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Karim Renno

2015-04-01 14:15:00

En présence d’une clause contractuelle fixant une indemnité de départ, dans quelle mesure un salarié doit-il mitiger ses dommages ? Me Karim Renno nous répond avec une décision récente...

Le jeune super plaideur Karim Renno
Le jeune super plaideur Karim Renno
Sur À bon droit, j’ai déjà souligné que l'employé qui se prévaut de la clause contractuelle par laquelle son indemnité de départ était fixée n'a pas à mitiger ses dommages. Par ailleurs, une décision de la Cour supérieure dont j'avais traité en mars 2013 indiquait que même lorsque l'employé demandait et obtenait plus que ce que sa clause d'indemnité de départ prévoyait, il n'a pas à mitiger ses dommages pour la période couverte par la clause, mais seulement pour l'excédent. J'avais critiqué cette décision.

Or, la Cour d'appel - dans un jugement majoritaire - vient de confirmer la décision sur la question relative à la mitigation des dommages dans Structures Lamerain inc. c. Meloche (2015 QCCA 476). Il s’agit d’un développement important en matière de droit de l’emploi.

Dans cette affaire, les Intimés, alléguant avoir été congédiés sans cause, réclament une indemnité de fin d'emploi de 24 mois et des dommages pour congédiement abusif. Fait à retenir, le contrat d'emploi des Intimés fixe à 12 mois la durée du préavis à donner par la Cour.

L'Honorable juge David R. Collier, après en être venu à la conclusion que les Intimés ont été congédiés sans cause, souligne à juste titre que l'article 2092 C.c.Q. implique que ces derniers ne pouvaient être forcés d'accepter un préavis de 12 mois. Ainsi, rien ne les empêchait de réclamer une plus longue indemnité.

Après analyse des facteurs pertinents, le juge Collier fixe à 18 mois la durée du préavis auquel ont droit les Intimés. Il passe ensuite à la question de la mitigation des dommages, puisque les Intimés ont gagnés des revenus pendant cette période. Il indique cependant que cette mitigation ne s'appliquera que pour les six mois additionnels accordés et pas pour la période de 12 mois prévues par leur contrat d'emploi.

C'est sur ce dernier point que j'avais formulé une critique. Or, l'Honorable juge Geneviève Marcotte, au nom d'une formation majoritaire, vient confirmer le jugement de première instance sur la question et approuver la méthodologie du juge Collier:

(49) J’estime que le juge n’a pas erré en considérant qu’en vertu de ces contrats d’emploi, Structures avait accepté de verser des indemnités de départ de 85 000 dollars sans égard aux autres revenus que les frères Meloche pourraient gagner pendant la période de douze mois. De ce fait, les appelants ont renoncé à réclamer la mitigation pour cette période en continuant de verser les indemnités sans jamais réclamer qu’elles soient réduites des montants gagnés ailleurs, et ce, même après réception de la mise en demeure et une fois la poursuite intentée, alors que les intimés leur réclamaient une indemnité de départ tenant lieu de préavis de 30 mois.

(50) Dans ce contexte et en l’absence de la démonstration d’une erreur révisable du juge d’instance, j’estime qu’il n’y a pas lieu d’intervenir pour modifier la conclusion du juge voulant que seuls les revenus gagnés par les intimés au cours de la période supplémentaire de six mois qui a suivi les premiers douze mois du délai de congé doivent être déduits des indemnités.

Je me console quand même en notant que l'Honorable juge Paul Vézina opine - comme je le faisais - que le juge de première instance ne pouvait simultanément donner effet à la clause pénale et accorder aux Intimés un montant plus important que celle-ci:

(161) Le Juge aurait pu simplement appliquer cette clause pénale et constater que la « peine » (C.c.Q., art. 1622) à payer par les Appelants était de 85 000 dollars, « représentant les dommages-intérêts liquidés » des Intimés.

(162) L’avantage de cette clause pour les Intimés, qui l’avaient demandée, est que chacun « a droit au montant de la peine stipulée sans avoir à prouver le préjudice qu’il a subi » (C.c.Q., art. 1623).

(163) En conséquence, les Appelants ne pouvaient exiger une réduction de la « peine » de 85 000 dollars du fait que les Intimés ont trouvé un nouvel emploi et ont perçu du salaire durant l’année suivant leur mise à pied. Ainsi, l’Intimé Alain Meloche a touché 85 000 dollars des Appelants plus son salaire d’un nouvel emploi, 51 500 dollars, pour un total de 136 500 dollars, soit presqu’une fois et demie sa rémunération annuelle de 93 600 dollars. Pour le second, le total est de 176 300 dollars, pas loin du double.

(164) Le Juge pouvait aussi écarter la clause du contrat s’il jugeait que le délai-congé n’était pas raisonnable. Il est établi que le salarié mis à pied a droit à « un délai de congé raisonnable » (C.c.Q., art. 2041). Il s’agit d’une disposition d’ordre public à laquelle il ne peut renoncer, comme l’édicte le Code civil :

(...)

(165) Le Juge pouvait écarter la clause 7 s’il y voyait une « renonciation » à une indemnité raisonnable. Il ne pouvait toutefois la juger contraire à l’ordre public et en même temps la mettre en application, ce qu’il a fait.

Ce jugement confirme donc ce que j’ai déjà écrit dans la présente chronique à savoir qu’il est une très mauvaise idée pour un employeur québécois d’inclure une clause dans un contrat d’emploi qui fixe la durée du préavis. Une telle clause ne peut être qu’à l’avantage de l’employé et ne pourra jamais lui être opposée.

''Karim Renno est associé fondateur du cabinet Renno Vathilakis Inc. Il est le fondateur et rédacteur en chef du blogue juridique À bon droit où il publie quotidiennement des billets de jurisprudence.''
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