Le travailliste

Un avocat au salaire annuel peut-il réclamer ses heures supplémentaires ?

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Sébastien Parent

2018-08-30 14:15:00

Il n’est pas rare qu’il travaille dans les faits entre 50 et 70 heures hebdomadairement… Un cas récent force à interpréter la loi, explique notre chroniqueur.

Me Sébastien Parent est chargé de cours à la Faculté de droit de l’Université de Montréal
Me Sébastien Parent est chargé de cours à la Faculté de droit de l’Université de Montréal
Le concept est bien répandu : l’avocat salarié reçoit un salaire annuel fixe, qui lui est généralement versé toutes les deux semaines. Sauf erreur, les systèmes de gestion de la paie répartissent cette rémunération sur une base de 40 heures par semaine. Et cela coule de source puisque l’article 52 de la Loi sur les normes du travail(L.N.T.) établit à 40 heures la durée de la semaine normale de travail.

Cela étant, et ce n’est pas un mythe, il n’est pas rare que les avocats travaillent entre 50 et 70 heures hebdomadairement. Ont-ils alors la possibilité de réclamer les heures supplémentaires accomplies, qui excèdent la semaine normale de 40 heures ?

Un professionnel au salaire annuel réclame ses heures supplémentaires !

Cette question a été débattue dans l’affaire Dupuis c. Gestion d’Amboise inc., 2018 QCCQ 3029, dans laquelle un ingénieur, dont le salaire s’élevait à 90 000 dollars annuellement, réclamait les heures supplémentaires travaillées. Celles-ci totalisaient, selon le demandeur, 172 heures pour l’ensemble des deux dernières années ayant précédé son licenciement.

La Cour du Québec constate d’emblée que son contrat de travail stipulait une rémunération sur une base annuelle. Or, l’article 55 L.N.T. prévoit que le versement des heures supplémentaires s’établit selon une majoration de « 50% du salaire horaire habituel ».

En fonction du libellé de cette disposition législative et en accord avec une jurisprudence majoritaire, la Cour tranche qu’en l’absence d’un taux horaire, ce professionnel n’était pas assujetti à la majoration prévue dans la loi pour les heures supplémentaires.

Une fiction voulant que les professionnels soient payés au salaire minimum ?

D’après le Guide d’interprétation de la CNESST, ce principe souffre toutefois d’une exception. En effet, la rémunération versée au salarié doit respecter la formule mathématique suivante : salaire annuel / 52 semaines ≥ (40 heures X 12,00 $) + (nombre d’heures supplémentaires X 18,00 $)

Ainsi, il s’agit d’établir la paie qu’aurait obtenue le salarié s’il était rémunéré au taux horaire du salaire minimum, soit 12,00 $, en tenant compte des heures supplémentaires effectuées au taux majoré de 50 %, en l’occurrence 18,00 $. Si le salaire qu’il touche hebdomadairement est égal ou supérieur au résultat obtenu, il ne pourrait, dans ce cas, se plaindre que les heures supplémentaires travaillées ne lui ont pas été rétribuées.

Une interprétation qui n’est pas nécessairement soutenue par le texte de la L.N.T. ...

Cette formule - créée de toute pièce - étonne quelque peu puisque nulle part dans la Loi sur les normes du travail ne lit-on que le droit au paiement des heures supplémentaires est relié d’une quelconque manière au taux du salaire minimum.

Pourtant, lorsque le législateur a voulu exclure des salariés de l’application d’une norme minimale du travail sur la base de la différence entre leur salaire réel et le salaire minimum, il l’a mentionné expressément. C’est le cas notamment de l’article 41.1 qui indique clairement que la protection qu’il accorde « ne s’applique pas à un salarié qui gagne un taux de plus de deux fois le salaire minimum ».

Étant donné le silence du législateur dans le cas des heures supplémentaires, il est difficile de comprendre pourquoi le calcul retenu se fonde sur le salaire minimum. Il va de soi qu’un contrat de travail conclu avec ingénieur ou un avocat n’entendait pas offrir un taux horaire se rapprochant du salaire minimum.

Plus encore, la L.N.T. comporte déjà des exclusions spécifiques à l’admissibilité au paiement du temps supplémentaire à son article 54, et le fait d’être payé sur une base annuelle n’y figure pas. D’ailleurs, la situation du juriste ne se qualifie pas, à moins de circonstances particulières, à l’une ou l’autre des exclusions énumérées à cet article.

D’autres dispositions de la L.N.T. soulèvent également des questions sur la démarche empruntée, surtout que cette dernière est susceptible de s’appliquer à d’autres catégories de salariés qui n’ont peut-être pas un revenu aussi enviable que celui de certains professionnels. Rappelons qu’en vertu de l’article 52 L.N.T., la durée maximale de la semaine normale de travail est de 40 heures. En effet, pour convenir d’un étalement différent des heures de travail, un processus d’autorisation particulier doit être respecté, de préciser l’article 53 de la loi.

Par ailleurs, on conviendra qu’il est pratiquement impossible, lors de l’établissement du salaire annuel, d’anticiper avec précision le nombre d’heures supplémentaires à exécuter au cours d’une année, d'autant plus qu’elles sont souvent à géométrie variable. Dans ces circonstances, le contrat de travail accordant un salaire annuel ne laisse-t-il pas entendre implicitement que celui-ci est accordé en fonction de la durée normale de la semaine de travail, qui est justement une norme d’ordre public ? Serait-il ainsi déraisonnable de calculer la majoration des heures supplémentaires en se fondant sur le taux du salaire annuel réparti en 52 semaines normales de 40 heures ?

« Il n’y a que les ouvriers qui sachent le prix du temps ; ils se le font toujours payer. » - Voltaire

Me Sébastien Parent est chargé de cours à la Faculté de droit de l’Université de Montréal ainsi qu’à Polytechnique Montréal, où il enseigne le droit du travail. Il est aussi doctorant en droit du travail et libertés publiques à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Auparavant, il a complété le baccalauréat et la maîtrise en droit ainsi que le baccalauréat en relations industrielles au sein de la même université. Écrivain dans l’âme et procureur devant la Cour suprême du Canada dès le début de sa carrière, Me Parent est l’auteur de divers articles en matière d’emploi et agit aussi à titre de conférencier.
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1 commentaire

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 5 ans
    Réponse évidente: ça n'arrivera pas de sitôt
    On pourrait s'étonner qu'avec tant de diplômés en droit de l'UQAM aucun d'eux n'ait encore brandi cette revendication, et qu'aucun syndicat n'ai vu le jour dans un cabinet de pratique privé pour aller au front sur l'enjeu des heures supplémentaires.

    Apparemment il faut donc conclure à leur égard comme le faisait l'auteur d'une célèbre citation sur le socialisme aux USA(1), et constater que même chez ceux qui ont été biberonnés au petit lait de la conscience de classe on réfléchi de façon individuelle en se disant qu'on est presque arrivé au sommet, et qu'il est donc plus avantager de souffrir encore quelque temps.


    (1) Socialism never took root in America because the poor see themselves not as an exploited proletariat, but as temporarily embarrassed millionaires.

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