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Pour une loi sur la présentation d’excuses

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Jean Saint-onge Et Robert-jean Chénier

2015-09-30 11:15:00

Selon ces deux avocats, le Québec aurait intérêt à faire adopter une loi offrant une protection juridique des excuses qui ne seraient pas considérées comme une admission de responsabilité...

Me Jean Saint-Onge est associé au sein du groupe Litige de Lavery
Me Jean Saint-Onge est associé au sein du groupe Litige de Lavery
L’excuse et le pardon sont des piliers de la cohésion sociale. S’excuser est un geste de bonne volonté et d’humanité, qui peut entraîner le pardon et une réconciliation avec la personne affectée.

Si, pour l’enfant, s’excuser n’a pas de conséquence grave, l’excuse peut devenir une arme dangereuse qui joue contre l’adulte dans un contexte où il devient plus prudent, sinon justifié, de ne pas poser ce geste moral craignant que cela constitue une admission de responsabilité dans un litige civil.

En 2011, un sous-comité du Comité sur la justice participative du Barreau du Québec a produit un mémoire recommandant l’adoption d’une loi sur la présentation d’excuses au Québec en vue d’encourager l’expression d’excuses et de faire évoluer les mentalités quant au rôle que doivent jouer les excuses et la façon d’aborder les conflits et leur résolution.

La mesure de cette protection englobe les excuses qui attestent de la faute ou d’actes préjudiciables, mais sans que celles-ci constituent un aveu de faute ou de responsabilité qui serait admissible comme élément de preuve devant les tribunaux pour établir la faute ou la responsabilité d’une personne.

Dans l’environnement juridique actuel au Québec, les excuses et regrets d’une personne pourraient être considérés comme un aveu de responsabilité laissé à l’appréciation du juge. Or, les plaideurs savent que l’aveu est la meilleure preuve qui soit. Un changement législatif est donc nécessaire afin de dissocier complètement la présentation d’excuses de la responsabilité de l’auteur du préjudice.

Contexte historique

La première loi sur la protection juridique des excuses fut adoptée par le Massachusetts en 1986 à la suite du décès de la fille d’un sénateur dans un accident d’automobile. On apprit plus tard que le conducteur avait refusé de s’excuser par crainte de l’impact d’un tel geste dans le litige civil découlant de l’accident. Cet événement incita cet État à mettre en place un régime de protection destiné à procurer un environnement sécuritaire pour quiconque souhaiterait présenter des excuses.

Par la suite, 36 autres États américains ont adopté entre 2000 et 2009 une législation protégeant la présentation d’excuses dans le cadre d’une action civile. Certains états ont choisi de restreindre les excuses aux seuls cas découlant d’une erreur médicale. En Australie, la majorité des États ont aussi adopté en 2002 une loi protégeant les excuses complètes. En Grande-Bretagne, la présentation d’excuses est protégée juridiquement depuis l’adoption du Compensation Act en 2006.

Au Canada, la Colombie-Britannique fut la première province à adopter en 2006 une loi sur la présentation d’excuses (Apology Act), laquelle a servi de modèle à la Saskatchewan et au Manitoba en 2007, puis l’Ontario en 2009. Aujourd’hui, seuls le Québec, le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard et le Yukon n’ont pas adopté de loi offrant une protection juridique des excuses.

Psychologie de l’excuse

Me Robert-Jean Chénier est associé au sein du groupe de litige de McCarthy Tétrault
Me Robert-Jean Chénier est associé au sein du groupe de litige de McCarthy Tétrault
Des recherches sur les besoins des personnes qui ont été victimes d’un préjudice causé par la faute d’un tiers, réalisées par l’Institute for Human Resources Development pour le compte de la Commission du droit du Canada, montrent que la majorité des revendicateurs d’excuses sont davantage motivés par leur besoin de guérison que par des besoins purement financiers.

Les excuses peuvent jouer un rôle important pour aider au règlement rapide et efficace des différends puisqu’elles ont pour effet d’aborder une gamme de préoccupations intangibles et légitimes que le système judiciaire ne peut satisfaire. L’indemnité financière réclamée peut parfois atteindre des proportions irréalistes et démesurées lorsque plaider au prétoire est le seul outil d’indemnisation. Les chercheurs et auteurs qui ont étudié cette question estiment que les excuses servent à humaniser les conflits et les litiges pour rendre la justice « ... plus holistique, multidimensionnelle et pertinente ».

Justice participative

L’émergence des modes alternatifs de règlement des conflits et la justice participative préconisée par le nouveau Code de procédure civile du Québec qui devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2016 créent un encadrement qui favorise les situations où l’individu pourra prendre une part active au règlement de son conflit, valorisant d’autres méthodes de règlement des différends que la résolution judiciaire. Dans ce contexte, un régime de protection juridique des excuses s’ajouterait aux solutions destinées à résoudre un différend.

Les excuses procurent un bénéfice moral et psychologique qui est complémentaire à l’indemnité financière que la victime recherche. Le législateur doit privilégier un régime de protection pour les excuses qui permettrait à l’auteur de reconnaître la faute ou l’acte préjudiciable sans subir les conséquences judiciaires découlant de ce geste. Ces nouvelles dispositions législatives devraient se retrouver dans le Code civil du Québec et s’appliquer uniquement aux matières civiles, administratives ou arbitrales.

À titre de membres du Barreau représentant des clients impliqués dans des litiges, nous nous réjouissons de cette initiative de notre ordre professionnel. Le Québec ferait un grand pas en valorisant l’humanité et un peu plus d’empathie dans le règlement harmonieux de différends.

Me Jean Saint-Onge est associé au sein du groupe Litige de Lavery et concentre sa pratique dans les domaines des recours collectifs, la responsabilité du fabricant et du vendeur, droit de la concurrence et du droit de l'environnement.

Me Robert-Jean Chénier est associé au sein du groupe de litige de McCarthy Tétrault et se spécialise en droit de la santé.

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