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Le rouleau compresseur

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Aurélie Lanctôt

2016-03-30 11:15:00

Le procès de Jian Ghomeshi nous rappelle que le système judiciaire acquitte trop souvent les agresseurs en broyant les victimes au passage, déplore cette étudiante en droit de McGill…

Aurélie Lanctôt est diplômée en journalisme de l'Université du Québec à Montréal et étudiante en droit à l'Université McGill. Crédit photo: Ivanoh Demers, La Presse
Aurélie Lanctôt est diplômée en journalisme de l'Université du Québec à Montréal et étudiante en droit à l'Université McGill. Crédit photo: Ivanoh Demers, La Presse
Jeudi, l’ex-animateur vedette de CBC Jian Ghomeshi a été acquitté des accusations d’agression sexuelle qui pesaient contre lui. Lors du procès, en février dernier, l’avocate de la défense, Marie Henein, a mis en exergue toute une série de détails incohérents des témoignages des plaignantes.

Lors des contre-interrogatoires, elle a aussi sorti de son chapeau des éléments de preuve dont la poursuite n’avait pas eu connaissance, visant à ébranler la crédibilité des témoignages des femmes accusant Ghomeshi. Des échanges de courriels entre les présumées victimes où elles exprimaient leur désir de voir Ghomeshi condamné. Des photos aguicheuses, puis une lettre tendre et torride envoyée à l’accusé après les faits reprochés. Qui agirait ainsi avec son agresseur ?

On a beaucoup déploré que la défense se soit acharnée sur la crédibilité des témoignages des plaignantes. Or, dans cette affaire, la preuve reposait entièrement sur les témoignages des parties, vu la nature des allégations. Il n’est donc pas surprenant que les témoignages aient ainsi été passés au crible par la défense.

Lors des contre-interrogatoires, de nombreuses voix se sont aussi élevées, dans l’espace public, pour rappeler qu’il était courant que des victimes retournent vers leur agresseur après les faits allégués, pour normaliser les événements traumatisants. Cela ne signifie pas qu’une agression n’ait pas pu avoir lieu auparavant.

Aucun témoin expert n’a été appelé à l’expliquer devant le tribunal. Et visiblement, les éléments soulevés par la défense ont suffi à semer le doute dans l’esprit du juge William Horkins. Celui-ci a conclu que la crédibilité des témoignages des plaignantes avait été entachée par des incongruités, des comportements discutables et des supercheries, rendant impossible de déclarer coupable l’accusé hors de tout doute raisonnable.

Évidemment, rien ne sert de faire de Marie Henein la cible de notre amertume par rapport au dénouement du procès. Elle n’a fait que son travail. Ce procès nous rappelle cependant que l’acquittement des accusés se fait souvent en broyant les victimes, et que l’opinion publique est toujours aussi prompte à montrer du doigt et à humilier les femmes qui n’ont pas gain de cause, devant la justice.

La culture de la honte demeure intacte

Sans suggérer que le juge Horkins ait erré en rendant sa décision, il est terriblement choquant de déceler encore, en filigrane de toute cette histoire, le stéréotype rétrograde qui suppose que seules des « victimes parfaites » peuvent légitimement dénoncer leur agresseur. Bien sûr, il ne s’agit pas de dire que les accusés d’agression sexuelle n’ont pas droit à une défense pleine et entière. Mais il faut décrier le fait qu’au sein d’une société soi-disant égalitaire, les femmes qui dénoncent une agression passent presque invariablement sous un rouleau compresseur, autant au tribunal que sur la place publique. Et cela est d’autant plus violent qu’elles se retrouvent souvent seules à porter le fardeau de leur dénonciation.

En effet, beaucoup de femmes qui dénoncent une agression n’ont pas accès à des conseils juridiques substantiels, ni à l’aide psychologique dont elles auraient besoin, faute de ressources. Il n’est donc pas surprenant qu’elles soient nombreuses à reculer devant le processus judiciaire. Il s’agit d’ailleurs d’un enjeu d’accès à la justice bien réel, dont on ne parle que trop peu.

