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"Il était hors de question que je devienne avocat!"

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Dominique Tardif

2012-08-01 14:15:00

Cette semaine, Dominique Tardif rencontre Gilles Ouimet. L'ex-bâtonnier du Québec raconte son parcours, entre confidences et anecdotes.

Gilles Ouimet est associé du cabinet Shadley Battista depuis 1999, où il œuvre principalement en criminalité économique et en matière disciplinaire.

1. Pourquoi avez-vous, à l’origine, décidé d’être avocat plutôt que de choisir un autre métier ?

J’ai fait les sciences pures au cégep, et étais donc entouré de gens qui allaient devenir médecins, ingénieurs, etc. Moi, rien de tout cela ne m’intéressait vraiment. J’ai, un peu par hasard, eu connaissance d’un programme de géologie et ai décidé de m’y inscrire. Après un an et demi, j’en ai conclu que je n’étais pas séduit par le travail en laboratoire, et j’ai suspendu mes études pendant un trimestre.

Gilles Ouimet a découvert le droit grâce à sa sœur qui était assistante juridique à l'époque
Gilles Ouimet a découvert le droit grâce à sa sœur qui était assistante juridique à l'époque
Ma sœur était assistante juridique et venait au même moment de décider de faire son droit. J’ai trouvé la formation intéressante et m’y suis dirigé, tout en me disant qu’il était hors de question que je devienne avocat ensuite ! J’étais en effet plutôt quelqu’un de pleine air qui aimait la nature : il était impensable pour moi à l’époque, de m’enfermer dans un bureau du centre-ville, tous les jours et pendant des années... Mais une fois rendu sur les bancs de la faculté de droit de l’Université de Montréal, ça ne m’a pris qu’une semaine pour avoir le coup de foudre!!

2. Quels sont les plus grands défis professionnels auxquels vous avez fait face au cours de votre carrière ?

Deux choses me viennent spontanément en tête :
J’ai commencé ma carrière en défense, puis j’ai fait le saut du côté de la Couronne, au ministère de la Justice fédérale, où j’ai notamment travaillé sur des causes d’évasion fiscale. J’ai eu, à ce moment, la chance de plaider deux procès devant jury. L’un des dossiers avait trait au domaine des actions accréditives, alors que l’autre concernait des factures d’accommodation dans l’industrie de la construction. Me retrouver devant un jury de 12 citoyens à qui je devais faire comprendre des notions complexes, alors que moi-même je ne savais que peu de choses du domaine avant ce dossier, c’était tout un défi ! Le fait de plaider devant un jury est toujours bien excitant.

Mon autre grand défi a été celui d’agir comme Bâtonnier du Québec. Ce fut à la fois un grand défi professionnel et un privilège. C’est par ailleurs une expérience que je souhaite à tous. Pour moi, ce qui était fondamental et constituait la priorité dans cette fonction, était d’appliquer le Code des professions et de s’assurer qu’il était respecté. D’autre part, le côté politique des fonctions représente lui aussi un défi : il faut savoir coordonner, manœuvrer et défendre les intérêts et la mission du Barreau dans un environnement aux multiples intervenants. Enfin, le volet médiatique des fonctions est également très stimulant. Il faut apprendre à livrer des allocutions et à donner des entrevues dans les médias. Je suis très heureux d’avoir pu vivre toutes ces expériences qui ont, vraiment, fait de ce passage un formidable défi.

3. Si vous pouviez changer quelque chose à la pratique du droit, de quoi s’agirait-il (autre que, pour les avocats en entreprise, la réduction des frais juridiques externes) ? Quels sont selon vous les changements à anticiper au cours des années à venir quant à l’exercice de la profession ?

Si j’y pouvais quelque chose, les services juridiques seraient gratuits pour la population. L’accès à la justice est pour moi une priorité qui vient, dans une société dite libre et démocratique, tout juste après la santé et l’éducation. Évidemment, plus facile à dire qu’à faire, mais c’est certainement ce que je changerais si je le pouvais.

Quant à ce qui, à mon avis, changera certainement, j’ajouterais que la profession devra nécessairement s’adapter aux nouveaux marchés. La pression pour la rationalisation des coûts, la montée de l’internet, le besoin d’apporter une plus-value dans les services rendus, la mondialisation, la nécessité de s’éloigner de la facturation horaire et de prendre en compte la capacité de payer du client auront tous des impacts. Bien sûr, ce n’est pas à court terme que les changements se produiront.

