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L’avocate de la vie privée

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Dominique Tardif

2017-12-06 14:15:00

Cette semaine, Dominique Tardif, de ZSA, s’entretient avec Me Éloïse Gratton, associée et cochef national du groupe Respect de la vie privée et protection des renseignements personnels chez Borden Ladner Gervais...

1. Pourquoi avez-vous, à l’origine, décidé d’être avocate plutôt que de choisir un autre métier ou une autre profession?

Éloïse Gratton associée chez Borden Ladner Gervais
Éloïse Gratton associée chez Borden Ladner Gervais
À l’époque de faire mes choix, beaucoup de disciplines du domaine des lettres m’intéressaient : la criminologie, le journalisme, les communications, l’enseignement, etc. De retour d’un voyage de quelques mois à l’étranger après les études collégiales, j’ai suivi des cours en criminologie et sciences politiques, ayant un trimestre devant moi avant d’entreprendre le baccalauréat.

Si je trouvais certainement les cours intéressants, je me questionnais sur ce que je pourrais faire une fois le diplôme en poche. Le droit m’apparaissant comme une bonne formation de base, je m’y suis dirigée. Certains aspects du droit répondaient effectivement à mes aspirations : le fait qu’il soit en constante évolution, qu’il englobe de nombreux champs de pratique et qu’il joue un rôle important dans notre société démocratique. Par conséquent, des études en droit constituaient un défi intellectuel que j’étais prête à relever.

C’est vraiment une fois en pratique que j’ai su que j’étais « à ma place ». J’ai d’abord fait deux ans de litige, aimant présenter et ayant un intérêt pour la plaidoirie.

En parallèle, le droit des technologies de l’information, très nouveau à l’époque, me fascinait. Le fait que mon père était ingénieur et que j’avais en quelque sorte toujours baigné dans cet environnement y était peut-être pour quelque chose! Le domaine me semblait soulever de toutes nouvelles questions et réalités, auxquelles il fallait appliquer des règles qui, elles, n’étaient pas nouvelles et étaient souvent, en fait, mal adaptées à ces enjeux. Le défi intellectuel y était, et c’est donc sans hésitation que je me suis inscrite à ce nouveau programme de maîtrise à l’université de Montréal, qui a par la suite orienté ma carrière vers ce qu’elle est aujourd’hui!

2. Quels sont le ou les plus grands défis professionnels auquel vous devez faire face dans votre emploi actuel?

L’un des défis les plus importants que je rencontre dans mon emploi actuel est celui de la gestion de l’expansion de ma pratique et des priorités qui viennent avec celle-ci.

Je dessers, en effet, une clientèle constituée de grandes entreprises nationales et internationales qui font face à des défis de taille en matière de protection de renseignements personnels et de cyber-sécurité, et qui ont de plus en plus souvent, à l’interne, des chief privacy officers qui connaissent bien le domaine. Les enjeux sont, d’une part, de plus en plus complexes, et les clients sont, d’autre part, de plus en plus sophistiqués.

Je dois donc être en tout temps à l’avant-garde des tendances, question de pouvoir offrir une réelle valeur-ajoutée et d’aider à minimiser le risque. Je lis de manière assidue tout ce qui a trait aux aspects nouveaux de mon champ de pratique en constante évolution. Non seulement me faut-il être à jour quant aux développements juridiques locaux, nationaux et internationaux, mais également parfaire mes connaissances relatives à des sujets connexes à mon champ de pratique pour avoir une vue d’ensemble sur les nouveaux enjeux.

Par ailleurs, et contrairement à une pratique où l’on travaille sur un seul dossier où un nombre limité de dossiers à la fois, ma pratique en est une de volume, où il n’est pas rare de parler à dix clients dans une même journée. Cela implique d’avoir beaucoup d’énergie, d’être organisée et disciplinée!

À travers cela, il est aussi important de former la relève, sachant que dans mon domaine, très peu de gens sont déjà formés.

Jongler avec toutes ces priorités est un défi quotidien – et un beau défi!

3. Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la pratique du droit?

Je changerais probablement la façon traditionnelle que l’on a de soumettre de longues et complexes opinions juridiques aux clients. Il est important de simplifier les choses pour nos clients, qui veulent des opinions claires, pragmatiques, qui comportent des options ou solutions concrètes.

De plus en plus souvent, pour accompagner mes opinions juridiques, je remets aux clients une présentation Power Point qui résume les points saillants de mon opinion et de mes recommandations. Ils peuvent ainsi partager et échanger plus facilement ces informations avec les autres départements de l’entreprise, principalement lorsque les enjeux juridiques du projet les concernent. Il peut s’agir, selon le cas, du personnel des services de : gestion, opérations, gestion du risque, conformité, commerce électronique, marketing, RH, etc. Ceci est apprécié et permet de faire avancer les dossiers juridiques rapidement et efficacement.