Il est par ailleurs atterrant de constater que les leçons tirées du mouvement #AgressionNonDénoncée ont si vite été oubliées. Tout au long du procès Ghomeshi, le comportement des femmes a été le point focal des discussions et de l’analyse médiatique.

Lors des contre-interrogatoires de la défense, les plumitifs et les gérants d’estrade se sont régalés de la déconfiture des plaignantes. Nous avons subi une véritable déferlante de commentaires misogynes, qui nous révèlent que la culture de la honte et du silence entourant la violence sexuelle est toujours intacte.

Il subsiste certes des failles dans le traitement judiciaire des agressions sexuelles. Mais prise dans son ensemble, l’affaire Ghomeshi révèle une trahison encore plus grande à l’égard des victimes, qui s’étend bien au-delà des portes du tribunal. Il est facile, après tout, de déplorer que le système judiciaire laisse tomber les femmes qui dénoncent une agression, si l’on omet que ce système n’est que le reflet de notre propension collective à faire preuve envers elles d’une réelle solidarité.

Si le jugement rendu hier par la Cour de justice de l’Ontario déçoit, n’oublions pas que la responsabilité de cette déception nous revient à tous. C’est à la société de dicter les changements qu’elle veut voir inscrits dans la loi, car l’inverse ne sera jamais suffisant. Espérons que cette sordide affaire nous fasse au moins prendre conscience de cela.

Ce texte est initialement paru dans Le Devoir.

Aurélie Lanctôt est diplômée en journalisme de l'Université du Québec à Montréal et étudiante en droit à l'Université McGill. Elle est également chroniqueuse à la Gazette des femmes et ICI Radio-Canada Première, et auteure d'un essai sur les femmes et l'austérité, publié à l'automne 2015 chez Lux éditeur.
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10 commentaires

  1. me
    Allez lire le jugement..
    Il suffit de bien lire le jugement pour voir que les victimes n'avaient pas de crédibilité aux yeux du juge et le juge prend soin de dire pourquoi les versions ne sont pas fiables sur 26 pages. D'ailleurs en lisant les notes, je crois que même un non juriste comprendrait que les victimes ne sont pas fiables.
    ce procès ne détruit rien du tout et ne dit pas que les actes n'ont pas eu lieu..il dit simplement aux 3 victimes..prenez moi pas pour une valise... c'est un résultat tout à fait correct et juste. Il respecte le fardeau de preuve.

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 8 ans
    Ouain...
    Texte intéressant qui ne s'applique cependant probablement pas aussi bien à l'affaire Ghomeshi qu'à d'autres causes où de telles conclusions seraient sans doute plus appropriées.

    Le problème dans cette cause n'est pas que les victimes ne soient pas parfaites, c'est plutôt qu'elles ont été moins qu'honnêtes, changeant leurs versions au fil des années et ayant oublié des détails plutôt significatifs.

    Dans l'appréciation de la preuve il semble normal de considérer l'ensemble des faits. Dans le cas présent, les oublis de certains faits ne pouvaient que semer le doute, sauf évidemment si on avait déjà conclu quant au résultat du procès avant même que le procès n'ait eu lieu.

    Si certains déplorent le sort des victimes, avec raison, nous ne devrions pas non plus oublié le sort que subit la présomption d'innocence dans les cas d'aggression sexuelles. Avec respect, elle semble avoir été passablement malmené dans le cas présent, du moins selon les commentaires de certains qui se disent déçues du verdict.

  3. Anonyme
    Anonyme
    il y a 8 ans
    Avons nous lu le même jugement?
    La première partie de ce texte parle encore du comportement des plaignantes vis-à-vis l'accusé suivant les événements. Combien de fois faudra-t-il le dire: ce n'est pas en raison de la photo en bikini etc. que les plaignantes n'ont pas été jugées crédibles, c'est parce qu'elles ont menti. Le jugement le mentionne à plusieurs reprises (ex paras. 44, 94, 114, 119, 139). Il est évident que si les plaignantes avaient été honnêtes dès le départ, nous aurions assisté à un tout autre procès, possiblement avec un témoin expert présenté par la poursuite.

