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L'heure facturable nuit-elle aux avocates?

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Theodora Navarro

2016-07-20 11:15:00

Les cabinets sont prêts à promouvoir leurs avocates mais l’environnement même des firmes n’est pas adapté à la vie des femmes d’aujourd’hui, selon cette juriste…

Melanie Heller est Vice-présidente et directrice générale du service juridique de Bloomberg
Melanie Heller est Vice-présidente et directrice générale du service juridique de Bloomberg
Melanie Heller, Vice-présidente et directrice générale du service juridique de Bloomberg, s’est exprimée dans le cadre du Hackaton Woman in Law. Le sujet des femmes évoluant dans la sphère juridique est un sujet qui lui tient en effet particulièrement à coeur.

« Le problème que je veux souligner aujourd’hui est un aspect plus systémique, déclare-t-elle en préambule de son discours. Le fait que l’environnement même des firmes n’est pas adapté à la vie des femmes d’aujourd’hui. » Rappelant au passage que, malgré les avancées en termes de partage des tâches, les femmes sont encore les personnes qui gèrent le plus le foyer au sein d’un couple, Me Heller note que le moment où les avocates doivent fournir le plus de travail pour obtenir une place de choix au sein d’une firme coincide avec le moment où elles pourraient/devraient/voudraient avoir des enfants.

« Il y a peu de flexibilité dans la manière dont les cabinets gèrent les problèmes et leur vision se fait plutôt à court terme plutôt que de se projeter sur le long terme », souligne-t-elle encore. Et l’un des problèmes systémiques du métier qui nuit aux femmes, selon Me Heller, reste l’heure facturable.

Le problème de l’heure facturable

« Dans un milieu où les heures facturables sont la seule mesure possible du succès, il est difficile de concilier travail et vie de famille, déplore l’avocate. Chaque heure passée loin du bureau est une heure non facturée. » La norme est encore, selon elle, à la présence au bureau et à des heures considérées comme « de journée ».

Me Heller, ainsi qu’elle le raconte dans son discours, a quitté une firme importante. Une firme dans laquelle on lui donnait les mêmes opportunités qu’aux hommes, où son ambition était encouragée et où aucune différence n’était faite, en termes de considération ou de salaire, avec ses pairs masculins. Reste qu’en effet, elle a démissionné. Pourquoi? « Parce que je n’avais pas d’équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie personnelle », explique-t-elle

Elle était alors encouragée à travailler de plus en plus : plus d’heures, pour plus cher. On lui conseillait également de développer son réseau et sa clientèle durant son temps libre, en participant à des événements. « On me disait que tout le monde en passait par là pour devenir associé », se souvient Me Heller.

Une réponse inadaptée

Lorsqu’elle aborde son problème et la peur de ne pas arriver à concilier vie professionnelle et vie privée, ses supérieurs sont à l’écoute, mais ils lui proposent une solution à court terme : prendre une pause de 4 mois avant de reprendre son poste au même rythme, comme si de rien n’était. « Il y avait eu un problème d’avocat en burn-out quelques années auparavant, et ils ont pensé qu’il fallait aborder mes propres soucis de la même manière. »

Pourtant, il existe des réponses appropriées, des solutions adaptées, des conciliations possibles. Ainsi Me Heller évoque-t-elle le cas d’une de ses amies, désormais associée dans une firme très importante. Six ans auparavant, celle-ci a également rapporté son problème de conciliation auprès de son supérieur, assurant qu’elle souhaitait avoir des responsabilités mais également pouvoir jouir d’une vie personnelle.

Lorsque son responsable lui a demandé ce qu’il pouvait mettre en place pour l’aider, l’avocate a dit son souhait de ne plus voyager, arguant qu’être toujours sur la route lui semblait inconciliable avec une vie de famille.

Six années plus tard, elle est désormais associée, mais aussi mariée et mère de deux jeunes enfants. Réfléchissant à sa situation propre, son supérieur a fait le choix de ne l’a placer que sur des affaires ne nécessitant pas de longs déplacements, mais il lui a également proposé de travailler avec plus de flexibilité, notamment parfois de sa maison, si nécessaire. « Pour la première fois, ce jour-là, elle a réalisé qu’être associée et avoir une famille pouvait être conciliable », souligne Me Heller en rapportant leur conversation.

