Cinéma

Séance ciné: La Chasse, la justice des aveugles

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Céline Gobert

2013-05-17 17:00:00

Comme d’habitude, Vinterberg frappe fort et défie vos certitudes. ‘La Chasse’ ou quand les hommes font leur propre loi... Critique.

Voilà un film parfait pour vous les avocats. Sisse Graum Jorgensen ne s’est pas trompée lorsqu’elle a décidé de produire le nouveau film de Thomas Vinterberg. Sur un sujet osé, le réalisateur danois offre en effet une petite bombe acerbe et courageuse, étudiant le terrible engrenage dans lequel se retrouve piégé Lucas, un professeur célibataire et sans histoire.

La Chasse, qui vous prendra assurément à la gorge, a surtout le mérite de décortiquer des frontières qui fâchent: que valent les tribunaux face à la rumeur ? Jusqu’à quel point la justice institutionnelle peut-elle contenir celle, plus impitoyable, infligée par les hommes ?

Tout commence un jour comme un autre. Une petite blondinette espiègle, qui s’est amourachée de l’enseignant, profère de lourdes accusations contre lui : c’est le début d’un crescendo hystérique et hors de tout contrôle. Amis, connaissances de toujours : tous se retournent contre celui qui devient alors ennemi n°1, proclamé pédophile et diable en personne, sur la parole jamais remise en question d’une enfant.

Et, lorsque toutes les autres têtes blondes de l’école se mettent à l’accuser à leur tour, Lucas (interprété brillamment par un Mads Mikkelsen, au sommet de son art) se retrouve piégé dans l’étau suffocant de l’accusation collective.

C'est clair: il en fallait du cran pour aborder un sujet épineux (la pédophilie) sous un angle provoc’ (le mensonge des enfants).

Les mots comme des armes

Thomas Vinterberg, qui confirme son goût pour l’évocation des bassesses humaines (après Festen) frappe très fort avec un long-métrage profondément intelligent, aux relents misanthropes. Nous ne sommes d’ailleurs pas très loin du cinéma de Lars Von Trier, réalisateur entre autres de Dancer in the Dark.

Le film possède en effet cette même façon de recracher la bêtise humaine à la face de ses spectateurs, pris en otage non pas par la démonstration du cinéaste, comme pourront (ou ont pu) avancer ses détracteurs, mais bien par la réalité même d’une société qui se pense justicière, lorsqu’elle n’est que stupide.

Dès lors, et même s’il n’utilise pas tous les possibles sur le plan de l’ambigüité (pas de suspense : le héros est innocent) et que sa mise en scène s’avère plus élégante qu’anxiogène, La Chasse reste tout de même monstrueusement habile lorsqu’il s’agit de bousculer les idées reçues et les spectateurs.

Au final, l’horreur est tapie- non pas dans les paroles mensongères des enfants- mais dans les non-dits des adultes, dans l’escalade hypocrite, la puissance de la rumeur, dont il est impossible d’effacer la tâche, comme le démontre le final glaçant, où Lucas- piégé comme un animal- comprend qu’il restera à jamais la proie d’une géante armée d’aveugles.

Le danger des communautés

Le groupe, son influence et ses mécanismes intrinsèques, devient alors à la fois un vecteur et terrain propice à toutes les éclaboussures de violence, et un prétexte à la justification du pire.

En contraste, il y oppose un héros martyr, et martyrisé par les siens jusqu’au soir de la messe de Noël, une figure quasi christique. Ainsi, le film peut-il même se voir comme un géant « Pardonnez leur car ils ne savent pas ce qu’ils font», sorte de parenthèse vorace sur la surenchère collective et l’aveuglement des hommes.

Le danois, en s’attaquant une nouvelle fois aux dysfonctionnements et travers socio-familiaux se montre très malin (car il n’excuse ni n’accuse personne), et préfère montrer ces femmes, hommes et enfants comme ils sont- avec tout ce que cela contient d’infâme et de problématique- : les produits d’une communauté.
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