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Cotisation trop chère, il démissionne!

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Emeline Magnier

2014-04-22 15:00:00

Considérant que le montant de la cotisation annuelle est trop élevé, un avocat a démissionné du Barreau. Il dénonce le manque de services fournis par l’ordre professionnel et explique ses motivations à Droit-inc…

M. Sébastien Brousseau démissionne du Barreau.
M. Sébastien Brousseau démissionne du Barreau.
« Je vous informe que j’ai rempli ma déclaration annuelle il y a quelques jours. J’y ai inscrit que je démissionne du Barreau du Québec. Prenez avis que cette démission sera effective le 31 mars 2014, mon 45e anniversaire de naissance: c’est mon cadeau! »

C’est par cette annonce colorée et interpellante que Sébastien Brousseau débute la lettre qu'il a adressée personnellement à la Bâtonnière du Québec le 24 mars dernier.

Sur deux pages, il fait la liste des doléances adressées à son ancien ordre professionnel et explique sa décision qu'il qualifie de réfléchie. « Considérant ma situation, je ne vois pas les multiples avantages de continuer à payer une cotisation d’environ 2 000$ par an », peut-on lire dans sa démission.

Fondateur du cabinet Isaan Lawyers, à Nakhon Ratchasima, en Thaïlande, M. Brousseau travaille comme conseiller juridique. Jusqu'à tout récemment, il faisait partie des membres du Barreau du Québec pratiquant hors de la province.

L'ancien avocat a derrière lui un chemin parsemé de batailles contre le Barreau du Québec. Inscrit au Tableau de l'Ordre en 2007, sa demande d'admission avait été rejetée à cinq reprises au regard de ses antécédents judiciaires: il a plaidé coupable à une accusation d'homicide involontaire pour avoir poignardé sa mère en novembre 1990.Après avoir été emprisonné, il a été libéré sous caution en 1992.

Aucun service

Lettre de démission 1/2
Lettre de démission 1/2
Il indique ne bénéficier d'aucun service de la part de l'ordre professionnel et que le montant de la cotisation n'est pas justifié. « Je peux lire le journal du Barreau gratuitement sur internet, je reçois mon bulletin de vote pour l'assemblée générale en retard et une partie de ma cotisation va au Barreau de Montréal alors que je suis en Thaïlande. » Il ajoute que l'obligation de payer 375 $ pour le CAIJ est déraisonnable alors que cet outil n'est, selon lui, pas adapté aux avocats hors Québec.

Depuis plusieurs années, M. Brousseau milite pour la formation d'une section d'avocats hors Québec à coup de mises en demeure et de courriels adressés au Barreau du Québec et aux bâtonniers qui se sont succédés.

Il a créé une page Facebook « Appuyez-vous une section d’avocats Québécois Hors Québec au Barreau du Québec?» et indique avoir reçu des centaines d'appuis. Il a également été membre du conseil d'administration de l'Association des Avocats Hors Québec, un organisme sans but lucratif qui a pour objectif la promotion et la défense des intérêts des membres du Barreau du Québec hors de la juridiction du Québec. Mais il regrette que cette association n'ait aucun statut au sein du Barreau et estime qu'elle n'a qu'un pouvoir d'intervention limité.

« Il faudrait changer la Loi; c'est possible, ça a été fait pour le Barreau de l'Abitibi. Nous serions l'un des plus grands barreaux. Mais le Barreau du Québec traîne les pieds et n'agit pas assez rapidement», dit-il.

Cotisation pour les non-pratiquants

Lettre de démission 2/2
Lettre de démission 2/2
Selon les informations fournies par l'ordre professionnel le 21 mars dernier, le Barreau du Québec compte 1320 membres hors Québec et 790 membres hors Canada, qui doivent tous souscrire aux mêmes obligations professionnelles que les avocats exerçant sur le territoire québécois.

Et les avocats exerçant à l'extérieur du Québec ne sont pas les seuls à devoir payer une cotisation non justifiée eu égard à leur situation, considère M. Brousseau. « Il y a aussi l'ensemble des membres non pratiquants ou qui font un retour aux études. Le Barreau du Québec est le seul Barreau au Canada à ne pas avoir de section réservée aux membres qui ne pratiquent pas avec une cotisation réduite. »

Cette problématique est connue du Barreau du Québec. Le 10 juin 2009, le Comité exécutif du Barreau a demandé la réalisation d'un rapport sur l'exercice de la profession hors Québec. Le groupe de travail chargé de la rédaction du rapport était présidé par Me Nicolas Plourde, alors bâtonnier de Montréal. Il avait reçu pour mandat d'étudier les problématiques auxquelles ces avocats sont confrontés et de formuler des recommandations aux instances décisionnelles de l’Ordre.

Le Barreau du Québec, l’exception canadienne

Dans ce document de 81 pages, on peut lire qu'à la différence du Barreau du Québec, l’ensemble des barreaux canadiens ont créé une catégorie pour les membres non pratiquants et que certains barreaux des autres provinces et territoires ont créé des catégories pour les membres ne pratiquant pas dans la province. Les avocats classés dans ces catégories sont astreints à des cotisations réduites dont les montants s'échelonnaient à l'époque entre 100$ et 500$ par année.

