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Opération Honorer : Accurso expose ses arguments en faveur d'un troisième procès

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Radio -canada

2020-01-22 10:39:00

Son avocat écrit que l’enquête sur l’abandon du premier procès est si irrégulière qu’elle justifie l’annulation du verdict du deuxième procès.

Tony Accurso, en novembre 2017, lors de son premier procès et son avocat, Marc Labelle. Photos : Radio-Canada
Tony Accurso, en novembre 2017, lors de son premier procès et son avocat, Marc Labelle. Photos : Radio-Canada
Tony Accurso allègue que l’enquête sur l’avortement du premier procès qu'il a subi en lien avec l’opération Honorer s'est faite de manière si irrégulière qu'elle justifie l’annulation du verdict de culpabilité prononcé contre lui au terme d'un second procès.

C’est l’un des arguments avancés dans le mémoire qui vient d’être déposé devant la Cour d’appel au nom de l’entrepreneur en construction par son avocat, Marc Labelle, et dont Radio-Canada a obtenu copie.

L'entrepreneur a été reconnu coupable en juin 2018 d’avoir participé au stratagème de partage de contrats mis en place par l’administration de l’ex-maire de Laval, Gilles Vaillancourt. Il a été condamné à quatre ans de pénitencier.

Il s’agissait là du deuxième procès subi par l’entrepreneur. Le premier, tenu à l’automne 2017, avait avorté parce que le juge James Brunton avait considéré que le jury avait été potentiellement contaminé.

La jurée numéro 6 avait révélé au magistrat qu’un oncle lui avait raconté qu’il avait travaillé dans une des firmes de génie impliquées dans le stratagème, et qu’il avait vu des valises pleines d’argent.

Elle avait ensuite partagé ces informations avec deux autres jurées.

Selon le mémoire de Me Labelle, l’enquête sur l’entrave à la justice a commencé le 22 novembre 2017, soit cinq jours après l’avortement du procès, et elle a été menée par des enquêteurs de l’Unité permanente anticorruption (UPAC).

L’oncle de la jurée numéro 6 aurait d’ailleurs déclaré le jour même aux policiers qu’il avait fait son commentaire sur les valises d’argent « à la blague », qu’il n’en avait en fait jamais vu.

Il a aussi affirmé, à l'instar de la jurée numéro 6, ne pas avoir reçu d’argent ou de menaces pour faire avorter le procès.

Selon Me Labelle, cette enquête n'aurait même pas dû avoir lieu puisque « dès le début, il est devenu évident qu'aucun crime n'avait été commis » et que la « possible entrave à la justice était sans fondement ».

Or, l'enquête s'est poursuivie pendant plusieurs jours, et le mémoire d’appel de Tony Accurso allègue qu'elle a été menée d'abord à son insu, et de façon irrégulière.

« L'enquête sur l'avortement du procès apparaît (...) comme une façon détournée pour l'État d'avoir accès à des informations privilégiées relevant du secret des délibérations. Les agissements de l’État manquaient à l’équité et étaient contraires à la justice », est-il écrit dans le mémoire.

Une balance qui pencherait en faveur de la poursuite

Le mémoire précise qu’en mars 2008, soit deux mois avant l’ouverture du second procès, Me Labelle, « soupçonnant qu’une enquête avait été instiguée par le DPCP (Directeur des poursuites criminelles et pénales), a demandé à obtenir les fruits de cette enquête, si tant est qu’il y en avait une ».

Après une « série de tergiversations », la poursuite s’est finalement exécutée, en divulguant ces résultats au compte-gouttes, indique le mémoire. Une divulgation dite entière a finalement été faite le 26 avril, mais elle s'est avérée caviardée en « large partie ».

