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Pour en finir avec les stages non rémunérés

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Jérôme Desrosiers

2022-06-27 11:15:00

Un étudiant en droit dénonce l’iniquité qui existe à l’endroit des étudiants qui effectuent un stage dans le cadre de leurs études…

Jérôme Desrosiers, l’auteur de cet article. Source: Courtoisie
Jérôme Desrosiers, l’auteur de cet article. Source: Courtoisie
En ce moment, la Loi sur les normes du travail ne s’applique pas à un étudiant ou une étudiante qui « travaille au cours de l’année scolaire dans un établissement choisi par un établissement d’enseignement et en vertu d’un programme d’initiation au travail approuvé par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport ou par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie ».

En 2021, une cause fort intéressante a été gagnée par un groupe d’étudiants et étudiantes qui exerçaient des emplois d’été, mais qui n’avaient pas droit à la même rétribution salariale que les autres salariés de l’entreprise.

En fait, il s’agissait de l’affaire Commissions des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Aluminerie de Bécancour Inc.1, où la juge Lewis, du Tribunal des droits de la personne, a déclaré que le fait de moins rémunérer des étudiants – parce qu’ils sont précisément étudiants – était une distinction illégale, basée sur une condition sociale. Cette distinction porte atteinte au droit à la dignité des étudiants et étudiantes, du fait qu’elle ne respecte pas leur droit à un salaire équivalent pour un travail équivalent. Enfin, le Tribunal a obligé l’Aluminerie à payer une indemnité de 1000 dollars à chaque étudiant pour dommage moral subi en raison de pareil préjudice discriminatoire.

Ce que nous voulons soulever ici, c’est l’iniquité qui existe à l’endroit des étudiants et étudiantes qui effectuent un stage dans le cadre de leurs études. Nous arguons essentiellement qu’il n’y a aucune raison de ne pas les payer pour le travail qu’ils accomplissent.

Dans le cas des stages actuellement non rémunérés, il existe plusieurs arguments favorables à l’octroi d’une rémunération à la fois minimale et raisonnable. Tout d’abord, soulignons l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, qui est la pierre angulaire des cas de discrimination couverts par cette charte. En vertu de cet article, le demandeur (ou la victime) se doit de prouver qu’il y a eu une « distinction, exclusion ou préférence », fondée sur un motif explicitement prohibé – dont la condition sociale – et ayant pour « effet de détruire ou compromettre » les droits et libertés.

Il est établi que les étudiants et étudiantes ont une condition sociale particulière. Donc, ils forment un groupe social particulier dans l’État québécois. Malgré tout, comme le disent Dominique Bélanger et Pierre Lanthier, deux juges du Tribunal administratif du Québec: « il existe dans la société québécoise une idée que la main-d’œuvre étudiante est une main-d’œuvre bon marché »2.

De plus, malgré le fait que la perpétuation de stéréotypes ou de préjugés ne soit pas un critère fondamental pour l’analyse d’un cas de discrimination selon l’article 10 de la Charte québécoise, le législateur a présenté plusieurs stéréotypes comme indices afin d’en aider l’analyse. Entre autres stéréotypes, il y a celui voulant qu’il ne soit pas nécessaire de payer des étudiants autant que les employés « ordinaires », car ceux-ci n’ont pas d’obligations ou de responsabilités et que leurs compétences ne sont pas aussi bonnes que celles des « vrais » salariés.

Du reste, si les employeurs ne les embauchaient pas, personne ne les prendrait, donc un salaire moindre est meilleur qu’aucun salaire. Il est légitime de se demander si les étudiants et étudiantes dans les stages non rémunérés font l’objet du même genre de stéréotypes.

Finalement, l’article 19 de la Charte québécoise est tout autant intéressant puisque c’est l’article qui prône l’équité salariale. Il repose sur un concept d’équivalence. La doctrine se montre très favorable aux étudiants et étudiantes. Notamment, selon Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, « (s)i la règle qui s’applique au salaire est celle de l’égalité, le critère qui s’applique au point de comparaison, le travail, en est un d’équivalence seulement: il n’est pas nécessaire qu’il s’agisse du même travail ou d’un travail tout à fait éga ». Cet argument est intéressant puisqu’il repose sur l’idée voulant qu’il puisse y avoir une équité salariale malgré qu’il y ait une certaine divergence entre deux emplois similaires. Si l’on prend l’exemple d’une étudiante en soins infirmiers, est-ce que son travail est si différent de celui d’une infirmière « ordinaire » que l’on puisse justifier le fait que son stage soit non rémunéré?

La pandémie a permis de mettre en lumière les différentes failles dans notre système de santé. S’il y a une chose de primordial qui a été établie, c’est bien le manque d’infirmiers et infirmières, que ce soit des préposées aux bénéficiaires, infirmières auxiliaires, etc. Ceci est vrai pour le milieu de la santé, mais les réalités sont tout à fait similaires pour les futurs professeurs ou les étudiants œuvrant dans le milieu des services sociaux. Il semble logique que de soutenir que, si le gouvernement provincial voulait vraiment promouvoir et encourager des jeunes à s’inscrire dans ces milieux, il faille leur offrir des stages payants tout au long de leurs études.

