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Un « droit international » quasi impuissant

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François Terroux

2014-07-09 11:15:00

Avocat en droit international privé, l’auteur s’interroge sur l’efficacité et les forces de contrainte du droit international face à l’autorité souveraine de chacun des états...

Le 15 mai, une Soudanaise chrétienne âgée de 26 ans, docteure en médecine, considérée musulmane de naissance, a été condamnée à la pendaison pour apostasie. Lors de son procès, le tribunal soudanais lui avait accordé trois jours pour abjurer sa foi chrétienne et revenir vers l’islam. Les autorités et les tribunaux soudanais, sous la pression de l’opinion internationale, ont fait marche arrière et l’ont libérée le 23 juin… pour l’arrêter à nouveau le lendemain sous l’accusation d’usage de faux documents en vue de quitter le Soudan.

La communauté internationale et l’ONU|http://www.un.org/fr/ ont « exhorté le gouvernement soudanais à respecter ses obligations découlant du droit international ». Mais quelle est la teneur de ce « droit international » auquel on fait ici référence ? De quels moyens dispose-t-on pour l’appliquer ?

Le droit international dont il s’agit est essentiellement contenu dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par l’Assemblée générale de l’ONU et entré en vigueur le 19 mars 1976. À ce jour, 168 États en sont membres, y compris le Soudan depuis 1986. Il s’agit d’un pacte multilatéral où chaque État s’engage à respecter la liberté de religion, de conviction et de pensée de toute personne se trouvant sur son territoire. Le Comité des droits de l’homme, composé de 18 experts indépendants, est chargé de veiller au respect des obligations contractées par les États qui en font partie.

Me François Terroux, avocat chez Dunton Rainville
Me François Terroux, avocat chez Dunton Rainville
Le problème se pose donc dans les termes suivants : comment le Soudan, partie prenante d’un tel pacte, a-t-il pu condamner à mort l’une de ses ressortissantes pour « conviction religieuse » ? Ici se heurtent deux droits fondamentaux garantis par le Pacte, qui non seulement s’opposent, mais se neutralisent l’un l’autre : d’une part, la liberté de religion que le Soudan s’est engagé à respecter (art. 18) ; et d’autre part, le libre droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (art. 1) et de faire juger leurs ressortissants par leurs propres tribunaux, lesquels appliquent leur loi interne, en l’occurrence la charia, qui de toute évidence, selon l’interprétation soudanaise, éprouve de sérieuses difficultés à reconnaître la liberté de religion.

Les tribunaux internationaux

Quant aux tribunaux internationaux, la Cour pénale internationale|http://www.icc-cpi.int/fr_menus/icc/Pages/default.aspx, contrairement à la Cour internationale de justice|http://www.icj-cij.org/homepage/index.php?&lang=fr qui n’entend que des États, juge les individus inculpés « de crime de guerre, de génocide, de crime contre l’humanité et d’agression ». Son champ de compétences est restreint et ses décisions, en l’absence d’un réel pouvoir de contrainte, sont parfois inefficaces.

Ainsi, le mandat d’arrêt pour « crime de guerre et crime contre l’humanité » lancé en 2009 contre le président soudanais Omar al-Bashir n’a jamais pu être exécuté, car le Soudan et d’autres pays concernés ont refusé de l’extrader en invoquant leur droit interne ; en dépit de la résolution de 1593 du Conseil de sécurité des Nations unies « déclarant » que l’État soudanais devait « collaborer » avec la Cour pénale internationale.

Ces contradictions et inefficacités illustrent bien le défi que constitue pour le XXIe siècle la mise en application d’un « droit international » en l’absence d’une autorité souveraine applicable à tous les États : comment contraindre un État souverain à adopter des lois internes conformes aux droits de la personne tels que définis par le Pacte auquel un pays comme le Soudan a adhéré ?

Le droit et l’histoire des religions

Pour comprendre le droit interne des États islamiques depuis le VIIe siècle de notre ère, il faut faire appel à l’histoire, et en premier lieu, à celle des religions. La charia, contenue dans le Coran, aurait été « dictée » par Dieu lui-même à Mahomet, qui a fondé une religion et un État, où se sont réunies en la même personne les fonctions de chef d’État et de chef religieux. De là découle la difficulté de la séparation des pouvoirs civil et religieux en Islam.

Cette même séparation des pouvoirs a également représenté une difficulté pour l’Occident : chefs de l’Église et chefs de l’État se sont longtemps disputé le pouvoir. Mais le passage de l’État théocratique à l’État démocratique y a été facilité du fait que les rois — bien que tenant leur pouvoir de Dieu — étaient réputés avoir reçu de lui le pouvoir législatif pour l’exercer selon leur volonté propre. Alors que, de son côté, la charia, constituée de la parole divine, ne peut faire l’objet d’aucun amendement, d’où l’intégrisme religieux qui fait présentement l’objet d’une guerre sainte en Irak.

Le cumul de ces deux fonctions, politique et religieuse, s’est prolongé de façon intermittente jusqu’au démembrement de l’Empire ottoman à la fin de la Première Guerre mondiale. Les pays du Moyen-Orient acquirent ensuite, progressivement, leur indépendance.

La Turquie fut le premier de ces pays à dissocier les pouvoirs politique et religieux et à établir la laïcisation de l’État. D’autres pays, tout en conservant l’islam comme religion d’État, ont établi la suprématie des lois civiles sur les lois religieuses. D’autres encore, tout en se donnant des institutions de type parlementaire et démocratique, ont proclamé dans leur constitution la souveraineté absolue de Dieu ou ont subordonné la validité des lois adoptées par l’État à leur conformité avec la charia.

L’État islamique cherche aujourd’hui à recréer l’unité du monde musulman sous l’autorité d’un calife qui réunirait à nouveau, en sa personne, les pouvoirs politique et religieux. Ce n’est pas un hasard si leur chef se fait appeler « Abou Bakr », nom du successeur immédiat de Mahomet qui, lui aussi, exerçait cette double fonction.

Lorsque ces intégristes se sont emparés de la ville de Mossoul, ils y ont rétabli la peine de mort pour apostasie et le confinement de la femme au foyer. Rappelons que Mme Ishag a fait des études de médecine et exerçait sa profession jusqu’au moment de sa mise en accusation.

Bio:

Me François Terroux est avocat au sein du cabinet Dunton Rainville à Montréal. Membre du Barreau du Québec depuis 1975, il pratique en droit international privé et en droit de la famille.



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