Laflèche

J’adore Rome! Prise 3

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Isabelle Laflèche

2016-06-03 13:15:00

Vous vous souvenez de Catherine Lambert, cette jeune avocate d’un grand cabinet new-yorkais née de l’imagination de la romancière Isabelle Laflèche? Eh bien là voilà de retour, cette-fois à Rome! Extraits choisis...

Pour gagner un exemplaire du roman J’adore Rome, rendez-vous sur la page Facebook de Droit-inc! La gagnante de la semaine passée est Mélissa Dubreuil.


Isabelle Laflèche a travaillé pendant dix ans comme avocate à Montréal, Toronto et New York
Isabelle Laflèche a travaillé pendant dix ans comme avocate à Montréal, Toronto et New York
Le lendemain matin, je me réveille avec un grand sourire accroché au visage. J’ai non seulement pu avoir ce très grand lit à moi toute seule pour la nuit, mais j’ai aussi reçu un courriel de Frédéric, le chef du contentieux de Dior, qui nous demande, à Rikash et à moi, de prolonger notre séjour à Rome pour faire une visite chez Florentine Designs. Surtout, on m’a livré de bon matin deux douzaines de roses de la part d’Antoine, qui cherche à se faire pardonner. J’ouvre l’enveloppe qui accompagne le somptueux bouquet. Bien entendu, elle contient un billet doux :

Ma chérie,

Comme je n’ai pas eu de tes nouvelles, je sais que tu m’en veux, et je comprends parfaitement. J’espère que tu pourras me pardonner.

Per sempre tuo
(à toi pour toujours)

Je t’aime très fort, A.

Tous les mots d’amour du monde, même en italien, ne changeront rien à l’immensité de ma déception. Et « Je t’aime très fort » ? Je n’en suis plus si convaincue. Je mets de côté le billet, bondis en bas du lit, m’enveloppe dans le peignoir douillet de l’hôtel, ouvre les grandes fenêtres et me laisse imprégner de l’énergie électrisante de la ville en contrebas. Comme à Paris, j’entends des coups de klaxons, quelques propriétaires de café qui bavardent tout en ouvrant leur commerce, et la voix de jeunes enfants qui résonnent dans les ruelles. Mais, contrairement à Paris, il n’y a pas le moindre nuage dans l’étendue du ciel azur. Les pâles rayons du soleil matinal brillent sur le dôme des vieilles églises, les baignant dans une lumière dorée scintillante, et me réchauffent la peau pendant que je me prélasse sur le balcon à côté d’un hibiscus qui fleurit joliment dans son pot.

Je ferme les yeux pour bien sentir toute cette beauté, et c’est à cet instant précis que Rikash fait son entrée triomphale. Il tient deux cafés préparés à la perfection et quelques bomboloni alla crema, des beignets à la crème décadents, et cornetti, une sorte de croissants à l’italienne, débordants de marmellata, une délicieuse confiture. Un arôme divin flotte dans la chambre; je n’ai jamais vu Rikash chargé d’autant de café ni d’autant de pâtisseries. Je suppose que l’opulence de Rome commence à déteindre sur lui, aussi. Le veston soigneusement replié sur son bras droit, les cheveux légèrement ébouriffés, il arbore un sourire béat.

« Buon giorno, ma chérie. Je t’ai manqué ? »

« Bien sûr. »

Je préfère lui mentir. S’il est vrai que passer la nuit toute seule n’était pas mon premier choix, le plan B, c’est- à-dire une bonne nuit de sommeil dans des draps de rêve, fut plutôt agréable.

« La journée s’annonce très belle, en effet ; et on dirait que tu as passé une bonne nuit, toi aussi », dis-je en lui envoyant un clin d’œil moqueur.

« Ah ! quelle astuce, dah-ling. Et c’est entièrement grâce à toi. »

Il dépose les cafés et les pâtisseries sur une table de nuit et range son veston dans son emballage de protection, dans le placard. Rikash traite ses habits italiens de la même manière que ses amis : avec le plus grand soin.

« Si je me suis mêlée de cette affaire, c’était uniquement pour t’aider à resserrer les liens avec Niccolò. Je devine que tout s’est bien passé ? »

Je regrette aussitôt ma maladresse. Pour Rikash, l’expression « resserrer les liens » a plusieurs significations, y compris être attaché à quelqu’un ou à quelque chose au moyen d’une matière adhésive ou d’un objet de contention et, franchement, je n’ai pas envie d’avoir autant de détails si tôt le matin.