4. La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?

J’aimerais croire que la perception du public envers la profession s’est quelque peu améliorée au cours de la dernière décennie et qu’on ne considère plus les avocats comme des personnes « difficiles à atteindre ». De quelqu’un de relativement inaccessible à qui on avait recours dans un contexte souvent négatif comme en cas de divorce ou dans le cadre d’un litige ou d’un dossier criminel, l’avocat est aujourd’hui plus présent.

Que ce soit par le biais des médias de communication ou des réseaux sociaux, les avocats interviennent souvent dans les débats sociaux qui touchent à des enjeux d’intérêt public. S’ils semblent plus accessibles et engagés, la perception du public sera, à mon avis, davantage positive.

5. Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière (suggestion d’orientation, qualités à développer, etc.)?

À quelqu’un en début de carrière, je conseillerais de bien identifier ses centres d’intérêt, ce qui le passionne et le fait vibrer. Dans un deuxième temps, je l’encouragerais à ne pas lésiner sur les moyens à prendre pour atteindre ses objectifs et à persévérer dans ses choix… et ce, malgré les difficultés du parcours. Décider de faire des études supérieures, dans mon cas, était une décision à long terme, mais m’a donné une profondeur qui m’est très utile aujourd’hui. De la même façon, faire le saut au sein d’une compagnie en démarrage paraissait certainement risqué, mais m’a permis de mieux comprendre les enjeux lorsque je conseille aujourd’hui mes clients.

J’encouragerais aussi les jeunes de la profession à élargir leurs horizons, à s’intéresser à d’autres disciplines (par exemple le domaine des affaires), à effectuer des stages en entreprise ou encore à entreprendre des études supérieures. Le fait de pratiquer en entreprise, par exemple, nous fait voir les choses au-delà de l’opinion juridique qui, parfois, est « déconnectée » de la réalité de l’entreprise. Il faut évidemment savoir se conformer à la loi, mais aussi comprendre qu’il ne s’agit pas là, pour l’entreprise, du seul objectif !

Enfin, conservez cette curiosité intellectuelle que vous aviez à vos débuts : elle vous sera très utile dans votre pratique du droit. Et je me permettrai d’insister sur une qualité essentielle à votre réussite : soyez à l’écoute de votre client!

  • Les derniers bons livres qu’elle a lus : La femme qui fuit (auteure : Anaïs Barbeau-Lavalette), The Undoing Project (auteur : Michael Lewis) et The Legacy of Ruth Bader Ginsburg (auteur : Scott Dodson)

  • Le dernier bon film qu’elle a vu : Lion (réalisateur : Garth Davis)

  • Sa citation préférée : « Le changement est la loi de la vie. Et ceux dont le regard est tourné vers le passé ou le présent sont certains de rater l’avenir.» (John Fitzgerald Kennedy, 35e président des États-Unis).

  • Son péché mignon : Les cupcakes!

  • Ses restaurants préférés : Byblos (rue Laurier) et Orange Rouge (quartier chinois)

  • Les pays qu’elle aimerait visiter : Le Liban, l’Inde et le Japon.

  • Si elle n’était pas avocate, elle serait…journaliste d’enquête, parce qu’elle aime faire la lumière sur les situations, recueillir des informations, lire, documenter, rédiger et publier!




Me Éloïse Gratton, A. Ed., est associée au sein de Borden Ladner Gervais et cochef national du groupe Respect de la vie privée et protection des renseignements personnels. Elle figure parmi les principaux experts canadiens au chapitre de la protection des renseignements personnels et est reconnue comme une incontournable en la matière par les commissaires à la vie privée fédéraux et provinciaux ainsi que par le gouvernement fédéral. Elle a publié plusieurs livres sur les questions de protection de la vie privée et TI, lesquels ont été cités par la Cour suprême du Canada dans des décisions importantes en la matière. Elle est l'auteure de l'ouvrage Internet and Wireless Privacy: A Legal Guide to Global Business Practices, l'un des premiers guides publiés au Canada qui traitent de la technologie et de la protection de la vie privée (CCH, 2003). Ses plus récents ouvrages incluent Privacy in the Workplace (LexisNexis, 2017), Practical Guide to e-Commerce and Internet Law (LexisNexis 2015), et Understanding Personal Information: Managing Privacy Risks (LexisNexis, 2013). Me Gratton est titulaire d'une maîtrise en droit des technologies de l’information (Université de Montréal, 2002) et d’un doctorat en droit (Université de Paris II et l'UdeM, 2012) et enseigne depuis plusieurs années le cours Droit des TI et de la protection des renseignements personnels à l'UdeM. Elle est membre du conseil d'administration de la Société québécoise d'information juridique (SOQUIJ). Récemment honorée d’un prix Zenith 2017 de Lexpert illustrant l’avancement des femmes dans la profession juridique, la revue Canadian Lawyer l’a récemment qualifiée de précurseure (forward thinker) dans un article sur les 25 avocats les plus influents du pays.
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