« Les procureurs (de la poursuite) avaient connaissance de la tenue de l’enquête, et ce, depuis le début. Ils ont cependant décidé d’en cacher l’existence. (…) La seule explication plausible à cette attitude est que l’État savait que son comportement était fautif. »

Selon l’avocat de Tony Accurso, ces divulgations ont permis d’apprendre que les policiers de l'UPAC qui ont mené l’enquête sur les trois jurées auraient dû se contenter de les interroger sur une possible entrave à la justice, ce qui n’a pas été le cas.

Selon lui, « les policiers les ont également interrogées quant au verdict qui devait être rendu, leur réaction face à l’acquittement possible de (Tony Accurso) ainsi que sur la performance des procureurs » des deux parties.

Les enquêteurs « se sont ainsi retrouvés à avoir connaissance d’éléments qui auraient normalement dû être hors de leur portée ».

« Le résultat pratique de toute cette enquête est qu’elle a fait pencher la balance de la Justice en faveur de l’État qui maintenant connaissait des secrets relatifs aux comportements que devaient avoir ses avocats, aux carences constatées lors du premier procès à l’égard de sa preuve et de ses avocats. »

Des policiers et des procureurs en conflit d'intérêts?

Me Labelle souligne en outre que les policiers qui ont mené l’enquête sur les jurées appartiennent à l’UPAC, soit la même unité d’enquête qui a déposé les accusations à l’origine du procès de Tony Accurso.

De même, les procureurs qui ont supervisé l’enquête sur les jurées appartiennent au Bureau de lutte à la grande criminalité (BLGC). Or, les procureurs qui ont mené les deux procès de Tony Accurso appartenaient à ce même bureau.

« L’appelant soumet ici qu’il s’agit d’un cas clair et sans équivoque de conflit d’intérêts, la proximité entre les différents acteurs impliqués ne pouvant être niée. »

Les procureurs du BLGC qui ont analysé les fruits de l’enquête sur l’entrave à la justice affirment qu’ils n’ont pas partagé d’informations avec leurs collègues chargés du procès, mais il est permis d’en douter, écrit Me Labelle dans son mémoire.

« La simple affirmation qu’un mur de Chine entre des avocats d’un même bureau spécialisé (le BLGC) ne suffit pas à dissiper le doute; non seulement faut-il que justice soit rendue, il faut également que justice paraisse avoir été rendue », peut-on y lire.

Un des policiers qui ont enquêté sur une possible entrave à la justice a « contourné délibérément » la directive d’un juge, qui lui avait signifié l’obligation d’obtenir une ordonnance afin d'avoir les coordonnées des jurées, soutient l’avocat de Tony Accurso.

Selon lui, un policier a obtenu les coordonnées de la jurée numéro 6 « en utilisant le CRPQ (Centre de renseignements policiers du Québec) ainsi que son numéro de portable, sans préciser de quelle façon ledit numéro de portable et les nom et prénom de la jurée (…) ont été découverts ».

Les autres arguments de la défense

Me Labelle argue en fin de compte que le juge a erré à plusieurs reprises dans cet épisode, notamment en refusant de décaviarder les documents divulgués par la poursuite, et en rejetant une requête en arrêt des procédures « considérant le comportement abusif et illégal de l’État » qu’il a déposée.

Selon le mémoire, il plaide également que le juge a erré, notamment :
  • en permettant la production en preuve principale des contrats d’immunité de cinq des témoins de la poursuite;

  • en permettant une preuve massive de ouï-dire alors que les critères de fiabilité et de nécessité n’étaient pas remplis;

  • en interdisant aux témoins de traiter des témoins absents, privant ainsi (M. Accurso) d’un argument majeur et vital;

  • en avortant le premier procès après la plaidoirie de la défense.


Il revient maintenant à la poursuite de déposer ses arguments. Elle a normalement un mois pour le faire.

L’audition de l’affaire devant la Cour d’appel aura lieu ultérieurement.

M. Accurso n'a passé qu'une semaine derrière les barreaux en juillet 2018; il a été libéré en attendant que son appel soit entendu.
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