C'était à l'époque où le gouvernement canadien débattait sur le choix du drapeau. J'avais mes cours universitaires en avant-midi et je passais le reste de la journée au Parlement pour suivre les débats. Ça m'a beaucoup rapproché de la politique canadienne », explique-t-il.

Après avoir passé son barreau, Marc Gagnon est revenu dans sa ville d'origine. Toutefois, comme ils étaient plusieurs à pratiquer le droit à Matane, l'avocat a plutôt opté pour Amqui en début de carrière.

« J'ai été rencontré un certain Me Dionne qui était aussi Procureur de la Couronne. Il m'a accueilli tel un père et m'a offert toute sa pratique privée puisqu'il avait amplement d'ouvrage avec la Couronne. C'était l'époque où les avocats pouvaient faire les deux carrières parallèlement. »

Me Marc Gagnon a donc ouvert son bureau à Amqui avant d'être invité un an plus tard par Kenneth Gagné à s'associer avec lui au bureau de Matane. Il a accepté à la seule condition que le cabinet d'Amqui reste ouvert. L'avocat matanais a donc partagé son temps entre les deux bureaux pendant pratiquement toute sa pratique. Il a aussi été bâtonnier de l'Est-du-Québec, soit la plus haute distinction pour un avocat dans son ordre professionnel.

L'honorable Marc Gagnon

C'est finalement en 1984 à Rimouski que Marc Gagnon a été assermenté juge après une attente de près de deux ans même si le poste avait été officiellement affiché. À l'époque, Marc Gagnon est affiché comme étant un libéral qui avait notamment été président du comité régional du « Non » lors du référendum de 1980. C'était donc toute une surprise lorsque le ministre péquiste de la Justice de l'époque, Marc-André Bédard, l'a appelé pour lui proposer le poste.

« La première chose qu'il m'a demandé c'est si le poste m'intéressait toujours après tout ce temps! Ce que j'ai su par la suite, c'est que le camp du "oui" m'avait bien aimé malgré nos divergences politiques. J'avais laissé un souvenir qui n'était pas mauvais puisque nous réussissions à nous parler pour régler des incidents. Nous avions des relations respectueuses. »

Le juge Gagnon a donc présidé des audiences à Rimouski jusqu'à la retraite du juge Charles Quimper six ans plus tard. On lui a alors proposé de revenir à Matane, ce qu'il accepta avec grand plaisir. C'était donc un retour aux sources pour le magistrat qui avait enfin l'occasion d'exercer sa nouvelle fonction dans sa ville natale.

Le juge à la rose

Être juge vient avec son lot de responsabilités et de contraintes à commencer par couper tous les liens avec des organismes ou associations. Pas question de siéger sur quelconque comité, de faire partie d'un club social et encore moins de participer à des activités politiques partisanes. Il faut également faire preuve de beaucoup de retenue dans les contacts personnels. D'ailleurs, étant natif de Matane, le juge Gagnon n'a jamais hésité à se récuser lorsqu'il se retrouvait devant un accusé qu'il connaissait.

Pendant le temps des Fêtes, Marc Gagnon et sa conjointe s'offrent plusieurs dizaines de livres à dévorer pendant l'année.
Pendant le temps des Fêtes, Marc Gagnon et sa conjointe s'offrent plusieurs dizaines de livres à dévorer pendant l'année.
D'ailleurs, au cours de ses 26 ans comme juge, Marc Gagnon a entendu une grande variété de causes qui avaient toutes leur lot de particularités, certaines étant plus difficiles à entendre que d'autres. Il se rappelle de celle d'un aspirant hockeyeur qui avait été mortellement happé par un camionneur ou encore, un enseignant accusé d'avoir agressé sexuellement une dizaine de jeunes filles. Deux causes qui avaient été particulièrement éprouvantes.

À un certain moment donné, après avoir acquis une certaine notoriété sur le banc, Marc Gagnon s'est permis certaines libertés comme le prévoit le code criminel.

« Lorsque vient le temps d'imposer des sentences, il est indiqué que les juges ont la discrétion d'imposer toute condition qui leur parait raisonnable en fonction du crime commis. Par exemple, j'avais des cas où le mari voulait quitter la maison et sa femme lui bloquait le chemin alors il la poussait. C'était considéré comme une voie de fait. Mais devant moi, même l'épouse demandait à ce que la sentence ne soit pas trop sévère. Alors, parmi les conditions de libération qui incluaient évidemment, toutes les conditions habituelles, comme garder une bonne conduite, ne pas consommer d'alcool et autres, j'ajoutais que le mari devait offrir une rose à sa femme. Et ça devait être fait et prouvé par un reçu présenté au greffe du Palais de justice. »

Cette petite « fantaisie » qu'il a répété plusieurs fois au cours de sa carrière lui a valu la réputation du juge à la rose qui s'est même rendue jusqu'à Montréal.

