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Une fausse avocate aurait berné le Commissaire à l’éthique

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Jean-francois Parent

2022-03-16 15:00:00

Faux diplôme de droit, mensonges, utilisation de fonds publics à des fins personnelles... Une décision du TAT lève le voile sur un moment difficile pour un député de l’Assemblée nationale.

L’ex-caquiste Claude Surprenant. Source: Wikipedia
L’ex-caquiste Claude Surprenant. Source: Wikipedia
Objet d’un vote de réprimande par l’Assemblée nationale en 2017 pour en avoir enfreint le code d’éthique, l’ex-caquiste Claude Surprenant a toujours soutenu avoir été victime d’employés mal intentionnés.

Les allégations d’au moins une de ces employés, Julie Nadeau, reprises dans le rapport du Commissaire à l’éthique et à la déontologie de l’époque, Jacques Saint-Laurent, auraient permis à ce dernier de conclure en décembre 2017 à des fautes éthiques de la part de Claude Surprenant. Député de Groulx de 2014 à 2017 sous les couleurs de la CAQ, il a terminé son mandat en 2018 comme indépendant, suite à son exclusion du caucus caquiste.

Allégations mensongères

Or, des procédures entamées devant le Tribunal administratif du travail depuis 2018 ont conclu, le 23 février dernier, que Julie Nadeau est tout sauf crédible. Le hic, c’est que son témoignage devant le TAT comportait l’essentiel des allégations faites au Commissaire à l’éthique en 2017, qui a ensuite blâmé Claude Surprenant.

« Ce n’est pas banal. Les mensonges constatés par le TAT portent sur des faits qu’elle (Julie Nadeau) a rapporté au Commissaire à l’éthique à l’époque », et qui ont influencé son rapport, déplore Me Pierre Paquin, du cabinet Prévost Fortin D’Aoust, à Boisbriand, qui représente Claude Surprenant devant l’instance administrative. Il était jusqu’en janvier associé chez Hébert Miller Avocats, de Laval.

Julie Nadeau se représentait seule, et a perdu sa cause devant le TAT. À Droit-Inc., elle déplore n’avoir eu accès à toute la preuve que tard dans le processus.

« Je sais qu’on ne m’a pas crue, et j’ai de la difficulté à expliquer toute la confusion qui entoure tous les événements, mais le fait est que pour les employés des bureaux de circonscription, on a commis beaucoup d’erreurs dans les premiers mois et je n’ai pas été capable de bien documenter ma défense car je n’ai jamais eu accès à tous les documents », se défend-elle.

Me Pierre Paquin. Source: Site web de Hébert Miller Avocats
Me Pierre Paquin. Source: Site web de Hébert Miller Avocats
Elle contestait son congédiement pour fautes graves par Claude Surprenant, qui l’accusait notamment d’avoir traficoté la comptabilité du bureau de comté, d’avoir menti à au moins un fournisseur et de s’être fait des chèques à elle-même, tirés à même le compte bancaire du bureau de comté. Elle a été congédiée en 2016, l’année précédant l’ouverture de l’enquête par le commissaire à l’éthique menée contre Claude Surprenant en 2017.

Julie Nadeau était l’un des principaux témoins à charge du commissaire lors son l’enquête.

Cette dernière nie ainsi devant le TAT qu’elle aurait émis des chèques à son nom totalisant 9 194,54 dollars à même la caisse du comté de Groulx. Sauf qu’un rapport juricomptable admis en preuve par le TAT évoque 23 transactions irrégulières, imputables à Mme Nadeau. La plupart sont des chèques faits à son nom, par elle-même.

Lors de l’enquête du commissaire à l’éthique, Julie Nadeau aurait imputé ces irrégularités comptables à l’ex-député de Groulx.

« Je ne comprends pas comment on peut dire que j’ai volé. Le Commissaire à l’éthique qui a eu accès à toute la documentation a bien vu que ça ne fonctionnait pas », explique-t-elle à Droit-Inc.

Elle évoque la grande difficulté tant pour elle que pour Claude Surprenant de bien naviguer toutes les balises et les exceptions qui rendaient le travail de bureau difficile, signalant la rigidité du système utilisé par l’Assemblée nationale qui explique en grande partie les irrégularités soulevées par le TAT.

« Claude Surprenant était toujours là pour signer les chèques, il est impossible que je me sois fait des chèques moi-même. »

Un faux diplôme de droit

Les choses se corsent pour Julie Nadeau lorsque le TAT tente d’établir sa crédibilité en faisant le point sur sa formation universitaire. Lors de son embauche par Claude Surprenant, Julie Nadeau affirme être avocate, pour ensuite affirmer avoir seulement terminé son baccalauréat en droit.

