Entrevues

Tête-à-tête avec l’avocat d’Edward Snowden

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Jean-francois Parent

2016-11-02 15:00:00

Alors que Snowden sera en vidéoconférence à McGill ce soir, son avocat montréalais s’est confié à Droit-inc sur l’aventure que cela a été d’échapper aux autorités américaines…Entrevue.

Me Robert Tibbo est l'avocat d'Edward Snowden.
Me Robert Tibbo est l'avocat d'Edward Snowden.
Depuis qu’il a mis en lumière l’espionnage illégal perpétré par la National Security Agency (NSA) américaine, Edward Snowden est l’ «homme le plus recherché de la planète». L’avocat d’origine montréalaise établi à Hong Kong, Robert Tibbo, l’a aidé à se dissimuler dans les bas-fond de Hong Kong, en 2013.

Edward Snowden, qui donnera une conférence à l’Université McGill ce mercredi soir depuis la Russie où il s'est réfugié depuis 3 ans, a d’ailleurs fait parler de lui cette semaine en réagissant sur Twitter sur l’affaire Patrick Lagacé qui secoue actuellement le monde journalistique: « Êtes-vous un journaliste ? Le fait que la police vous espionne pour identifier vos sources n'est pas hypothétique. Ça se passe aujourd'hui », a-t-il écrit sur le réseau social.

Il y a trois ans, Snowden et son avocat ont vécu des semaines éprouvantes, qui rappellent les romans d’espionnage de la Guerre froide : chapeau et lunettes noires, changement de cachette au plus fort de la nuit, réunions secrètes, communications encryptées… Alors que le film Snowden est encore projeté dans certaines salles de cinéma, Droit-Inc a rejoint Me Tibbo à ses bureaux de Hong Kong.

Droit-Inc : Pourquoi fallait-il cacher Edward Snowden ?

Me Robert Tibbo : À son arrivée à Hong Kong, en mai 2013, il devait rencontrer des journalistes afin de leur donner des documents, de façon anonyme. Mais lorsque la rencontre a lieu, début juin, Edward Snowden vient tout juste de publier une vidéo dans laquelle il décline son identité. Dans les jours qui suivent, la justice américaine réclame son arrestation pour Hong Kong.

Les chefs d’accusations déposés contre lui, basés sur une loi sur l’espionnage datant de 1917, lui font courir le risque d’être torturé et de subir de mauvais traitements dans les geôles américaines. Les dispositions du Espionnage Act empêchent également un prévenu d’être entendu par la cour pour y présenter sa défense. D’autres lanceurs d’alerte, tels la soldate Chelsea Manning, qui en a pris pour 30 ans après avoir été torturée par les États-Unis, nous faisait craindre le pire pour notre client.

Vous craignez un peu tout le monde, pas seulement les Etats-Unis...

Hong Kong fait peu de cas des réfugiés et des demandeurs d’asile. À l’époque des avions secrets de la CIA, qui transportaient des suspects vers des pays où on allait les torturer, Hong Kong avait aidé les États-Unis à kidnapper le dissident libyen Sami al-Saadi, en 2004, pour qu’il soit torturé par le régime de Kadhafi. Par ailleurs, on avait des doutes sur les intentions des Chinois : ils auraient très bien pu vouloir kidnapper Snowden pour lui soutirer des informations sur l’espionnage américain.

Qu’est-ce qu’un avocat, dont la seule arme est le droit, pouvait bien faire dans ce cas?

L’important était que Snowden obtienne un statut le mettant hors de portée. En le faisant reconnaître comme réfugié politique, basé sur le fait qu’il risquait la torture s’il retournait dans son pays, on pouvait atteindre cet objectif. Partiellement du moins. Premier problème : comme il était à Hong Kong en tant que visiteur, on lui aurait refusé sa demande de réfugié, puisqu’il détenait un visa de tourisme. Second problème : pour qu’Edward Snowden obtienne un tel statut, il lui fallait se rendre physiquement là où on le lui donnerait.

Dans notre cas, il fallait se rendre dans les bureaux du Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU à Hong Kong, l’organisme qui a le pouvoir d’accorder un tel statut en vertu de traités internationaux. Cela impliquait de le faire sortir de sa cachette, d’empêcher que les médias ne le suivent, ce qui aurait mis d’éventuels kidnappeurs sur sa piste. Déguisé, franchissant une entrée discrète pour entrer au HCR, Edward Snowden est allé demander le statut de réfugié au HCR, en évitant une meute de journalistes. Il est ressorti par une autre porte.

En quoi la demande d’un statut de réfugié était-elle utile ?

Ça empêchait qu’Hong Kong ne réponde à une demande d’extradition des Etats-Unis, sans autre forme de procès. La constitution locale, l’article 3 notamment, l’oblige à ne pas renvoyer un refugié sans avoir bien analysé son dossier. La prospérité de Hong Kong, l’une des premières places financières mondiales, dépend du respect de la règle de droit. Avoir renvoyé le réfugié Edward Snowden aurait causé un embarras certain non seulement à la Cité-État, mais également à la Chine. Cependant, ce statut de réfugié ne protégeait pas mon client contre les actions extra-judiciaires des États-Unis.

