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Nouveau Code ou boîte de Pandore?

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Edmund Coates

2015-11-30 11:15:00

Selon l’auteur, le texte anglais du nouveau Code de procédure civile comporte de nombreuses lacunes par rapport au texte en français...

Edmund Coates est un avocat et jurilinguiste montréalais
Edmund Coates est un avocat et jurilinguiste montréalais
Janvier prochain, un nouveau Code de procédure civile entrera en vigueur au Québec, promettant une justice à meilleur rendement et plus économique, une justice invitant une participation élargie, une justice favorisant un esprit de coopération et d’équilibre. Cependant ce nouveau Code est lézardé de haut en bas par la négligence de son texte anglais.

Déjà aujourd’hui la médiocrité des textes anglais des lois du Québec produit une nuée de délais, d’incertitudes et de litiges. Tant les anglophones que les francophones doivent porter les frais de textes anglais truffés d’ambiguïtés, d’obscurités et de choix terminologiques discutables ; ils doivent porter les frais des discordances entre les textes anglais et les textes français.

Depuis 1867, la Constitution reconnaît l’autorité du texte français et du texte anglais des lois du Québec. En outre, la Charte de la langue française prévoit que les deux textes ont la même valeur juridique. Devant une obscurité, une ambiguïté ou une discordance, les tribunaux doivent s’ingénier pour interpréter les deux textes officiels ensemble (sans présomption en faveur de l’un ou l’autre texte).

La norme ailleurs au Canada et en Europe est de confier la révision et l’évaluation du texte anglais, pour un projet de loi bilingue, à des légistes anglophones bilingues (et de confier les textes français à des légistes francophones bilingues). Au sein de la fonction publique québécoise, les pratiques de recrutement et de promotion rendent la présence d’un légiste anglophone bilingue à Québec aussi probable que celle d’un zèbre dans les rues de Chicoutimi.

En revanche, mieux vaut pour cette tâche un juriste francophone bilingue qu’un juriste francophone unilingue. Au sein de la Direction générale des affaires juridiques et législatives, du ministère de la Justice du Québec, il avait encore jusqu’à récemment quelques juristes francophones bilingues (plus ou moins). Leur recrutement remonte à la fin des années 1970 et le début des années 1980, avant que les nouvelles politiques ne soient bien ancrées. Mais ces juristes ont progressivement pris leur retraite et n’ont pas été remplacés.

Recruter des légistes bilingues ?

Certains diront qu’il n’est pas nécessaire que le ministère de la Justice dispose d’un certain nombre de légistes bilingues, qui évalueraient la qualité du texte anglais des projets de loi et assureraient l’accord du texte anglais avec le texte français. Ils diront que l’étude à l’Assemblée nationale devrait suffire pour parfaire les deux textes. Mais l’Assemblée n’étudie pas le texte anglais.

Le texte anglais n’est pas entièrement laissé pour compte, puisqu’il est le fruit du service de traduction de l’Assemblée nationale. Mais la négligence du texte anglais par le gouvernement gêne les efforts des traducteurs. Les traducteurs sont à la fin du processus et sont donc soumis à des délais très serrés. D’ailleurs, ils n’ont pas une formation de légiste.

Certains diront qu’il est impossible de préparer des textes anglais de qualité au Québec : ces lecteurs ont mangé du lotus. Entre le milieu du 119e siècle et les années 1970, les fondations législatives du droit privé québécois ont été posées par la collaboration de juristes qui étaient à l’aise en anglais et en français. Ce fut notamment le cas de la commission qui a rédigé le Code civil du Bas Canada (1866) et le premier Code de procédure civile (1867).

Chacune des commissions qui a effectué des révisions en profondeur du Code de procédure civile compte parmi ses membres un juriste d’expérience qui était particulièrement compétent en anglais, tout en connaissant bien le français : le juge Charles Peers Davidson en 1897 et le juge George S. Challies en 1965. Les québécois de notre siècle seraient tout aussi capables de rédiger des textes clairs, cohérents et concis, des textes fidèles tant au génie de la langue anglaise que celui de la langue française.

Certaines voix suggéreront que les impératifs de la productivité interdisent la préparation de textes anglais bien rédigés et en harmonie avec les textes français. Ces voix craignent que la participation de légistes bilingues ne ralentisse un peu le processus de rédaction et d’étude des lois. Pourtant, l’Assemblée nationale n’est pas une usine de robinetterie à bon marché.

Pour conclure, la valorisation du français, au sein de la fonction publique québécoise, est un objectif louable. Mais la fonction publique doit aussi être en mesure de fournir le soutien nécessaire à nos représentants élus, pour que ces derniers puissent s’acquitter de leurs responsabilités convenablement.

Edmund Coates est un avocat et jurilinguiste montréalais.
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4 commentaires

  1. Code1016
    Code1016
    il y a 8 ans
    Rumeurs
    Est-ce que ce malaise relativement à la traduction est à l'origine des nombreuses rumeurs voulant que l'entrée en vigueur du Code serait retardé à mars 2016?

    J'espère que nous serons bientôt fixés à ce sujet.

    P.S.: La traduction est en effet pitoyable...

  2. Avocat
    Avocat
    il y a 8 ans
    Le pire dans tout ça
    il parait que c'était un co-rédaction et non une traduction. si cette info est vraie, c'est encore plus pathétique.

    • AC
      Information fausse
      Il s'agit bien d'une traduction. Ce qui n'est guère plus encourageant.

  3. Zebra
    Zebra
    il y a 8 ans
    Versions anglaises
    I am a criminal laywer, but a partner at my firm who knows such things tells me that in many respects the English version of the new code is helpful and clears up some ambiguities in the French version.

    That said, you are right that if the BNA Act says the two versions are equal, you obviously have to have bilingual jurists drafting the legislation. Otherwise, even if the result were acceptable, it would be like a case of a stopped clock being right twice a day.

    Zebra out

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