Nous insistons donc pour que la Loi sur les normes de travail soit modifiée afin que les stages soient dûment rémunérés. C’est, nous semble-t-il, une simple question de justice et d’équité. De fait, tout travail mérite une rétribution financière. À travail égal, salaire égal, a-t-on l’habitude de dire. Cela s’applique également aux étudiants et étudiantes

À propos de l’auteur

Jérôme Desrosiers, étudiant en droit à l'Université d'Ottawa ; MBA Gestion des PME et Entrepreneuriat, l’Université Laval ; B.S. Finance, Comptabilité et Économie, Wingate University.


#2018 QCTDP 12.
#Jugement entrepris, paragr. 331; George c. Fonds d’aide aux recours collectifs, (2002) T.A.Q. 637, 2002 CanLII 55213, paragr. 92 (T.A.Q.).
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12 commentaires

  1. Luc
    Génération qui a tout cuit dans le bec
    Ecoutez les jeunes, quand j'étais stagiaire René-Lévesque était encore au pouvoir. Dans mes 35+ ans de carrière, je n'ai jamais payé mes stagiaires. Je constate la piètre qualité des stagiaires depuis quelques années. Si ça continue, va falloir que mes stagiaires me payent pour que leur temps soit rentable! A leur place, j'arrêterais de chialer et je remercierais les maîtres qui me donnent accès a la profession.

  2. G.
    Vraiment ?
    A mon très cher confrère qui prétend que les stagiaires sont aujourd’hui de piètre qualité: si la façon dont vous traitez vos stagiaires est le reflet de vos propos des années 50, il n’est pas surprenant que vous n’attirez pas meilleurs candidats au sein de votre cabinet. Et je suis en total désaccord: il y a de très bons étudiants et les payer est à mon avis la moindre des choses. Je paye mes étudiants. Ils travaillent fort. Ils apprennent. Ils connaissent les exigences du cabinet. Ils me réfèrent de bons confrères de classe les années suivantes. Je ne vois pas pourquoi en 2022 il en serait autrement même si c’est légalement permis (moralement c’est discutable). La Loi n’a pas été amendée depuis déjà trop longtemps. Allez rejoindre René-Lévesque et cessez de dénigrer la relève.

  3. Publius
    Publius
    il y a un an
    Quelle surprise
    Peut-être que si vous commenciez à payer vos stagiaire:

    1. Vous recevriez de meilleures candidatures;

    2. Vos stagiaires se donneraient le cœur à l'ouvrage plutôt que de faire du travail bénévole à votre seul bénéfice financier.

    Je dis ça, je dis rien.

  4. Anonyme
    Anonyme
    il y a un an
    Amen !
    Dieu vous entende ! (et aussi les instances du Barreau, qui voient d'un mauvais oeil le stage non-rémunéré).

  5. Anonyme
    Anonyme
    il y a un an
    Mentalité de mononcle.
    C'est probablement vous le problème. Si vous ne savez pas sélectionnez un stagiaire après 35 ans de carrière, vous avez de quoi vous reprocher. Ben oui, travailler gratuitement et vous vous remplissez les poches sur le dos des autres.

  6. Anonyme
    Anonyme
    il y a un an
    Comique
    Peut-être que le fait que tu ne rémunères pas tes stagiaires est lié àl la piètre qualité de tes stagiaires. Personnellement, je préfère payer et attirer les meilleurs mais en même temps je n’ai probablement pas autant de temps que toi à perdre.

  7. Anonyme
    Anonyme
    il y a un an
    sauf que
    Beau principe, mais dans les faits, les stagiaires obtiennent une formation en guise de paiement.

    Je comprends que ce n'est possiblement pas suffisant pour un stage de 6 mois, notamment celui qui mène au titre d'avocat.

    Mais dans bien des cas où le stage est plus court, la formation est effectivement la priorité. S'il faut en plus payer les stagiaires, les entreprises vont cesser d'offrir ces stages.

  8. Anonyme
    Anonyme
    il y a un an
    Champion du jour
    Arrêtez dont d’étaler votre vomissure sur la “génération” de telle sorte!

    “Dans votre temps”, l’essence n’était pas 2$/litre, ça ne vous prenait pas 35 000.00$ de mise de fond pour espérer “peut-être” pouvoir acheter une maison. L’éducation était gratuite. Même la Bologne est pas achetable pour quelqu’un sous le seuil de la pauvreté.

    Vous savez très bien que la raison que vous prenez des stagiaires c’est que ça vous fait économiser des salaires.

    Votre commentaire méprisant dévoile tout à fait ce que cet article dénonce, on comprend bien que le sens “académique”, c’est le prétexte confortant

  9. Anonyme
    Anonyme
    il y a un an
    Avocat
    Ok Boomer.

  10. Maurisse
    Maurisse
    il y a un an
    Peut-être
    "Dans mes 35+ ans de carrière, je n'ai jamais payé mes stagiaires. Je constate la piètre qualité des stagiaires depuis quelques années."

    Ceci explique cela.

    Si vous ne payez pas, il ne faut pas s'attendre à ce que les meilleurs aillent cogner à votre porte, non?

  11. Anonyme
    Anonyme
    il y a un an
    Boomer alert
    Le titre dit tout.

  12. Anonyme
    Anonyme
    il y a un an
    Boomer
    La génération qui a tout cru dans le bec, c'est la génération des boomers.

    En plus d'avoir créé un système de santé qui siphonne les jeunes générations, plusieurs boomers facturent trop pour leur véritable valeur, se contenant de justifier leur salaire grâce à leur bedaine et leurs cheveux blancs.

    En plus, vous avez probablement des compétences informatiques nettement inférieures à la moyenne, retardant ainsi le groupe dans l'adoption des nouvelles technologies.

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