Même si aucun pays ne pouvait théoriquement agir sur le territoire hongkongais - en kidnappant mon client, par exemple — sans susciter l’ire du gouvernement local, ça ne suffisait pas. Car non seulement Washington a eu des comportements, qui sont documentés, où ils ont fait peu de cas de la règle de droit, mais en plus ils ne sont pas signataires de la Convention relative au statut des réfugiés. Rien ne les empêchait de s’emparer de M. Snowden.

Cela dit, Hong Kong n’a pas voulu donner suite à la demande formelle des É.-U. pour l’extradition de M. Snowden, alléguant une faute dans l’orthographe d’un de ses noms.

Quel est le contexte légal international qui prévaut lorsqu’Edward Snowden vous engage comme avocat ?

Dans la foulée du Statut de Rome, qui instaure la Cour pénale internationale, en 1998, on assiste à un véritable changement de ton sur la scène internationale : les dirigeants politiques qui ont commis des crimes devront rendre des comptes, et on constate un respect marqué pour la règle de droit par les pays. Plusieurs causes permettent d’établir la jurisprudence de ce type de droit. Tout cela change en 2003, quand les États-Unis envahissent l’Irak sans résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. C’était là, en termes de droit international, une invasion armée illégale.

Plusieurs pays depuis bafouent la règle de droit : le Canada, en laissant Omar Khadr pourrir à Guantanamo, refusait ainsi d’honorer ses engagements relatif au traité sur les enfants-soldats. Maher Arar, largué par la GRC pour qu’il soit torturé par le régime syrien, vient également à l’esprit ; la prison de Guantanamo, justement, était gérée au mépris même du droit international, et la torture qui s’y pratiquait jugée plusieurs fois inconstitutionnelle par certaines cours américaines. La Chine, qui continue de contrôler l’essentiel de la mer de Chine, bafouant l’ordonnance de la Cour internationale d’arbitrage de La Haye, en est un autre exemple.

Quelles sont les suites de l’affaire Snowden à Hong Kong ?

Les trois familles de réfugiés qui ont caché M. Snowden pendant sa cavale font l’objet de représailles de la part des autorités locales. On les a privés d’électricité et de nourriture, et les procédures visant à régulariser leur situation s’éternisent. Le droit des réfugiés, ici, est une farce : on ne peut faire de demande que si on entre illégalement au pays, auquel cas on devient un criminel, et c’est donc la justice criminelle qui s’occupe des réfugiés.
Le taux de succès d’une demande de réfugié à Hong Kong est de 0,36 %...

On pousse les gens à bout afin qu’ils décident d’eux mêmes d’abandonner et retournent dans leur pays, où ils risquent la torture, ou pire encore. M. Snowden a d’ailleurs envoyé de l’argent à ses hôtes, que je défends pro-bono. Il y a également une campagne de socio financement sur GoFundme pour les aider. Il est inacceptable que le gouvernement local force ces gens à l’indigence parce qu’ils ont aidé Edward Snowden.

Vous êtes donc sympathique à la cause des lanceurs d’alerte ?

Le rapporteur spécial de l’ONU sur les abus des droits de la personne perpétrés dans le cadre de la lutte au terrorisme, Martin Sheinin, a souvent pointé du doigt l’administration américaine. Il a également déploré l’absence, aux États-Unis, de protection pour les lanceurs d’alerte. Dans la plupart des pays du monde, les lanceurs d’alerte peuvent se défendre d’avoir divulgué des secrets d’État si le bien commun est davantage servi par la divulgation que par le secret. Lorsqu’un gouvernement commet un crime, celui qui sonne l’alarme peut se protéger des poursuites en invoquant, notamment, la liberté d’expression et l’intérêt commun.
Aux États-Unis, en vertu du Espionnage Act, Edward Snowden ne peut invoquer cette défense. Il le pourrait pourtant au Canada ou en Angleterre, en Australie… C’est déplorable.

C’est intimidant de se battre contre l’appareil gouvernemental américain ?

Un peu, oui, mais finalement on se concentre sur son boulot et on peut gérer tout le stress et la pression générés par des causes de cette envergure. Notre formation prend le dessus.

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2 commentaires

  1. Justin
    Justin
    il y a 7 ans
    Accusations
    Je déposerais des accusations pour vol et recel à l'endroit de son complice, le journaliste Greenwald. La Cour suprême des États-Unis est constante. Le vol et le recel d'information confidentiel sont punissables.

    • Me BuTT
      Me BuTT
      il y a 7 ans
      Intérressant, Justin.
      Donc indépendamment de ladite "information", toi, petit Justin, tu déposerais des accusations? Peut-être serais-tu mieux aux Etats-Unis? Tu pourrais alors militer pour une application rigoureuse et aveugle d'une règle de droit aberrante auprès de gens qui auraient envie de t'entendre.

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