« Jean-Luc Mongrain avait parlé de moi à son émission. Il ne m'aimait pas beaucoup. Il trouvait que c'était une sentence ridicule et épouvantable pour de la violence conjugale. Évidemment, il n'avait pas été informé de toutes les autres conditions imposées au dossier de l'accusé », se rappelle-t-il en riant. Certains accusés ont même dû offrir une rose par mois à leur conjointe pendant un an. « À un certain moment donné, une association féministe de Rivière-du-Loup avait protesté fortement contre cette mesure. J'avais donc condamné un des accusés à leur envoyer un très gros bouquet de fleurs. Étrangement, ils n'ont jamais accusé réception. »

D'autres sentences particulières ont été prononcées par le juge Gagnon comme l'obligation pour des jeunes vandales matanais d'assister aux séances du conseil municipal pendant un an afin de comprendre la portée financière de leurs gestes et d'effectuer leurs travaux communautaires au Parc des Îles, là où leurs méfaits avaient été commis. Un autre accusé qui s'était retrouvé devant la justice avait pu parmi ses conditions imposées de devoir prendre une marche par jour afin de lui changer les idées au lieu de passer tout son temps dans son sous-sol devant un écran. Un autre avait été condamné à faire du ski de fond. Dans un cas comme dans l'autre, l'idée en était une de justice alternative qui pouvait amener l'individu à réfléchir et à réaliser la portée de ses gestes.

Au-delà de ces causes, une en particulier est toujours restée dans la tête du magistrat.

« C'était un jeune homme dans le début de la vingtaine qui avait omis de se présenter à la Cour. Il était accusé de possession simple de marijuana. Un mandat avait été émis contre lui et il avait été arrêté à Montréal puis ramené à Matane. Le transport avait pris deux semaines en raison des nombreux arrêts aux différents établissements carcéraux. Finalement, au moment de comparaitre devant moi, il avait déjà fait deux semaines de prison. »

Lors de l'audience, le juge lui a demandé pourquoi il ne s'était pas présenté, ce à quoi le jeune homme a répondu qu'il avait la frousse de se retrouver en taule. « C'est là que j'ai entendu la plus belle plaidoirie de ma carrière. Il m'a raconté comment il avait été abandonné par son père alors que sa mère était institutionalisée. Il a vécu dans différents foyers à l'adolescence puis quelques années plus tard, il s'était alors rendu à la nouvelle demeure de son père sur le pouce afin de ne pas être seul pour Noël. Il s'était fait fermer la porte au nez. Triste et malheureux, il avait fumé du pot et s'était fait prendre », raconte le juge, avec encore de vives émotions. La cause a finalement été réglée en quelques instants puis le jeune homme a été libéré.

Une retraite bien méritée

Quelques années avant de prendre officiellement sa retraite, sa conjointe Bernadette et lui ont décidé de se payer des « études de luxe » à l'Université de la Sorbonne à Paris pendant un an où ils ont étudié la philosophie, la littérature, l'histoire et la théologie. Même s'ils avaient des cours quotidiennement, c'était une bonne préparation à la retraite.

Puis, après 26 ans à siéger comme juge, Marc Gagnon a décidé d'accrocher sa toge, fermant ainsi le livre sur un chapitre important de sa vie. Avant de quitter, on lui remit la médaille du juge de l'année à la Cour du Québec pour son immense contribution à la publication Le Praetor, un journal pour les juges qu'il a conçu et longtemps édité.

Aujourd'hui, l'honorable Matanais passe une partie de son temps à s'occuper de son vaste terrain où il effectue son propre débroussaillage. Outre le terrain, le juge à la retraite s'est développé une autre passion, soit la réalisation de tableaux en bas-relief inspirés notamment par Claude Picher et même Réjean Ducharme. Il en compte une cinquantaine à son actif.
L'entrevue est ajournée, votre honneur!

Dominique Fortier est journaliste et chef de contenu de L’Avantage gaspésien et de L’Avant poste.

Cet article est d’abord paru à L’Avantage gaspésien.
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