La mise en demeure en 7 points

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Emeline Magnier

2015-07-09 15:00:00

La bâtonnière du Québec a formellement mis en demeure le Conseil d’administration du Barreau du Québec d’annuler sa suspension. Quels sont ses arguments ?

Lu Chan Khuong a formellement mis en demeure le Conseil d’administration d’annuler sa suspension
Lu Chan Khuong a formellement mis en demeure le Conseil d’administration d’annuler sa suspension
C'est une mise en demeure de 16 pages délivrée par huissier qu'ont reçue ce matin Me Lise Tremblay, directrice générale du Barreau du Québec, Me Sylvie Champagne, secrétaire de l'Ordre et les 13 membres du Conseil d'administration du Barreau du Québec (CA) - neuf avocats et quatre membres du public, deux membres avocats n’ont pas pris part aux réunions - qui ont voté à l'unanimité la suspension de la bâtonnière Lu Chan Khuong le 1er juillet dernier. Celle-ci a mandaté Me Jean-François Bertrand, de Québec, pour agir en son nom.

S’il est mentionné en préambule que la bâtonnière est consternée à l'idée de devoir mettre en demeure son Ordre professionnel, elle considère n'avoir d'autre choix considérant la décision « intempestive, illégale et déraisonnable » prise par le CA.

Cette résolution ne constituerait en réalité « qu'une tentative de court-circuiter le résultat du vote démocratique des membres ». Rappelons-le, le 22 mai dernier, Me Khuong a été élue avec 63 % des suffrages devant Me Luc Deshaies, de Gowlings.

La mise en demeure retrace ensuite la trame factuelle des événements. Il y est notamment indiqué que les réunions du CA qui se sont tenues le 30 juin et 1er juillet 2015 se sont toutes déroulées par téléphone. Il y est également confirmé, comme l'indiquait précédemment Droit-inc, que Me Khuong a appris sa suspension dans une nouvelle publiée sur La Presse+ le 1er juillet à 14h41, alors qu'elle était convoquée par le CA à 15h00.

Voici un exposé des éléments clés de la mise en demeure :

1- Absence de compétence du CA du Barreau du Québec :

D'après Me Bertrand, les pouvoirs du CA sont strictement encadrés par la Loi sur le Barreau (art. 15 à 22.1) et ne comprennent pas de pouvoirs généraux, contrairement aux conseils de section.

Aucune disposition ne prévoit la possibilité pour le CA de suspendre l'un de ses membres. Le Code d'éthique et de déontologie des membres du CA, qui n'est ni une loi, ni un règlement, ne saurait constituer une assise légale suffisante, soutient l'avocat. Le code d'éthique n'est d'ailleurs nullement mentionné dans la résolution de suspension, et son existence était ignorée du service des communications du Barreau, indique la mise en demeure.

Le Code des professions et le Code civil du Québec ne comprennent aucune disposition relative à la destitution ou suspension d'un administrateur. De plus, le CA ne saurait invoquer les dispositions du Code de déontologie des avocats : seul le syndic a la prérogative de déterminer si une plainte disciplinaire doit être portée, considère Me Bertrand.

2- Violation du droit d'être entendue :

La mise en demeure rappelle qu'il s'est écoulé moins de 24 heures entre la première réunion du CA le 30 juin à 16h00 et la suspension de la bâtonnière le 1er juillet à 15h00. Le principe de justice naturelle selon lequel toute personne a le droit d'être entendue n'aurait donc pas été respecté. « La personne (…) doit avoir la possibilité réelle de faire connaître son point de vue (…) elle doit être informée au préalable, avec un préavis raisonnable, de la procédure entreprise contre elle (…), peut-on lire dans la mise en demeure.

Me Khuong n'aurait pour sa part bénéficié que « de simulacres de préavis » « en guise de convocation ».

3- Violation du droit d'être traitée de façon impartiale :

Me Jean-François Bertrand, avocat de Me Khuong
Me Jean-François Bertrand, avocat de Me Khuong
Le CA se serait comporté comme juge et partie notamment en se référant injustement au Code de déontologie des avocats (comme mentionné plus haut).