Mais la profession doit évoluer, même s’il est difficile de remettre un modèle en question lorsqu’on a toujours fonctionné d’une certaine façon. Nous avons nous-mêmes créé les grands cabinets – et il faut aujourd’hui "nourrir la bête", pour reprendre une expression bien connue. Or, il n’est pas certain que le marché pourra toujours alimenter ces grands bureaux en volume de travail, et que cela continuera nécessairement de correspondre aux besoins de la population que l’on doit servir comme avocat. Il sera intéressant de voir ce que l’avenir nous réservera.

4. La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique ? Et pourquoi ?

À mon avis, les choses évoluent positivement, particulièrement dans deux domaines, qui influencent la perception du public :
  • D’abord quant aux modes alternatifs de résolution des différends, un secteur plein d’avenir;

  • Et ensuite quant au "langage clair" : ce courant est, à mon sens, formidable car il est vraiment orienté vers les gens que l’on sert.


Par ailleurs, il semble y avoir une recrudescence de l’intérêt du public envers les causes judiciaires, ce que favorisent les réseaux d’information continue et les réseaux sociaux. Cependant, quand il y a controverse, nous avons l’impression, vu cette abondance d’information, qu’il y a plus de controverse qu’avant – ce qui peut évidemment et par ricochet avoir un impact sur la perception du public. Étant un éternel optimiste, je pense néanmoins que les choses vont globalement dans la bonne direction.

5. Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière d’avocat criminaliste pour réussir?

Je crois que, pour réussir sa carrière d’avocat criminaliste, il faut deux choses : de la passion et de la persévérance.

Il faut en effet être passionné de justice et des valeurs fondamentales de notre système de droit, particulièrement en défense, où il est parfois très difficile d’être celui qui "se tient debout" face à la collectivité, qui elle condamne facilement et réclame souvent une sanction rapidement. Il faut avoir le courage de faire face à tout cela, tout en respectant la loi et les principes de droit.

Quant à la persévérance, elle est nécessaire pour établir sa pratique en cabinet. Il faut en effet survivre à ses premières années, qui financièrement peuvent être difficiles. Mais le jeu en vaut certainement la chandelle : le droit criminel et les libertés publiques, c’est le plus beau droit, à mon avis ! C’est celui qui touche en effet le plus nos concitoyens et qui permet aux avocats de débattre d’enjeux fondamentaux en faisant vraiment évoluer le droit.

En Vrac…

• Dernier bon livre : « C’était au temps des mammouths laineux » de Serge Bouchard

• Film fétiche : « L’aventure c’est l’aventure » de Claude Lelouch

• Chanson fétiche : « Hasn’t hit me yet » de Blue Rodeo.

• Diction préféré : "Do not follow where the path may lead. Go, instead, where there is no path and leave a trail" (Citation de Ralph Waldo Emerson).

• Son péché mignon : les desserts ! Eh oui, Me Ouimet a la dent sucrée !

• Son resto préféré : Le Café Ferreira (rue Peel, Montréal)

• Un pays qu’il aimerait visiter : l’ Irlande

• Le personnage historique qu’il admire le plus : Martin Luther King, pour ses valeurs et principes, qu’il a défendus au prix de sa vie.

• S’il n’était pas avocat, il serait… pompier !


Bio

Me Gilles Ouimet est membre du Barreau depuis 1987. De 1988 à 1993, il a pratiqué le droit criminel et pénal au sein de la firme Shadley, Melançon & Boro. En 1993, il est devenu substitut du procureur général du Canada et, à compter de 1995, chef d'équipe des procureurs en matière de fraude fiscale au sein du ministère fédéral de la Justice pour le Québec. Associé du cabinet Shadley Battista depuis sa fondation en 1999, il consacre l'essentiel de sa pratique professionnelle aux dossiers de criminalité économique ainsi qu’en matière disciplinaire, tant en poursuite qu’en défense.
Me Ouimet a occupé la fonction de bâtonnier de Montréal pour l’année 2007-2008 et de bâtonnier du Québec pour l'année 2010-2011. Il est coauteur, avec l’honorable Guy Cournoyer, du Code criminel annoté, publié annuellement aux éditions Yvon Blais et il a été chargé de cours en droit criminel à l’Université de Montréal et à l’Université McGill. Il est cité dans le répertoire Best Lawyers in Canada. En 2012, il a reçu la distinction d’avocat émérite du Barreau du Québec. Me Ouimet est le candidat du Parti Libéral du Québec dans la circonscription de Fabre aux élections provinciales 2012.

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