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Protéger sa source, telle est la source du problème

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Dominique Loslier

2016-11-10 13:15:00

La confidentialité de l’information donnée par une personne et le privilège de l’informateur sont des concepts différents qui obéissent à des règles différentes, explique cette juriste…

Me Dominique Loslier est conseillère juridique à SOQUIJ
Me Dominique Loslier est conseillère juridique à SOQUIJ
« Il ne peut y avoir de privilège sans confidentialité, mais ce qui est confidentiel n’est pas nécessairement privilégié » (Leblanc c. Maranda, paragr. 52)

La confidentialité de l’information donnée par une personne et le privilège de l’informateur sont des concepts différents qui obéissent à des règles différentes. Depuis des années, les journalistes, au nom de la liberté de presse, réclament la reconnaissance d’un privilège leur permettant, de droit, de taire le nom des personnes qui, sous le sceau de la confidentialité, leur révèlent des informations confidentielles. Or, en 2010, la Cour suprême a répondu par la négative à l’existence d’un privilège absolu de cette sorte.

Dans l’affaire R. c. National Post, un journaliste sommé de révéler l’identité de la personne lui ayant fourni un document qui, selon cette source, mettait à jour l’existence d’une transaction douteuse impliquant le premier ministre du Canada de l’époque, le plus haut tribunal a refusé de reconnaître dans cette situation qu’il y avait eu une violation de la liberté d’expression garantie à l’article 2 b) de la Charte canadienne des droits et libertés.

Il a conclu par ailleurs que, même si la common law ne reconnaissait pas l’existence d’un privilège générique, c’est à dire quasi absolu, la revendication par un journaliste d’une protection de ses sources secrètes pouvait être évaluée selon le modèle du privilège tranché au cas par cas (privilège circonstancié) par l’application du test de Wigmore*. Pour le tribunal: « En définitive, aucun journaliste ne peut donner une garantie de confidentialité absolue à l’une de ses sources. Une telle entente est toujours assortie d’un risque que l’identité de la source soit dévoilée. Il ne sera possible de connaître l’étendue véritable du risque qu’au moment où le privilège sera revendiqué, lorsque toutes les circonstances seront connues et pourront être soupesées » (paragr. 69).

Pas de caractère constitutionnel

Quelques mois plus tard, dans la foulée du scandale des commandites, la Cour suprême s’est prononcée de nouveau sur la reconnaissance d’un privilège du secret des sources des journalistes. (Globe and Mail c. Canada (Procureur général)). Dans cette affaire, un journaliste du réputé journal avait écrit une série d’articles sur le programme des commandites et avait invoqué l’usage abusif des fonds publics en s’appuyant principalement sur des renseignements d’une source confidentielle non autorisée par le gouvernement.

Le plus haut tribunal n’a pas retenu la prétention selon laquelle le privilège du secret des sources des journalistes possédait un caractère constitutionnel et découlait des articles 2 de la charte canadienne et 3 de la Charte des droits et libertés de la personne. La liberté d’expression ne peut donc servir de fondement pour reconnaître un privilège du secret des sources des journalistes. Toutefois, la Cour a reconnu que le recours au test de Wigmore pour reconnaître l’existence d’un privilège en droit criminel s’avérait tout aussi valable dans un contexte de litige civil québécois.

Application jurisprudentielle

Bien sûr, il arrive que les tribunaux accordent un privilège selon le contexte. Prenons par exemple l’affaire Berthiaume c. Carignan, mettant en cause des médecins d’un hôpital et des informations portant sur le résultat d’une enquête interne révélées à un journaliste.

La Cour supérieure a conclu que le journaliste avait démontré qu’il respectait les quatre critères établis dans Wigmore pour bénéficier du privilège de protection de ses sources journalistiques confidentielles. Citant notamment Contructions Louisbourg ltée c. Société Radio-Canada, le juge a conclu que l’identité de la source ou des sources n’avait en l’espèce aucun caractère essentiel dans le cadre du différend qui existait entre les parties.

Cela dit, les journalistes ne sont pas les seuls à vouloir protéger l’identité de leurs sources. Par exemple, dans le cours de la triste et célèbre affaire Magnotta (Parent. c. R.), des professeurs en criminologie à l’université ayant dirigé une étude où l’on avait garanti la confidentialité aux personnes interviewées ont demandé l’application du privilège pour les personnes interviewées dans le contexte d’un mandat de perquisition concernant leur étude. À l’issue de l’application du test de Wigmore, le tribunal a conclu que les documents en question étaient protégés par le privilège de confidentialité existant entre chercheurs et participants à la recherche.

La police rend des comptes

Enfin, j’aimerais attirer votre attention sur un jugement rendu en 2013, mais diffusé depuis peu – l’ordonnance de non-publication ayant été levée -, par le juge Vauclair dans la foulée des accusations portées à l’issue de l’opération policière d’envergure SharQc (R. c. Auger). Cette fois, c’était à la police de rendre des comptes.

