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Le « droit à l'oubli » bientôt au Canada?

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Jean-francois Parent

2017-02-09 11:15:00

Pour la cour fédérale, toute vérité n'est pas bonne à «googler». Mais il y a loin de la coupe aux lèvres...

Me David Fraser
Me David Fraser
Le droit à la vie privée, à l'ère virtuelle, inclut le droit de supprimer toute référence à des documents publics, selon un magistrat fédéral.

Un plaignant, nommé A. T., a obtenu de la cour qu'elle ordonne à un site hébergé en Roumanie de supprimer toute référence à un document public au Canada.

Il s'agissait d'une décision administrative défavorable pour A. T. rendue par la Commission du travail de l'Alberta. Un service internet roumain, Globe24h, recueille et indexe une foule de jugements tirés des sites comme CanLII.

Puis, lorsqu'un justiciable s'oppose à ce que de telles informations soient rendues plus facilement accessible par les moteurs de recherche, Globe24h supprime la référence... moyennant finance.

CanLII n'indexant pas ses contenus dans les moteurs de recherche, ils ne sont accessibles que sur le site même.

L'indexation auprès des moteurs de recherche supprime cet obstacle.

Des centaines de plaintes contre Globe24h ont été logées au fil des ans auprès du Commissariat à la protection de la vie privée. Selon ce dernier, le service roumain, de par son but mercantile, ne peut invoquer l'intérêt public pour rendre les documents juridiques plus accessibles et viole donc l'esprit de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques.

La cour a donc donné raison au plaignant, faisant siennes les arguments du commissaire à la vie privée.

Un précédent qui pose problème

C'est le premier jugement de ce type à invoquer cette notion du droit à l'oubli, selon le blogueur spécialisé dans le droit de la vie privée David Fraser.

L'associé du cabinet McInnes Cooper est cependant dubitatif quant à la portée réelle de ce jugement. Tout d'abord, la cour a fait l'économie d'une analyse fine du problème en ne tenant compte que d'un côté de la médaille, soit la version du commissariat.

« Dans la cause devant la cour fédérale, seul le plaignant et le commissariat qui le soutient ont témoigné. L'analyse de la cour est donc partielle, ne bénéficiant pas d'arguments contraires pour mieux étayer sa décision », écrit Me Fraser.

Par ailleurs, l'injonction prononcée contre un site roumain pourrait bien être inapplicable. Le seul précédent concernant la possibilité pour un tribunal canadien de rendre une ordonnance contre une entité hors des frontières géographiques du pays fait présentement l'objet d'un appel devant la Cour suprême. La Colombie-Britannique tentait de forcer Google à désindexer des résultats de recherche de son moteur, mais le géant virtuel a obtenu l'autorisation d'en appeler devant le plus haut tribunal du pays, dans Equustek c. Google.

Pas de droit à l'oubli au canada

Enfin, David Fraser estime difficile toute tentative d'instaurer un « droit à l'oubli », comme vient de le faire la justice européenne.

D'une part, soutient Me Fraser, parce que les résultats des moteurs de recherche peuvent bénéficier de l'exemption journalistique, comme l'a montré l'arrêt Grant c. Torstar, rendu par le plus haut tribunal du pays en 2009.

Enfin, toute tentative pour réglementer l'indexation des recherches et leur mise en disponibilité auprès du public doit se faire dans le respect des principes de la Charte, notamment ceux du respect de la liberté d'expression et ceux du droit du public à l'information, ce qui inclut les résultats de recherche dans Google ou tout autre moteur de recherche.
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1 commentaire

  1. Sophie Lecomte
    Sophie Lecomte
    il y a 7 ans
    Avocate
    Effectivement, c’est depuis 2014 qu’en Europe (arrêt : Gonzales), que tout citoyen de l’Union européenne qui découvre, à la suite d’une recherche par son nom et prénom, un résultat dans un moteur de recherche dans la liste des résultats qui lui cause un préjudice ou qu’il désire voir disparaître, peut remplir un formulaire disponible sur les sites des moteurs de recherche afin de demander la suppression de ce contenu. L’exploitant analyse alors sa demande et prend la décision de supprimer ou non le lien. En cas de refus du moteur de recherche, le citoyen doit s’adresser aux tribunaux judiciaires de son pays.

    À mon sens, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) concilie l’intérêt économique de l’exploitant du moteur de recherche et l’intérêt public à connaître cette information avec les droits de l’individu à l’article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

    Au Canada, il n’existe pas de loi sur le droit à l’oubli ou le droit à l’effacement. Les personnes doivent s’adresser au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (Commissariat) lorsqu’elles découvrent des sites Internet qui affichent leurs renseignements personnels sans leur consentement. Le Commissariat est en charge, entre autres, de la surveillance de l’application de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE).

    Il faut noter que le législateur canadien n’est tout de même pas rester insensible à ces problèmes et a déjà adopté des lois qui visent à compléter les lois sur la diffamation, sur le délit d’atteinte à la vie privée et à régler des problèmes précis en ligne, à l’instar de la Loi sur la protection des Canadiens contre la cybercriminalité qui a modifié le Code criminel en vue de sanctionner la publication non consensuelle d’images intimes et les communications harcelantes. Mais, il y a des limites importantes aux recours judiciaires déjà existants car on ne saurait parler de diffamation dans les cas où les déclarations sont véridiques ou constituent des commentaires justes ou des communications responsables portant sur des questions d’intérêt public.

    Si le Canada prenait la décision de légiférer sur un « Droit à l’oubli numérique », il faudrait établir soigneusement un équilibre avec les autres valeurs sociétales. En effet, les détracteurs de ce nouveau droit invoquent qu’il soulève des problèmes au niveau de la liberté d’expression et de la liberté d’information.

    Parallèlement, toutefois, l’intérêt public penche fortement en faveur d’une limitation de la publication des renseignements personnels qui nuisent et portent atteinte à la réputation des personnes. Et c’est pour cette raison que depuis le début de l’année 2016, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a entamé une réflexion sur les nouveaux défis que pose cette disponibilité numérique. Le problème étant, tout comme le souligne ces spécialistes, que les sites Internet mis en cause par les personnes pour atteinte à leur réputation sont des sites qui reproduisent des décisions judiciaires, les sites de rencontres, de vengeance et de dénonciations.

    Le Commissariat devra déterminer s’il a une compétence territoriale et matérielle : le site Internet doit avoir un lien réel et substantiel avec le Canada et il doit être impliqué dans le cadre d’activités commerciales pour que le Commissariat puisse ordonner la suppression du contenu illégal.

    À l’instar de cette décision, on constate bien que le « Droit à l’oubli numérique » illustre les nouveaux défis auxquels sont confrontés les législateurs transatlantiques suite à la disponibilité numérique des données personnelles sur Internet! Les pays ont compris que ce vide juridique ne peut perdurer. Après la prise de position de l’Union européenne sur cette question et le nombre record des demandes de suppression de données personnelles instituées ces dernières années par les citoyens européens – près de 200 000 adresses URL concernées. Le Canada ne devrait pas tarder à prendre position sur une question épineuse au cœur des préoccupations de la Société.

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