« Ah, oui ! Tu ne peux pas savoir ce que cette campagne Dior représente pour lui. »

J’adore Rome! Prise 3
J’adore Rome! Prise 3
Rêveur, Rikash regarde par la fenêtre. Je brûle d’envie de lui poser mille et une questions sur sa soirée d’hier, mais je me ravise. Contrairement à moi, mon ami n’a pas envie de discuter de la perspective d’une relation à long terme après un rendez-vous galant.

« Il est mon fantasme magnifique, sombre et ténébreux », souffle-t-il en faisant référence à l’album My Beautiful, Dark, Twisted Fantasy de Kanye West.

J’espère quand même que Niccolò n’est pas trop sombre ou ténébreux, et qu’il ne joue pas avec le cœur de mon ami. Rikash semble complètement entiché de cet Italien torride.

Quelques minutes plus tard, l’alarme d’une voiture tire Rikash de sa rêverie et ses yeux se posent sur les deux douzaines de roses qui trônent sur le bureau en chrome et en verre.

« Oh, là, là, regarde-moi ça. Quelqu’un essaie de se racheter et de compenser son absence ? »

Il empoigne une brosse à cheveux et la porte à ses lèvres, comme un micro, puis entonne a capella une version endiablée de la chanson That’s Amore de Dean Martin, en prenant soin de rouler exagérément les « r » et de se déhancher tout en faisant de petits mouvements d’épaules ridicules et de grands gestes avec ses mains. De toute évidence, son histoire d’amour lui monte à la tête.

«Oui, il fait des efforts, dis-je avec une pointe de mélancolie. Et ça ne fonctionne pas. »

« Hmm. Alors, tu ne lui as pas encore pardonné ? »

Je secoue la tête tout en prenant une gorgée de café.

« Si vite ? C’est hors de question, mon ami. Ça va demander du temps. »

Il perçoit mon air bouleversé tandis que je balaie du regard la chambre d’hôtel, qui a tout pour inspirer la passion.

« Écoute, ma biche, tu sais à quel point Antoine t’aime et tient à toi. Je suis sûr que vous allez vous réconcilier à ton retour à Paris. Vous y arrivez toujours. Et vous allez revenir ici ensemble, tous les deux », me dit-il gentiment, en penchant la tête d’un côté puis de l’autre et en écartant un cheveu rebelle de mes yeux.

Je ne suis pas si certaine de vouloir encore me réconcilier avec Antoine, mais je me garde d’en parler tout de suite.

« Peut-être. Mais je ne le reverrai pas aussi vite que tu le crois. »

«Ah bon?»

Il retrousse ses manches de chemise juste au-dessus du poignet, façon Barack Obama, et s’assoit à côté de moi, sur le lit.

« Que veux-tu dire ? »

Je pointe du doigt mon ordinateur et lui montre le message que j’ai reçu de Frédéric. Il hausse un sourcil tout en lisant attentivement le courriel. Le message commence par une mise en contexte, avec quelques renseignements
détaillés sur la mode en Italie :

Chère Catherine,

Merci d’avoir communiqué avec moi au sujet de cette affaire de bas. Je vous suis reconnaissant d’avoir pris le temps de vous renseigner. Bien que je n’aie trouvé aucune entente entre notre société et Florentine Designs, nous devons, à titre de membre de la Fédération française de la couture et au nom des autres membres, faire toute la lumière sur cette affaire. De plus, étant donné que l’Italie a l’un des taux de contrefaçon les plus élevés dans le monde, nous devons nous assurer qu’aucun produit Dior contrefait n’est produit ici.

Comme vous le savez, le label « Made in Italy » évoque des biens de luxe, le fin travail artisanal et les usines tenues par des familles, de génération en génération. D’après une étude de marché sérieuse, «Made in Italy» est la troisième marque la plus reconnue dans le monde, après Coca-Cola et Visa. Malheureusement, le pays est aux prises, ces temps-ci, avec un côté plus sombre de l’étiquette que les consommateurs considèrent comme un gage de qualité.

Au cours des dernières années, un grand nombre de manufactures exploitées illégalement ont ouvert leurs portes au pays. Des immigrants y travaillent un nombre d’heures insensé contre un salaire de misère, et les matières utilisées sont de piètre qualité, issues d’importations non autorisées. Bien que les articles soient assemblés en sol italien, ils ont très peu en commun avec les vêtements bien taillés qui ont fait la réputation de la mode italienne.