Dans cette affaire, les accusés, inculpés sous plusieurs chefs de meurtre au premier degré, ont demandé que leur soit divulgué le contenu des banques de renseignements criminels de la police. Le ministère public s’y est opposé et a demandé la reconnaissance d’un nouveau privilège des banques de renseignements criminels, lesquelles contenaient des communications internes de la police. Le juge a rejeté l’idée que les banques de renseignements criminels, en soi, puissent faire l’objet d’un nouveau privilège générique.

Citant R. c. Dubé, le juge Vauclair a retenu qu’un privilège d’intérêt public ne pouvait s’appliquer à ce que l’on glisse dans un contenant, qu’il s’agisse d’un « rapport d’enquête » ou d’une « banque », et que, par conséquent, il lui fallait examiner les informations contenues dans les banques pour déterminer si un privilège s’appliquait à celles-ci prises individuellement. Il n’a pas non plus retenu l’existence d’un privilège circonstancié aux banques, en soi, puisque, de rappeler le juge, les informations confidentielles qui s’y trouvaient étaient déjà protégées par l’un des privilèges génériques (par exemple le privilège de l’informateur) ou circonstanciés de la common law.

  • La Cour suprême explique ainsi le test de Wigmore :

  • [53] Le test ou « critère de Wigmore » comporte quatre volets qui peuvent se résumer comme suit dans le contexte qui nous occupe. Premièrement, les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l’assurance que l’identité de l’informateur ne serait pas divulguée. Deuxièmement, le caractère confidentiel doit être essentiel aux rapports dans le cadre desquels la communication est transmise. Troisièmement, les rapports doivent être des rapports qui, dans l’intérêt public, devraient être «entretenus assidûment», adverbe qui évoque l’application constante et la persévérance (selon le New Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles (6e éd. 2007), vol. 2, p. 2755, le terme anglais «sedulous[ly]» utilisé par Wigmore signifie: « diligent[ly] […] deliberately and consciously »).

    Enfin, si toutes ces exigences sont remplies, le tribunal doit déterminer si, dans l’affaire qui lui est soumise, l’intérêt public que l’on sert en soustrayant l’identité à la divulgation l’emporte sur l’intérêt public à la découverte de la vérité. […]

    Références

  • Leblanc c. Maranda (C.A., 2001-10-12), SOQUIJ AZ-50101619, J.E. 2001-2011, [2001] R.J.Q. 2490. Pourvoi à la Cour suprême accueilli (C.S. Can., 2003-11-14), 2003 CSC 67, SOQUIJ AZ-50206958, J.E. 2003-2138, [2003] 3 R.C.S. 193.

  • R. c. National Post (C.S. Can., 2010-05-07), 2010 CSC 16, SOQUIJ AZ-50633715, 2010EXP-1559, J.E. 2010-852, [2010] 1 R.C.S. 477.

  • Globe and Mail c. Canada (Procureur général), (C.S. Can., 2010-10-22), 2010 CSC 41, SOQUIJ AZ-50681753, 2010EXP-3376, J.E. 2010-1863, [2010] 2 R.C.S. 592.

  • Berthiaume c. Carignan (C.S., 2012-09-28), 2012 QCCS 4628, SOQUIJ AZ-50899029, 2012EXP-3720, J.E. 2012-1990. Requête pour permission d’appeler rejetée (C.A., 2012-11-16), 500-09-023067-127, 2012 QCCA 2061, SOQUIJ AZ-50913681, 2012EXP-4228. Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2013-03-14), 35106.

  • Construction Louisbourg ltée c. Société Radio-Canada (C.S., 2012-03-01 (jugement rectifié le 2012-03-02)), 2012 QCCS 767, SOQUIJ AZ-50836936, 2012EXP-1219, J.E. 2012-665, [2012] R.J.Q. 533. Appel rejeté (C.A., 2014-01-27), 500-09-022562-128, 2014 QCCA 155, SOQUIJ AZ-51039354, 2014EXP-489, J.E. 2014-252. Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2014-06-26), 35797.

  • Parent c. R. (C.S., 2014-01-21 (jugement rectifié le 2014-01-23)), 2014 QCCS 132, SOQUIJ AZ-51036971, 2014EXP-400, J.E. 2014-208.

  • R. c. Auger (C.S., 2013-05-24 (jugement rectifié le 2013-05-27)), 2013 QCCS 2490, SOQUIJ AZ-50971243.

  • R. c. Dubé (C.A., 2010-07-28), 2010 QCCA 1377, SOQUIJ AZ-50660168, 2010EXP-2554, J.E. 2010-1425, [2010] R.J.Q. 1614. Requête en prolongation de délai pour présenter une requête en autorisation de pourvoi à la Cour suprême accueillie (C.S. Can., 2010-08-19), 33787. Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2011-02-17), 33787.


Me Dominique Loslier est conseillère juridique à SOQUIJ depuis 1989. Elle contribue à L'Express dans les domaines de droit pénal et criminel ainsi qu’en protection de la jeunesse.



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