Me Bertrand souligne aussi que le CA a conclu à la culpabilité de sa cliente, sans respecter le principe de la présomption d'innocence. « Le conseil d'administration de l'Ordre a appris (…) l'existence du dossier de traitement non-judiciaire d'une infraction commise par la bâtonnière Khuong », pouvait-on lire dans un communiqué émis par le Barreau le 1er juillet.

« Le soussigné réserve pour le moment ses commentaires portant sur l'apparence de conflit d'intérêts de certains membres du CA et s'explique encore mal comment le journaliste de La Presse a pu apprendre avant Me Khuong qu'elle était suspendue. (…) tout indique que les administrateurs ont manqué à leurs devoirs de réserve, de discrétion et de confidentialité.»

4- Absence d'obligation légale de mentionner le Programme de traitement non judiciaire :

Le Code des professions (art.59.3) oblige les professionnels à aviser leur ordre dans les 10 jours à compter de celui où ils sont informés qu'ils ont été reconnus coupables au Canada ou à l'étranger d'une infraction criminelle ou disciplinaire. De plus, le DPCP avise l'Ordre professionnel dont un membre est accusé d'avoir commis un acte ou une infraction criminels, ce qui n’a pas été le cas.

Le formulaire de candidature au poste de bâtonnier ne comporte aucune question sur la moralité ou les démêlés qu'aurait pu avoir un candidat avec la justice.

Me Khuong n'avait donc aucune obligation légale ou réglementaire de dénoncer avoir fait l'objet d'une procédure de non-judiciairisation, considère Me Bertrand. Une telle divulgation « ne constituerait qu'une dénaturation et un désaveu du Programme de traitement non judiciaire, lequel vise justement à garder confidentielle l'identité du bénéficiaire.»

5- Absence d'obligation morale de mentionner le programme de traitement non judiciaire :

« (…) la bâtonnière si c'était à refaire, aurait à l'époque refusé d'adhérer au Programme (...) sachant que sa confidentialité allait être violée. Elle aurait préféré, et de loin, subir un procès pour blanchir son honneur et sa réputation par l'obtention d'un acquittement », peut-on lire dans la mise en demeure.

Le processus est strictement confidentiel, il n'y a aucune accusation déposée, aucun dossier criminel n'en résulte. Me Khuong est une personnalité publique, épouse d'un ex-ministre de la Justice, Me Marc Bellemare. Si elle avait décidé de s'opposer au programme, elle risquait de « subir le procès le plus médiatisé de l'histoire du Québec pour une plainte pour vol à l'étalage », souligne son avocat.

Il n'y a, selon lui, rien de moralement répréhensible à ne pas dénoncer ce que l'on considère comme une pure et simple distraction.

6- Les propos reprochés à la bâtonnière :

La citation de Me Khuong a l'effet qu'elle avait fait le choix de la non-judiciairisation pour « éviter de perdre (son) temps à la cour » doit être reprise dans son contexte. Elle n'a jamais voulu porter atteinte à l'intégrité du système de justice et elle n'a jamais eu la chance de s'expliquer sur cette déclaration, souligne Me Bertrand.

Par ailleurs, le facteur temps est l'un des éléments pris en considération par les parties qui s'engagent dans un processus de règlement à l'amiable. De plus, la question des délais inhérents au système de justice est dénoncée par tous les intervenants du système judiciaire.

7- Conclusions recherchées par la mise en demeure

La décision de suspension est nulle et illégale, le CA n'est pas le forum approprié et ne dispose pas des pouvoirs nécessaires. Il doit donc annuler la résolution du 1er juillet et offrir sans délai des excuses publiques à la bâtonnière à défaut de quoi cette dernière prendra les recours légaux pour faire annuler la résolution et obtenir réparation.

Elle réserve également ses droits et recours en dommages et intérêts contre les membres du CA « puisque leurs faits et gestes illégaux et intentionnels ont grandement porté atteinte à sa réputation », conclut la mise en demeure.

Pour consulter la mise en demeure, cliquez ici.

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