  4. Isabelle
    Isabelle
    il y a 8 ans
    Parlez poiur vous, Mme Lanctôt
    "n’oublions pas que la responsabilité de cette déception nous revient à tous."

    Non. Pas moi. Parlez pour vous, Madame Lanctôt.

    Je n'ai jamais menti sous serment. Jamais. Et les rares fois où j'ai eu à m'adresser à des policiers, je n'ai pas menti - ni tronqué la vérité pour que ça m'arrange - non plus.

    Je ne veux pas accabler davantage ces femmes que je ne connais pas, mais est-ce qu'elles réalisent à quel point elles ont nui aux victimes qui hésitent à porter plainte de peur de ne pas être crues?

  5. Statisticien
    Statisticien
    il y a 8 ans
    Statisticien en chef
    Le taux de condamnation pour les agressions sexuelles est d'environ 43%.

    Ça prend une preuve solide.

    http://www.statcan.gc.ca/pub/85-002-x/2010002/article/11293-fra.htm#a26

  6. Anonyme
    Anonyme
    il y a 8 ans
    Le mythe de la victime parfaite est effectivement un mythe
    "il est terriblement choquant de déceler encore, en filigrane de toute cette histoire, le stéréotype rétrograde qui suppose que seules des « victimes parfaites » peuvent légitimement dénoncer leur agresseur."


    Je vous suggère un autre explication que celle du rouleau-compresseur à plaignantes: celle de la police et de la couronne paresseuse.

    Si la théorie de la victime revenant vers son bourreau était pertinente en l'espèce, les forces de l'ordre auraient pu prendre les précautions d'usages visant à préserver la qualité de la preuve, et présenter une expertise.

    Voyant Ghomeshi comme une aubaine (une vedette que son employeur, Radio-Canada, abandonnerait à la première occasion, et sur laquelle s'abattrait les médias), elles n'ont pas cru nécessaire de retourner chaque pierres, sachant qu'elles pouvaient profiter des retombées d'un lynchage médiatique, et de l'appui de groupes de pression qui sacralisent la parole de ce type de plaignantes.

    L'examen de conscience, c'est du côté de la police, de la couronne, des groupes de pression et des médias qu'il est à faire.

  7. Anonyme
    Anonyme
    il y a 8 ans
    Avec égards
    Je crois que vous faites fausse route. Le juge semble avoir attribué le manque de crédibilité des plaignantes à leurs mensonges relatifs aux contacts avec Ghomeshi suite aux événements allégués plutôt qu'à ces contacts eux-mêmes. Le juge indique clairement que les victimes d'agressions peuvent avoir des comportements qui sembleraient anormaux aux gens n'ayant pas vécu ce genre de situation.

    Par ailleurs, il est vrai que le témoignage d'un expert sur les comportements des vitcimes d'aggressions aurait pu aider la cause de la poursuite. Encore aurait-il fallu que la poursuite soit au courant des contacts subséquents entre les plaignantes et l'accusé pour que ce témoignage soit pertinent.

    Le système de justice peut certainement être amélioré. Il serait sûrement possible d'en faire plus pour aider les victimes d'aggression. Toutefois, je ne crois pas que cette cause soit le bon cheval de bataille pour le mouvement des agressions non dénoncées. Ghomeshi était déjà condamné dans le tribunal de l'opinion publique bien avant le début du procès et les témoignages outrés de nombreuses féministes qui n'ont vraisemblabment pas lu le jugement ou qui se sont contentées d'en citer un passage hors contexte risquent de faire plus de tort aux victimes que le jugement lui-même. Car ce jugement n'amène pas à la conclusion de ne pas dénoncer à moins d'être une "victime parfaite". Ce jugement indique plutôt que les plaignants doivent être prêts à dire la vérité et toute la vérité. Il doit être très difficile d'exposer ainsi au public certains aspects de sa vie privée, mais ceci est parfois essentiel dans un système juridique basé sur la présomption d'innoncence.