Vous le savez, les dernières années ont été très difficiles dans le secteur de la mode. Il y a eu plusieurs incidents mortels dans des ateliers de confection du Bangladesh, des grèves de travailleurs du textile au Cambodge, et un incendie dans une usine, en Toscane, qui a coûté la vie à sept personnes. Tous les joueurs de l’industrie ont été soumis à des contrôles dernièrement, et nous ne faisons pas exception à la règle. Nous devons nous assurer que tous nos produits, qu’ils soient fabriqués par des agents, des tiers ou des sous-traitants, sont faits dans le respect du code d’éthique, avec le plus grand soin et la meilleure qualité possible.

Le problème auquel est confrontée l’Italie vient de la confusion des consommateurs quand ils trouvent à la fois des vêtements haut de gamme et des vêtements bon marché avec le même label : « Made in Italy ». Comment distinguer le bon grain de l’ivraie? Nous devons nous assurer que tous les produits Dior fabriqués là- bas répondent à tous nos standards en matière d’excellence.

Par ailleurs, comme vous l’avez sans doute maintenant compris, l’Italie est l’une des premières destinations du monde pour l’achat et la revente de produits de luxe contrefaits. Indicam, l’agence italienne anti-contrefaçon, a estimé que les ventes de biens contrefaits l’an dernier ont atteint entre 3 et 7 milliards d’euros.

Je vous recommande donc de prendre les mesures suivantes lorsque vous visiterez l’entreprise Florentine Designs :

1) Assurez-vous qu’aucun produit Dior contrefait n’est fabriqué sur place;

2) Déterminez si les responsables ont apposé nos logos sur une partie de leur marchandise – aucun risque à prendre au chapitre de notre image de marque, considérant que nous faisons bel et bien fabriquer certains de nos articles en sous-traitance ;

3) Le cas échéant, vérifiez si l’usine textile est légitime, si elle fabrique nos accessoires avec les tissus de la plus grande qualité et avec les meilleures techniques de production;

4) Assurez-vous que la machinerie utilisée est sécuritaire et que le salaire des employés correspond aux normes de l’industrie ;

5) Vérifiez que l’entreprise a payé ses impôts et n’a aucun litige en suspens.

Encore une fois, je vous suis très reconnaissant, à vous et à Rikash, de prendre le temps de mener cette enquête. Pendant que vous êtes en Toscane, peut-être voudrez-vous assister au salon professionnel Pitti Uomo consacré à la mode masculine, à Florence? Je pense que Rikash s’y plairait. Je vais communiquer avec Massimo, l’organisateur de l’événement, pour m’assurer que vos noms soient ajoutés à la liste des invités.

Merci de me tenir informé de vos conclusions. Bonne chance et bon voyage,

Frédéric

Rikash boit une gorgée de café. Plein de choses semblent lui traverser l’esprit.
« Alors ça, c’est fascinant, dit-il. Qui aurait cru que notre rencontre avec Graziella nous mènerait là ? »

Il a raison ; tout ça est vraiment intéressant. Il faut croire que notre séjour en Italie tombe à point.

Frédéric a omis de mentionner le fait que la production et la vente de produits contrefaits sont habituellement contrôlées par la mafia ; voilà une chose que j’ai apprise à mes dépens en travaillant à notre dernier mandat de lutte anti-contrefaçon à Paris. Je chasse cette idée loin de mon esprit. Pour aujourd’hui, j’ai le cœur de Rikash à protéger, et ça me suffit.

Pour gagner un exemplaire du roman J’adore Rome, rendez-vous sur la page Facebook de Droit-inc!

Isabelle Laflèche a travaillé pendant dix ans comme avocate à Montréal, Toronto et New York. Passionnée depuis toujours par la mode et inspirée par ses propres expériences, elle signait en 2010 son premier roman, J’adore New York, un succès de librairie traduit dans plusieurs pays. Après nous avoir fait découvrir l’envers du décor de l’univers scintillant de la haute couture avec J’adore Paris, l’auteure poursuit sa série enlevante avec ce nouveau tome, tourné cette fois vers les enjeux éthiques entourant la mode à bas prix.
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2 commentaires

  1. Robert Roy
    Robert Roy
    il y a 7 ans
    Concepteur
    le chef du contentieux de Dior !

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 7 ans
    Télé-Presse
    Bon sang.

    C'est comme les films cotés 7 dans le défunt Télé-Presse: on peut pas s'empêcher de jeter un oeil.

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