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Agresseurs sexuels en prison à domicile : l’avis tranché d’une avocate

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Camille Dufétel

2023-03-23 14:15:00

Les juges peuvent à nouveau imposer une peine à domicile dans certains cas d’agression sexuelle, ce qui suscite la controverse. Une avocate prend position...

Me Marie-Pier Boulet. Sources: AQAAD et Shutterstock
Me Marie-Pier Boulet. Sources: AQAAD et Shutterstock
C’est acté depuis peu. Depuis 2007, il n’était pas possible pour un juge, dans les cas d’agression sexuelle, d’imposer une peine de prison à purger dans la collectivité, soit une peine d’emprisonnement avec sursis.

Mais en novembre 2022, l’adoption de la loi C-5 du gouvernement libéral a modifié le Code criminel, de sorte que ce type de peine soit à nouveau permis.

Et comme le rapporte ''Le Devoir'', cette nouvelle réalité ne plaît pas à tout le monde, en particulier au Québec. L’Assemblée nationale demande à Ottawa de modifier le Code criminel afin qu’il ne soit plus possible d’accorder une peine d’emprisonnement dans la collectivité pour les personnes reconnues coupables d’agression sexuelle.

Une motion votée le 15 février dernier à l’unanimité le demande expressément. Sur Twitter, Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice du Québec, écrit que « C-5 est un recul dans la lutte contre les violences sexuelles et nuit à la confiance des victimes envers le système de justice ».

Le cas de Jonathan Gravel, coupable d’avoir pénétré une femme sans son consentement, et qui a écopé d’une peine de prison à domicile, a fait particulièrement réagir.

Me Marie-Pier Boulet, présidente de l’Association des avocats et avocates de la défense (AQAAD), n’est toutefois pas d’accord avec l’interdiction de cette peine pour toutes les agressions sexuelles.

Selon ce qu’elle a indiqué au Devoir, « que la prison à domicile soit interdite pour un viol collectif est une chose », mais qu’elle le soit « pour un toucher aux fesses par-dessus les vêtements » en est une autre. Droit-Inc l’a questionnée à ce sujet.

Pourquoi la loi C-5 permet-elle de nouveau l’imposition d’une peine de prison à purger dans la collectivité dans des cas d’agression sexuelle ?

L’intention n’était pas de donner un sursis à des gens condamnés pour agression sexuelle. Le gouvernement fédéral a effectivement eu la bonne idée de réviser la question des peines minimales et de l’impossibilité d’accéder à certaines peines.
Les peines minimales sont déclarées inconstitutionnelles les unes après les autres par les tribunaux supérieurs. Ça enlève la discrétion aux juges, ça vient s’immiscer dans le processus judiciaire...

Ça amène à se demander s’il ne faudrait pas revoir le libellé de la loi, revenir à laisser de la latitude aux juges.

L’idée du gouvernement est de voir si on est capable d’évacuer des règles strictes pour laisser aux juges le soin de la peine appropriée.

C’est la réponse que le législateur a donnée au message des tribunaux supérieurs.

Concrètement, à quoi ressemble une peine d’emprisonnement à domicile ?

On pense que la personne va juste rester à la maison alors qu’il ne faut pas oublier que c’est une peine d’emprisonnement à être purgée dans la collectivité. Il n’y a aucune liberté rattachée à cela.

Cela signifie premièrement que l’on doit être 24 heures sur 24 à la maison. Il peut y avoir des exceptions très pointues et précises, comme le travail. Mais la personne ne pourra pas aller prendre un café après avoir fini de travailler. Elle rentre chez elle et doit toujours être à la maison.

Des vérifications sont faites. On peut cogner à la porte ou appeler. La personne doit avoir un téléphone fixe, pas un cellulaire. Le renvoi d’appels est interdit. Il y a plein de restrictions importantes.

C’est changer les quatre murs de la prison par les quatre murs de la maison.

Mais dans l’opinion publique, ne peut-on pas se dire qu’il est « plus facile » d’aller commettre une autre agression dans ce contexte plutôt que dans une prison ?

Dans une prison, des crimes peuvent être commis, il peut y avoir des bagarres, de la violence... Mais vous avez raison, il y a un risque évident, plus élevé, de contrevenir aux règles.