Des enjeux de parents

Travaillant désormais pour le service juridique de Bloomberg, entreprise où de nombreuses femmes occupent des postes de direction, Melanie Heller dit être évaluée sur le travail effectué plutôt que sur le nombre d’heures qu’elle y a dédiées. Lorsqu’elle souhaite passer du temps en famille ou qu’une urgence fait son apparition, elle a le loisir de prendre du temps pour sa vie personnelle. « Et bien sûr, il y a plein de choses, des rendez-vous chez le docteur, des événements à l’école, auxquels la gardienne se rend à ma place », parce que c’est ça aussi l’équilibre, devoir faire des compromis dans les deux sphères.

Bloomberg a fait le choix de l’embaucher alors qu’elle était enceinte de sept mois. Ils lui ont offert un congé maternité de trois mois bien qu’elle n’ait été dans le cabinet que depuis deux mois - une vraie chance pour une avocate aux États-Unis. Lorsqu’elle a demandé pourquoi il l’avait choisi malgré tout, son responsable a répondu qu’il n’allait pas se priver d’une excellente avocate pour trois mois de congé maternité et qu’il ne fallait pas s’excuser de vouloir des enfants.

Aider les avocates à concilier vie professionnelle et vie de famille, notamment durant les jeunes années de leurs enfants, revoir la manière d’évaluer le succès au travail sont autant de choses qui permettront aux firmes de garder leurs professionnelles. Avec leurs compétences propres et cette complémentarité avec leurs homologues masculins nécessaire au bon fonctionnement des cabinets. « C’est faire un pari sur le long terme », conclut Me Heller. Et faire des changements qui, finalement, conviendront tout autant aux avocats, ces hommes du XXIe siècle qui ne sont plus certains de vouloir sacrifier leur famille sur l’autel de la réussite.


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4 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 7 ans
    Sexisme!
    Reste qu’en effet, elle a démissionné. Pourquoi? « Parce que je n’avais pas d’équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie personnelle », explique-t-elle

    Elle était alors encouragée à travailler de plus en plus : plus d’heures, pour plus cher. On lui conseillait également de développer son réseau et sa clientèle durant son temps libre, en participant à des événements. « On me disait que tout le monde en passait par là pour devenir associé »,

    Et pourquoi serait-ce différent pour une femme en raison du fait qu'elle est une femme? Si on fait le choix du grand bureau, on le fait en connaissance de cause avec les contraintes de temps que ça implique.

    Mais j'imagine que l'on va rétorquer avec la situation des enfants. Outre les aspects biologiques, pour lesquels il n'y a pas de solution pas encore du moins) en 2016, les hommes sont autant impliqués que les femmes dans la vie des enfants ou ils devraient l'être. Pourquoi les associés, notamment, les associées qui font ce choix, devraient-ils compenser le fait que le conjoint ne fait pas sa juste part.

    Et si les 2 font leurs justes parts et qu'un homme ou une femme n'arrivent pas à gérer la famille comme ils le veulent, ils font un choix, comme elle l'a fait.

  2. Josée
    Josée
    il y a 7 ans
    Ouf.
    Ouf, 3 mois de congé de maternité? « Et bien sûr, il y a plein de choses, des rendez-vous chez le docteur, des événements à l’école, auxquels la gardienne se rend à ma place »

    C'est ça la conciliation travail-famille? La qualité du temps plutôt que la quantité, je veux bien, mais come on!

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 7 ans
      Attention
      Le congé de maternité aux USA est beaucoup moins généreux qu'ici. La règle à NY est justement le 3 mois

  3. Josée
    Josée
    il y a 7 ans
    Ouin
    Je le sais. je trouve ça juste triste de changer d'une place à une autre pour avoir une meilleure conciliation travail-famille et que celle-ci se résume à 3 mois de congé de maternité et moins de pression sur les heures de présence au bureau. Ou dans le cas de son amie de ne plus avoir à voyager...

    Les conditions de travail sont définitivement mieux ici malgré le nombre d'heures démentiels que font nos collègues en grand cabinet.

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