La Presse

L'avocat humanitaire

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Rene Lewandowski

2008-05-09 11:30:00

Qu'est-ce qui pousse un associé d'un grand cabinet d'avocats à tout lâcher pour se consacrer à une cause humanitaire?

Voici l'histoire d'un avocat extraordinaire.

Dans la vie, il suffit parfois d'un petit avertissement pour que tout bascule et que le destin prenne soudainement une nouvelle direction. C'est arrivé à Pascal Paradis, 37 ans, de Québec.

Fin 2002, alors qu'il se trouvait au Nicaragua, il s'effondre dans sa chambre d'hôtel et perd connaissance à la suite de l'éclatement de son appendice. Sur une civière, on le transporte d'urgence à l'hôpital, juste à temps pour lui sauver la vie.

"Sans l'aide du personnel de l'hôtel, je serais mort", raconte-t-il aujourd'hui.

Au Nicaragua, Pascal Paradis n'y était pas comme touriste, mais comme avocat, pour représenter Hydro-Québec, un gros client du cabinet McCarthy Tétrault, son employeur, et pour lequel il était devenu un an plus tôt l'un des plus jeunes associés.

La société d'État cherchait à négocier l'achat d'actifs de production hydroélectrique du gouvernement nicaraguayen. Une grosse transaction, comme bien d'autres que Pascal Paradis a traitées durant son ancienne vie.

Une ancienne vie qu'il a poursuivie pendant près d'un an, comme si rien ne s'était passé. Jusqu'à ce qu'un ami lui demande un jour: "Et puis, qu'as-tu retenu de ton accident?" Une phrase coup-de-poing qui résonne encore dans sa tête.

"Tout d'un coup, je me suis rendu compte que je n'étais plus à ma place dans un grand cabinet, explique-t-il. Et je me suis demandé qu'est-ce que je pourrais bien faire de ma vie?"

La naissance d'Avocats sans frontières Québec

La réponse, il la connaissait déjà. Car quelques mois plus tôt, en octobre 2002, avec deux de ses amis, les avocats Dominique-Anne Roy et Pierre Brun, il avait jeté les bases d'Avocats sans frontières (ASF) Québec, organisation à but non lucratif vouée à la défense des droits humains et au renforcement de la capacité des avocats à pratiquer leur métier dans les pays en voie de développement ou en crise.

Avocats sans frontières existait déjà depuis quelques années en Europe, notamment en France et en Belgique, mais aucun projet n'avait été lancé au Canada. Comme ces trois avocats avaient le goût de participer comme juristes dans des causes humanitaires, ils y ont vu, en lançant une version québécoise, l'occasion de participer, à leur façon, à la solidarité internationale.

La première mission d'ASF Québec fut d'envoyer en février 2003 Dominique-Anne Roy en Afghanistan. L'objectif? Aider le gouvernement afghan à reconstruire la profession juridique, détruite par le régime des talibans, puis aider à ériger un code de déontologie de la profession.

Pascal Paradis, lui, a dû attendre en avril 2003 avant de participer à une mission. C'était en Colombie, où il fut déployé, avec des avocats français, pour soutenir des avocats de droits de la personne menacés d'agression ou carrément agressés. Qu'a fait ASF pour les aider? "On a dénoncé les menaces et on est intervenu auprès des autorités, explique Pascal Paradis. Et on a demandé des mesures de protection."

La mission d'une vie

Mais Pascal Paradis en voulait plus. Dans le fond, ce qu'il souhaitait, c'était de s'y consacrer à plein temps, de contribuer totalement à une cause qu'il considérait juste et qui le comblerait. Ne restait plus qu'à prendre une décision. Ce qui fut fait en février 2004, lorsqu'il a présenté sa démission à McCarthy Tétrault et quitté pour de bon le cabinet six mois plus tard.

Évidemment, ce ne fut pas facile. Ne serait-ce que sur le plan financier, le sacrifice était considérable. Un associé d'un grand cabinet gagne plusieurs centaines de milliers de dollars par année; Pascal Paradis, lui, n'a pas pris de salaire les six premiers mois.

"La décision la plus difficile et la plus folle que j'ai prise dans ma vie, dit-il. Mais c'est aussi la plus exaltante."

La semaine dernière, Pascal Paradis a reçu le prix ARISTA dans la catégorie Jeune leader sans frontières du Québec, remis par la Jeune Chambre de commerce de Montréal. Ce prix vise à reconnaître et souligner la réussite des jeunes gens d'affaires du Québec.

Mérité, ce prix? Il faut admettre que bien du chemin a été parcouru depuis les débuts d'ASF Québec. Inexistant il y a cinq ans, l'organisme a réalisé depuis une quarantaine de missions dans le monde, de la Colombie au Nigeria en passant par Haïti et le Bangladesh.

ASF Québec compte aujourd'hui sur un véritable conseil d'administration et mise sur une équipe de plus de 70 bénévoles qui le soutiennent d'une façon ou d'une autre. Mieux, sans un sou en 2002, ASF a l'appui aujourd'hui d'une vingtaine de commanditaires.

Cette année, McCarthy Tétrault, l'ex-employeur de Pascal Paradis, est même devenu partenaire officiel de l'organisme, en contribuant financièrement. D'ici la fin de l'année, McCarthy détachera aussi un ou deux avocats pour participer à une mission humanitaire dans un pays des Caraïbes.

Bien qu'il soit devenu un avocat humanitaire, Pascal Paradis a autant d'ambition que du temps où il conseillait les grandes entreprises. À court terme, il veut installer l'organisme dans ses propres locaux -pour l'instant, il travaille seul de chez lui-, et embaucher une permanence. Il a aussi l'intention d'en faire un organisme pancanadien. Déjà, dit-il, une dizaine d'avocats de Toronto ont manifesté de l'intérêt. Enfin, d'ici cinq ans, il veut plus que quintupler le budget d'Avocats sans frontières Québec afin que l'organisme puisse participer à de plus importantes missions.

Heureux, Pascal Paradis? Mieux que ça, dit-il. "Je suis un homme comblé."
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