Soquij

Cannabis et vices cachés

Main image

Emmanuelle Faulkner

2016-02-04 11:15:00

La culture de marijuana dans un immeuble est-elle pire que la survenance d’un suicide ? La réponse de cette conseillère juridique pourrait bien vous surprendre…

Emmanuelle Faulkner est conseillère juridique à SOQUIJ depuis 2010
Emmanuelle Faulkner est conseillère juridique à SOQUIJ depuis 2010
Selon l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ), des centaines de maisons ont déjà servi à la culture de marijuana. Puisque ce fait n’est pas toujours de notoriété publique, l’organisme recommande aux courtiers immobiliers de porter attention à certains indices pouvant révéler qu’un immeuble a déjà servi à cette fin.

Si ceux-ci ne sont pas décelés à temps par le courtier ou l’inspecteur en bâtiments retenu par l’acheteur, ce dernier risque par la suite d’avoir de mauvaises surprises…

Voici quelques exemples tirés de la jurisprudence récente.

Dans une récente affaire (Duchesneau c. Marion), l’acheteur ayant découvert que l’immeuble avait déjà servi à la culture de la marijuana réclamait à son vendeur le coût des travaux de décontamination requis. Le juge a conclu que non seulement les moisissures décelées dans l’immeuble contribuaient à la détérioration progressive de celui-ci, mais qu’elles constituaient également un risque pour la santé des occupants.

Il a jugé non crédible la version du vendeur, qui affirmait n’avoir jamais eu connaissance de cette plantation de cannabis sur les lieux, que le locataire aurait laissés en bon état. Or, le juge a noté que le démantèlement de l’équipement dans le contexte d’une perquisition n’avait pu se faire sans laisser de traces et que le vendeur avait tenté de camoufler celles-ci. Il a donc condamné ce dernier à payer 15 000 $ à l’acheteur.

Dans Cordero c. Sebti, la Cour d’appel a également conclu que la présence de spores au sous-sol de l’immeuble vendu par l’appelant et utilisé comme lieu de production de cannabis constituait un vice caché. Le déficit d’usage avait été démontré par le témoignage de deux experts, qui ont confirmé que les fondations devaient être décontaminées.

Le juge de première instance avait accordé aux acheteurs une diminution du prix de vente de 25 000 $, tout en ordonnant le remboursement du coût des travaux correctifs (17 437 $), mais la Cour d’appel a conclu qu’il s’agissait là d’un double emploi. D’ailleurs, aucune preuve n’avait démontré que l’immeuble avait perdu de sa valeur du seul fait qu’il y avait eu une plantation de cannabis sur les lieux pendant deux ou trois mois.

La Cour a donc maintenu la condamnation relative aux dommages moraux (5 000 $) pour les inconvénients subis par les acheteurs ainsi que celle pour les travaux correctifs, mais elle a retranché la somme de 25 000 $ accordée à titre de diminution du prix de vente. Au total, c’est donc 22 437 $ que le vendeur a dû payer aux acheteurs.

Enfin, dans Berardini c. Bashaw, les acheteurs d’une résidence qui ignoraient lors de la vente que l’immeuble avait fait l’objet d’une perquisition pour culture de cannabis ont obtenu des vendeurs une diminution du prix de vente de 81 782 $ afin de compenser la perte subie lors de la revente ainsi que des dommages-intérêts de 25 000 $. Les vendeurs savaient que la maison avait été utilisée pour cultiver de la marijuana, mais ils avaient omis d’en informer les acheteurs.

Cette information est de nature à influer sur une transaction immobilière. Les acheteurs n’ont pas à prouver qu’il en a résulté un vice caché. D’ailleurs, le courtier des acheteurs, qui avait plusieurs années d’expérience, a affirmé que le fait qu’il y ait déjà eu une culture de marijuana dans un immeuble était pire que la survenance d’un suicide, d’autant plus lorsque des gens veulent acheter une résidence pour y loger des enfants. Le consentement des acheteurs avait été vicié par le dol des vendeurs.

Références
  • Duchesneau c. Marion (C.Q., 2015-12-10), 2015 QCCQ 13120, SOQUIJ AZ-51240560.

  • Cordero c. Sebti (C.A., 2014-03-20), 2014 QCCA 595, SOQUIJ AZ-51057119, 2014EXP-1154, J.E. 2014-629.

  • Berardini c. Bashaw (C.S., 2015-05-29), 2015 QCCS 2374, SOQUIJ AZ-51180660, 2015EXP-1951, J.E. 2015-1073.


Emmanuelle Faulkner est conseillère juridique à SOQUIJ depuis 2010.

Avant de se joindre à SOQUIJ, elle a notamment travaillé comme avocate au gouvernement fédéral et en pratique privée, en litige fiscal et civil. Enfin, elle a également exercé la fonction d’éditrice juridique chez LexisNexis Canada et de recherchiste au CAIJ.

Elle écrit pour les Express en matière de contrats d’entreprise et de services, de contrats spéciaux, de vente, d’injonction, de mandat, de libéralités, de droit des personnes, de protection du consommateur et de transport.
31262

Publier un nouveau commentaire

Annuler
Remarque

Votre commentaire doit être approuvé par un modérateur avant d’être affiché.

NETiquette sur les commentaires

Les commentaires sont les bienvenus sur le site. Ils sont validés par la Rédaction avant d’être publiés et exclus s’ils présentent un caractère injurieux, raciste ou diffamatoire. Si malgré cette politique de modération, un commentaire publié sur le site vous dérange, prenez immédiatement contact par courriel (info@droit-inc.com) avec la Rédaction. Si votre demande apparait légitime, le commentaire sera retiré sur le champ. Vous pouvez également utiliser l’espace dédié aux commentaires pour publier, dans les mêmes conditions de validation, un droit de réponse.

Bien à vous,

La Rédaction de Droit-inc.com

PLUS

Articles similaires