    En terminant, en ce qui concerne l'opinion publique, je crois que les gens les plus expressifs ne sont pas toujours ceux ayant les opinions les plus mesurées. Heureusement, entre les réactionnaires mysogines et les féministes outrées, certains commentateurs ont su faire la part des choses.

  8. Anonyme
    Anonyme
    il y a 8 ans
    Sauf que...
    "Lors des contre-interrogatoires, de nombreuses voix se sont aussi élevées, dans l’espace public, pour rappeler qu’il était courant que des victimes retournent vers leur agresseur après les faits allégués, pour normaliser les événements traumatisants. Cela ne signifie pas qu’une agression n’ait pas pu avoir lieu auparavant.

    Aucun témoin expert n’a été appelé à l’expliquer devant le tribunal. Et visiblement, les éléments soulevés par la défense ont suffi à semer le doute dans l’esprit du juge William Horkins."

    Aucun témoin expert n’a été appelé parce qu'elles n'avaient pas dénoncé ces "détails" au procureur qui n'a pas été en mesure de colmaté la brèche. Vous le dites si bien : "Lors des contre-interrogatoires, elle a aussi sorti de son chapeau des éléments de preuve dont la poursuite n’avait pas eu connaissance"

    Désolé mais elles n'ont pas été franches et c'est cette élément qui a tout basculé. Si elles l'avaient dénoncé aux policiers et au procureur, je suis certain que des mesures auraient été prises pour désamorcer les bombes lancées par l'avocate de Gomeshi.

    En fait, ce procès aura servi a rappelé aux victimes que si elles décident de porter plaintes, elles doivent tout dire. C'est malheureux, mais des "victimes" qui inventent des histoires, ca existe. Et on le répète assez souvent, ces fausses victimes causent plus de tort au système qu n'importe quel procès, mais ca, faut pas en parler...

  9. Anonyme
    Anonyme
    il y a 8 ans
    Novel idea
    Hey, how about the possibility that the guy was actually not guilty? Crazy thought, no?

    I truly don't know if he was or not, but neither does anyone else save the accused and the victims. All the individuals complaining about the outcome are forgetting the presumption of innocence and the fact that some people are wrongly accused.

  10. Iconoclaste
    Iconoclaste
    il y a 8 ans
    Sortez de l'idéologie
    M'est d'avis que vous avez des croûtes à manger avant de comprendre ce qu'est le système judiciaire.

    Il est ici question de la liberté d'un homme et de sa vie. Il fait face à des accusations graves d'agression sexuelle. Ce que insinuez, c'est qu'il ne faudrait pas remettre en doute la parole des plaignantes, donc les croire sur parole? Ainsi, il ne faudrait pas les soumettre à un contre-interrogatoire pour serré censé déterrer la vérité?

    Vous oubliez que les plaignantes, tant que l'accusé n'a pas été déclaré coupable, ne sont PAS des victimes d'agression sexuelle, mais des plaignantes. Le but du procès est la recherche de la vérité. Comment, dès lors, croire ces plaignantes lorsqu'elles prétendent avoir été victimes d'agression sexuelle alors qu'elles mentent et trompent le tribunal?

    Vous est-il déjà venu à l'esprit que l'accusé pouvait être innocent?

    Vous parlez sans cesse de victimes, en parlant de ces femmes, mais il n'a aucunement été prouvé qu'elles ont subi des agressions sexuelles. Bien au contraire, leur tromperie et leur mensonge ont démontré qu'il y a fort à parier que leur histoire comporte des zones d'ombres énormes.

    Le phénomène des fausses dénonciations est aussi un fléau très répandu que vous semblez ignorer complètement. Le but du procès n'est pas de montrer à la face du monde que l'accusé est un salaud; le but du procès est de déterminer s'il est coupable.

    Mais vous semblez avoir fait cet exercice bien avant le procès en Cour...

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