Le travailliste

Arrêt Caron : un nouvel éléphant dans la pièce ?

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Sébastien Parent

2018-02-01 14:15:00

La Cour suprême intègre l’obligation d’accommodement raisonnable dans la Loi sur les accidents du travail. Turbulences en vue?

Me Sébastien Parent est doctorant en droit du travail et libertés publiques à la Faculté de droit de l’Université de Montréal
Me Sébastien Parent est doctorant en droit du travail et libertés publiques à la Faculté de droit de l’Université de Montréal
Le très attendu arrêt Caron a été prononcé ce matin par la Cour suprême du Canada. Essentiellement, la question en litige dans ce pourvoi consistait à déterminer si l’obligation d’accommodement raisonnable de l’employeur peut être intégrée dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP).

Un accidenté du travail invoque l’obligation d’accommodement devant la CLP

Pour rappel, M. Caron est victime d’un accident du travail alors qu’il occupe un poste d’éducateur au Centre Miriam. Il est incapable de reprendre cet emploi étant donné les limitations fonctionnelles permanentes qu’il conserve de sa lésion professionnelle.

En conséquence, la CSST (aujourd’hui CNESST) met en œuvre le processus de réadaptation élaboré dans la LATMP. À cet égard, elle demande d’abord à l’employeur s’il a un emploi convenable à offrir à M. Caron, ce à quoi l’employeur répond par la négative. Fidèle au processus séquentiel édicté dans la loi, la CSST identifie alors un emploi convenable ailleurs sur le marché du travail, suite à quoi l’employeur procède au congédiement du travailleur, qui cumulait plus de 25 années de service.

Désirant maintenir son lien d’emploi, M. Caron souleva devant l’ancienne Commission des lésions professionnelles (CLP) que les limitations fonctionnelles dont il est atteint constituent un handicap, soit une caractéristique protégée par le droit à l’égalité garanti à l’article 10 de la Charte québécoise.

Ainsi, au moment d’identifier un emploi convenable, l’employeur aurait dû se soumettre à l’obligation d’accommodement raisonnable issue de ce droit à l’égalité. En l’espèce, cela aurait permis à M. Caron d’occuper des postes disponibles (mais non convenable au sens de la LATMP), qu’il avait identifiés chez son employeur et qu’il était en mesure d’accomplir.

On se rappellera qu’en juin 2015, la Cour d’appel du Québec avait donné raison au travailleur, en concluant dans un jugement unanime que le temps était venu d’imbriquer l’obligation d’accommodement raisonnable à même le régime public de la LATMP.

La Cour suprême intègre l’obligation d’accommodement dans la LATMP

La plus haute cour canadienne confirme la décision de la Cour d’appel et décide qu’il y a lieu d’intégrer l’obligation d’accommodement de l’employeur dans la LATMP.

Elle reconnaît d’emblée que la LATMP n’impose pas expressément à l’employeur l’obligation d’accommoder le travailleur. Or, puisqu’en raison de l’exclusivité du régime public, le travailleur ne peut s’adresser à aucune autre instance que la CNESST et le TAT-SST, il importe donc d’interpréter la LATMP de façon à englober l’obligation d’accommodement de l’employeur issue des articles 10 et 16 de la Charte québécoise.

L’essentiel du raisonnement de la Cour s’articule autour du principe voulant que toute loi québécoise doive être interprétée conformément à la Charte québécoise. Recourant à ce principe, elle conclut qu’il « n’existe aucune raison de priver quelqu’un qui devient invalide par suite d’un accident du travail des principes applicables à toutes les personnes invalides », soit la démarche d’accommodement raisonnable.

Cette interprétation est compatible, aux yeux de la Cour, avec l’objet de la LATMP qui consiste à permettre à l’accidenté du travail de retourner au travail. En cela, l’obligation d’accommodement vise justement à éviter que des personnes capables de travailler soient exclues de leur milieu de travail.

Ainsi, le fait que la LATMP prévoit certains types d’accommodements n’exclut pas la démarche d’accommodement conçue de façon plus large par la jurisprudence en matière de discrimination en emploi. L’employeur a donc l’obligation d’aménager le poste de travail ou les tâches de l’employé, à moins qu’il n’établisse que les mesures d’accommodement envisageables entraînent pour lui une contrainte excessive.

Enfin, en intégrant l’obligation d’accommodement à même les processus de réadaptation professionnelle et de retour au travail édictés dans la LATMP, il va sans dire que la CNESST et le TAT-DSST conservent leur compétence exclusive sur ces questions.

Des turbulences à prévoir à la CNESST

Si l’on peut féliciter que cette décision accroît grandement la protection du lien d’emploi des victimes d’une lésion professionnelle, elle n’est pas sans soulever nombre de difficultés.

Selon ce revirement jurisprudentiel historique, les limites fixées par le législateur dans la LATMP ne sont désormais plus déterminantes, notamment les critères permettant d’identifier un emploi convenable (article 2) et les délais limitant le droit au retour au travail (article 240).

En effet, en superposant l’obligation d’accommodement raisonnable au régime public de réparation des lésions professionnelles, il en découle inexorablement que l’existence d’une contrainte excessive se substitue aux balises édictées dans cette loi. Comme le soulignent à juste titre les juges Rowe et Côté dans leurs motifs concordants, ce résultat auquel en arrive la majorité contrevient pourtant à l’article 51 de la Charte québécoise, qui empêche d’interpréter celle-ci de manière à élargir les dispositions d’une loi.

Là-dessus la CNESST aura tout un défi puisque ses agents administratifs devront dorénavant composer avec le corpus jurisprudentiel propre à l’obligation d’accommodement raisonnable, lequel est assez dense et complexe, en plus d’imposer une démarche individualisée à chaque cas.

Mais il y a plus. Le travailleur peut désormais, selon toute vraisemblance, réclamer des mesures de réparation des conséquences de sa lésion professionnelle additionnelles à celles prévues dans la LATMP, en se rabattant sur l’obligation d’accommodement raisonnable. Cela n’est pas sans entraîner des coûts additionnels pour les employeurs et par le fait même, une brèche importante dans le compromis social à l’origine de la LATMP.

Il sera intéressant de voir comment les employeurs réagiront à cette modification fondamentale au régime public de la LATMP apportée sous la plume de la plus haute instance du pays, surtout à l’aube d’une élection provinciale. Vont-ils militer en faveur d’une redéfinition du compromis social ? À suivre…

À noter que la conférence annuelle sur les Développements récents en droit de la santé et sécurité au travail, qui aura lieu le 16 février prochain à Québec et le 23 février à Montréal, présentera les enjeux pour les employeurs, les travailleurs ainsi que la CNESST découlant de cet arrêt marquant.


Me Sébastien Parent est doctorant en droit du travail et libertés publiques à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Il est aussi chargé de cours à Polytechnique Montréal où il enseigne le droit du travail. Auparavant, il a complété le baccalauréat ainsi que la maîtrise en droit à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Il est également titulaire d’un baccalauréat en relations industrielles de la même institution. Écrivain dans l’âme et procureur devant la Cour suprême du Canada dès le début de sa carrière, Me Parent est l’auteur de divers articles en matière d’emploi et agit aussi à titre de conférencier.
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1 commentaire

  1. Thé-miskouta
    Thé-miskouta
    il y a 6 ans
    Le coût de tout cela
    ... la facture sera refilée aux employeurs.
    Le régime vient de s'alourdir au day to day pour eux.
    Mais le Bon Docteur Couillard pourrait réclamer aux infirmières de suggérer une solution à sa place.
    Thémiskouta

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