« Questionnée en audience (...), la plaignante affirme devant le Tribunal être titulaire d’un bac en droit et ajoute qu’il lui manque deux crédits pour obtenir sa maîtrise en droit administratif. » Elle soumet donc son « diplôme » à Claude Surprenant lors de son embauche. Le TAT le produit, et elle le reconnaît.

Il s’agit d’un faux.

« En audience, (Julie Nadeau) est confrontée à une lettre de l’Université Laval qui confirme n’avoir jamais délivré ce diplôme ainsi qu’au fait que celui-ci comporte des fautes d’orthographe. La plaignante se montre d’abord étonnée et maintient l’avoir obtenu. Plus tard en cours d’audience, la plaignante admet qu’elle n’a jamais obtenu un diplôme en droit et qu’il s’agit d’un faux », peut-on lire dans la décision du TAT.

Tergiversations diverses

S’ensuit une litanie d’explications sur le fait qu’elle a bien étudié en droit, soutenant « avoir obtenu un bac par cumul en précisant que « ''dans sa tête'' », il s’agissait d’un bac en droit ».

Au final, le TAT découvre qu’elle a été exclue une première fois du programme de droit après deux sessions, et qu’elle a ensuite échoué ses cours lors d’une deuxième tentative. Pour expliquer son faux diplôme, « c’est son ex-conjoint qui le lui a fourni et qui l’a accroché au mur de son bureau, ce qui lui a fait croire qu’elle l’avait vraiment obtenu ».

« C’est très grave, on parle de fabrication et usage de faux, ce qui est une infraction criminelle, s’insurge Me Paquin. D’ailleurs, elle s’est présentée comme avocate au commissaire à l’éthique », signale-t-il.

L’actuelle commissaire à l’éthique et à la déontologie, Ariane Mignolet. Source: Site web de la commissaire à l’éthique et à la déontologie
L’actuelle commissaire à l’éthique et à la déontologie, Ariane Mignolet. Source: Site web de la commissaire à l’éthique et à la déontologie
Révision demandée

Armé de la décision du TAT, qui selon lui invalide en partie le rapport qui lui a valu une réprimande, Claude Surprenant espère surtout qu’on acceptera de réviser son cas. « J’estime que les agissements de mon ex-employée m’ont porté préjudice et ont eu un impact important sur le ton du rapport ainsi que ses conclusions », explique-t-il à Droit-Inc.

Julie Nadeau s’explique mal pourquoi son cas serait central à de dossier, puisqu’elle n’était pas la seule à témoigner, et a surtout dénoncé les embauches partisanes.

Claude Surprenant ne nie pas avoir manqué de jugement et reconnaît ses fautes. Mais il trouve injuste d’avoir été le seul de neuf députés sous enquête à l’époque à subir ce traitement, alors qu’une portion importante du rapport sur ses actions semble influencée par des mensonges, et voir tous les députés voter pour le réprimander.

Ce qu’avait d’ailleurs dénoncé l’ex député de Québec Solidaire Amir Khadir, dont le parti avait refusé de voter la réprimande. En conférence de presse suivant le vote, M. Khadir disait avoir refusé de faire de Claude Surprenant un bouc émissaire. « M. Surprenant a manqué de jugement, (...) Je suis d’accord, il y a un blâme à faire. (Mais) il y a une démesure là-dedans qui traduit une telle injustice (…) et donc nous trouvions tout à fait injuste (…) de faire de Claude Surprenant le bouc émissaire des problèmes de tout le monde. »

Un processus perfectible

« M. Surprenant ne cherche pas à blâmer le commissaire à l’éthique, ajoute son avocat Pierre Paquin. Ce qu’on soulève, c’est qu’à l’heure des réseaux sociaux, où les condamnations sont rapides et faciles, peut-être que le processus est perfectible : le commissaire rédige son rapport sur la base de mensonges, et ensuite on vote sur ce rapport selon des lignes partisanes. »

Claude Surprenanttenterait donc de voir avec la commissaire à l’éthique, et ses anciens collègues, si une révision de son dossier est possible, selon Me Paquin, qui n’est pas partie à ces démarches.

Au bureau de l’actuelle commissaire à l’éthique et à la déontologie, Ariane Mignolet, on préfère s’abstenir de commenter. « Le rapport d'enquête au sujet de monsieur Claude Surprenant a été déposé à l'Assemblée nationale et adopté par celle-ci. Comme c'est le cas pour tout rapport d'enquête, le Commissaire à l'éthique et à la déontologie ne peut commenter une situation particulière, notamment en raison de la confidentialité requise par le ''Code d'éthique et de déontologie des membres de l'Assemblée nationale'' », indique la porte-parole Anne-Sophie St-Gelais.
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