Par contre, cette attitude est très restreinte, car du moment que la personne se fait prendre, c’est terminé pour son emprisonnement avec sursis, elle s’en va en prison.

Et on n'imposera pas cette peine d’emprisonnement à domicile si on croit que la personne pourrait récidiver.

Si je donne l’exemple d’un jeune de 18 ans, il vivrait par exemple avec ses parents, on sait qu’il a des gardiens naturels. Le coût est de zéro dollar et l’environnement est sain et constructible pour le futur. Il ne va pas séjourner à l’école du crime, il ne va pas rencontrer d’autres criminels.

On reste dans un milieu de vie qui veut qu’on se réhabilite.

On peut clairement dire que vous n’êtes pas d’accord avec la motion du 15 février dernier ?

Je ne le suis pas pour plusieurs raisons. La première, c’est que ce n’est pas du tout dans la tâche du provincial, c’est une compétence fédérale. C’est pour cela que la motion demande au gouvernement fédéral d’agir. Ce n’est pas leur domaine, ce n’est pas leur expertise.

Deuxièmement, et c’est le point le plus important, ça envoie un très mauvais message au public. Simon Jolin-Barrette essaie de dire qu’il faut améliorer la confiance des victimes dans les institutions judiciaires. Le message qu’il envoie est que le système est défaillant.

À chaque occasion, il envoie ce message plutôt que d’expliquer ce qu’il en est réellement. La diminution des coûts, le caractère efficace de l’emprisonnement avec sursis... Il y a des données, des statistiques là-dessus.

On envoie le mauvais message aussi sur l’absence de confiance envers les juges. Ce que Simon Jolin-Barrette dit dans le fond, c'est que les juges vont tout le temps donner le sursis.

Parce que vous dites que tout va dépendre du type d’agression ?

Oui, du type d’agression et aussi du profil de l’agresseur. Le type d’agression, disons que c’est la voie plus facile, parce que moins le geste est grave, plus ce sera facile de plaider de l’emprisonnement avec sursis.

Pour le profil de l’agresseur, il faut se demander si celui-ci fait en sorte qu’il y a un risque assumable par la société.

Et il y a encore beaucoup de cas avec une peine minimale. Dans le cas du viol collectif, un crime à trois, dès que la victime est mineure, il y a une peine minimale de quatre ans en prison.

En somme, vous défendez la liberté laissée aux juges...

Oui, la discrétion du juge est la raison d’être de notre système. Si le juge a juste à faire des mathématiques, ça ne sert à rien. On l’engage pour son jugement et sa capacité à apprécier des situations.
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3 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a un an
    L'infraction d'agression sexuelle a perdu de sa valeur à cause de l'inflation verbale
    Autrefois, personne ne se serait insurgé contre le fait que la tâche d'un juge prononçant une peine pour viol se serait réduite à sortir une calculatrice pour déterminer la durée d'une peine de prison obligatoire. L'ancienne infraction de viol nécessitait de la contrainte physique, et réprimer un tel geste par une peine de prison obligatoire relevait du simple bon sens.

    Aujourd'hui, une femme consentante et qui le regrette par la suite peut prétendre avoir été "sous emprise", comme cela semble être le cas dans le cas du policier de Longueuil dont le procès a lieu ces jours ci. Et que dire d'une main balladeuse durant un party de Noel bien arrosé, qui ne débouche en accusation d'agression sexuelle que 10 mois plus tard, suite à une chicane de bureau? Dans de telles circonstances, il devient nécessaire d'avoir un juge pour "arrondir les coins" lors du prononcé de la peine, afin qu'un joblo un peu étourdi condamné pour une main balladeuse ne soit pas assujetti au même régime qu'une crapule qui viole à la pointe du couteau en portant une cagoule.

    C'est donc la dilution de l'infraction de viol en une infraction dont le seuil ne cesse de baisser, et qui facilite la formulation de fausses accusations (ce qui s'agravera avec l'augmentation du wokisme ambiant), qui a crée ce besoin de discretion judiciaire.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a un an
      !!!
      Mettez vos mains dans vos poches au party de Noël et tout ira bien ;-)

    • Pirlouit
      Pirlouit
      il y a un an
      Jusqu'ici tout va bien
      Ça risque d'être très ennuyant comme party

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