Relativement aux services du CAIJ, il y est également indiqué que « (…) très peu d’instruments juridiques internationaux (…) y sont disponibles.(…) Il en résulte une utilisation réduite, voire la non-utilisation, par les avocats à l’extérieur du Canada, en raison de la non pertinence de cet outil dans le cadre de leur travail quotidien. »

Le groupe de travail a formulé 38 recommandations invitant le Barreau à étudier ces situations particulières et à envisager différentes mesures telles que la création d'une catégorie de membres et une classe de cotisation moindre pour les avocats hors Québec ainsi que l'exemption du paiement des services du CAIJ des avocats étrangers.

Pas d’exemption pour les frais du CAIJ

Pour Me Nicolas Plourde, le CAIJ offre des services axés sur le droit international qui sont pertinents pour tous les avocats
Pour Me Nicolas Plourde, le CAIJ offre des services axés sur le droit international qui sont pertinents pour tous les avocats
Lors de sa séance du 19 avril 2012, le Comité exécutif du Barreau du Québec a rejeté la recommandation relative à l'exemption des frais du CAIJ précisant qu'« une réflexion se poursuit sur les moyens de rendre ce service encore plus pertinent pour les avocats hors Québec.»

« De plus en plus, le CAIJ offre des services axés sur le droit international qui sont pertinents pour tous les avocats », considère Me Nicolas Plourde, contacté par Droit-inc.

Quant à la création d'une catégorie pour les avocats hors Québec, cette recommandation a également été rejetée par le Comité exécutif du Barreau. Dans les commentaires que le comité a émis sur le rapport, il est fait référence à une autre résolution datée du 21 avril 2011, intervenue à la suite d’un rapport d’un autre Groupe de travail sur les cotisations du Barreau du Québec.

Pas de diminution de cotisation

Dans cette résolution, le comité y rejette les demandes formulées par les avocats qui possèdent le titre d'avocat, mais qui n'exercent pas leur profession, et les avocats hors Québec.

« Le Barreau fait des efforts pour contrôler ses dépenses et pour que les cotisations augmentent le moins possible », souligne Me Plourde. Il indique que la cotisation des membres est établie selon le principe de la mutualité dans le paiement des dépenses du Barreau et que s'il fallait diminuer la cotisation pour les uns, il faudrait « passer la facture à quelqu'un » .

« Beaucoup de journalistes ou politiciens veulent continuer à être membres car à un moment donné, ils voudront retourner à la pratique ; ils doivent soutenir l'ordre.»

Me Plourde ajoute que bon nombre d’avocats pratiquants ont aussi du mal à boucler leur fin de mois et que d'autres, qui n'exercent pas, bénéficient d'un salaire plus élevé dans leur emploi parce qu'ils sont avocats.

Par ailleurs, il précise que la situation au Québec n'est pas comparable à celle d'autres Barreaux. « En Ontario, il sont 40 000 avocats donc ils peuvent faire beaucoup de choses, c'est aussi une question de nombre.»

Protéger le public

Pour l'ancien bâtonnier du Québec, il ne faut pas confondre le Barreau avec un fournisseur de services professionnel. « Sa mission première est de protéger le public et pas d'offrir des avantages à ses membres. »

Cet argument laisse toutefois M. Brousseau perplexe. « Je ne pense pas qu'en Ontario les avocats non pratiquants soient plus dangereux pour le public qu'au Québec », lance-t-il.

Il rétorque qu'avec la mondialisation et le développement des technologies, les avocats membres du Barreau du Québec sont partout et qu'ils peuvent pratiquer virtuellement depuis n’importe où dans le monde. Selon lui, le Barreau aurait avantage à créer une section internationale afin de conserver son réseau et développer son rayonnement international.

Au mois d'octobre dernier, il a lancé www.testamentquebec.com, un site en ligne qui propose la vente de testaments présentés comme valide pour le Québec ainsi que des services de recherche et de rédaction d'avis juridiques dans différents domaines de droit pour 30$ de l'heure. Dans les prochains mois, il explique que des centaines de contrats à des prix s'étalant entre 5 à 10$ seront disponibles.

En démissionnant du Barreau, M.Brousseau considère qu'il n'aura plus à respecter les règles déontologiques québécoises. « Si je fais du droit au sein d'une société étrangère, le Barreau n'a pas juridiction et ne peut pas intervenir. » Il précise toutefois ne pas avoir l'intention de poser des actes réservés. « Et même si je le faisais, pratiquement, comment faire respecter ça en Thaïlande? » interroge-t-il.

Exercice illégal?

L'ancien avocat met en garde son ancien ordre professionnel considérant que les cas comme le sien vont se multiplier et que les problèmes ne feront que s'amplifier.

Pour Me Plourde, le raisonnement de son ancien confrère manque de cohérence. « Ça n'a pas de bon sens! S'il vend des contrats, il s'expose à la pratique illégale.»

Même s'il n'est plus membre du Barreau du Québec, M. Brousseau ne rend pas les armes pour autant: « Le droit est ma passion, une grande partie de ma vie. Soyez persuadé que même sans être membre de l'Ordre, je continuerai de travailler en droit et je pousserai vers l'avancement des droits de l'homme, peu importe où je me trouverai», conclut-il dans sa lettre de démission.

Cliquez ici pour lire la lettre de démission en entier!
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