TSA et justice pénale : où en est-on?

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Julie Couture

2020-08-03 11:15:00

Les personnes atteintes du trouble du spectre de l'autisme sont-elles plus susceptibles de commettre un crime? Notre chroniqueuse criminaliste décortique la question...

Me Julie Couture est avocate criminaliste depuis 2003. Photo de courtoisie.
Me Julie Couture est avocate criminaliste depuis 2003. Photo de courtoisie.
La semaine dernière, un cas particulier a fait les manchettes pour de tristes raisons. Un individu de 32 ans, Jean-Luc Ferland, autiste, a été accusé du meurtre de sa mère, Suzanne Desjardins.

Ce cas, loin d'être le seul en son genre, nous ramène aux questions qui entourent notre système de justice quand l'accusé vit avec un TSA (Trouble du spectre de l'autisme).

De nombreuses questions se posent. Les personnes TSA sont-elles plus susceptibles de commettre un crime? Sont-elles plus vulnérables lorsqu'elles se retrouvent en prison? Les connaissances limitées en la matière ne permettent pas d'y répondre clairement.

Pas suffisamment de données sur le TSA chez l'adulte

Il n'y a pas suffisamment d'études qui ont été faites au sujet des individus atteints d'un TSA dans notre système de justice. Certaines études démontrent que des individus autistes pourraient être plus à risque de commettre des gestes criminels, à cause de certains de leurs comportements. Par exemple, une personne autiste qui est très sensible à son environnement et assujettie à une routine stricte, peut être fortement déstabilisée lorsque survient un changement imprévu.

Il est alors difficile de prévoir sa réaction, et en fonction du contexte, cette personne pourrait réagir violemment et blesser quelqu'un. On pourrait aussi imaginer une situation où la personne autiste blesse son interlocuteur, mais comme elle ne distingue pas bien le verbal du non-verbal, elle ne se rend pas compte de sa détresse et ne réagit pas. C'est cette difficulté entre autres qui impacte la capacité d'empathie de certaines personnes TSA. (Source : Troubles du spectre de l'autisme et système de justice pénal, Autisme.qc.ca)

Un autre problème par rapport à cette population (autistes) est que la très grande partie des données que nous avons sur eux portent sur l'enfance. Nous avons donc beaucoup plus d'informations sur les enfants TSA que sur les adultes. Or, plusieurs autistes sont laissés à eux-mêmes à l'âge adulte et c'est souvent à l'adolescence ou à l'âge adulte que ceux-ci se retrouvent à risque de commettre un geste criminel.

C'est pourquoi l'existence d'une fondation comme celle de Véro et Louis, qui crée des maisons pour les autistes adultes, est si importante et peut également avoir un impact sur le taux de criminalité chez les personnes atteintes, en leur permettant de vivre dans un environnement sécuritaire et encadré passé l'âge de 21 ans.

Arrestation d'une personne atteinte d'un TSA

Si vous avez déjà côtoyé des personnes vivant avec un TSA, vous pouvez facilement vous imaginer pourquoi celles-ci peuvent être déstabilisées lors d'une arrestation. Selon la gravité des atteintes ou comorbidités et la perception du monde qui les entoure, il peut être très difficile pour ces gens de traverser le processus judiciaire. Certains autistes sont non-verbaux et ne peuvent même pas répondre aux questions des policiers. D'autres pourraient avoir du mal à se rappeler ce qui s'est passé et répondre aux questions de manière erronée, sans en avoir l'intention. La personne arrêtée peut même être simplement incapable de fonctionner dans un milieu autre que son domicile, ce qui rend tout interrogatoire particulièrement complexe à réaliser. À l'opposé, il se peut qu'elle passe aux aveux sans réellement comprendre ce qui se passe, par simple désir de se montrer obéissante. (Source : Troubles du spectre de l'autisme et système de justice pénal, Autisme.qc.ca)

Tous ces éléments peuvent avoir de lourdes conséquences. C'est pourquoi il importe de continuer à se questionner sur la relation entre notre système judiciaire et les personnes autistes.

Ce qui détermine la responsabilité criminelle

Le problème, dans les cas où l'accusé est atteint d'un TSA, c'est qu'on associe la responsabilité criminelle à une intention coupable. Il peut donc être particulièrement complexe de déterminer et surtout de prouver que l'accusé souffrant d'un TSA était réellement conscient que son action était mauvaise ou criminelle.

Il faut déterminer si la perception de l'accusé peut être considérée comme pouvant alléger la peine, ou au contraire comme facteur aggravant. Si la défense est capable de prouver que l'accusé était dans l'impossibilité de savoir qu'il commettait un crime, on pourrait également envisager la défense de non-responsabilité criminelle.

Représenter une personne avec un TSA

En tant qu'avocat, pour représenter une personne atteinte d'un TSA, il est primordial de connaître la réalité de celle-ci. Les besoins particuliers de cette clientèle doivent être connus et bien compris par l'avocat de la défense afin de pouvoir la représenter adéquatement et équitablement. Il est parfois même complexe d'avoir accès à des experts médico-légaux qui sont familiers avec ces troubles, ce qui rend la défense encore plus difficile.

Finalement, pour la personne accusée elle-même, il peut s'avérer extrêmement difficile de comprendre le processus judiciaire qu'elle traverse. Son avocat doit être en mesure de la soutenir dans tout le processus et de l'outiller pour y faire face. En tant qu'avocate criminaliste, j’ai représenté des personnes vivant le trouble du spectre de l’autisme, aussi nommé autisme de haut niveau (asperger). Il est évident que je suis particulièrement touchée par ces causes et les défis qu'ils représentent.

Un jeune adulte condamné pour meurtre non-prémédité

On peut remonter à 2016 pour citer le cas de ce jeune adulte autiste de 22 ans qui a été accusé du meurtre prémédité de ses parents. Le drame s'était déroulé à Ottawa. Il s'était ensuite sauvé à Montréal pendant deux semaines, n'ayant plus aucune famille pour se mettre à sa recherche. Il avait fini par avouer son crime et se retrouver en prison.

Sans parents, frère ou sœur ni famille distante, c'est son avocat qui fût son seul lien avec le monde extérieur. L'accusé était atteint d'un TSA sévère, et éprouvait même de la difficulté à parler ou à se rappeler son nom. Imaginez alors comment il devait se sentir dans cette situation particulièrement déstabilisante.

En 2018, il a finalement plaidé coupable du meurtre non-prémédité de ses parents. Son procès avait été avorté suite à des dénonciations de supposées agressions sexuelles par son père. Il avouait quelques jours plus tard que celles-ci n'étaient que mensonges. Il a donc été condamné à la prison à vie. Dans ce cas en particulier, il a été jugé que l'état mental de l'accusé n'expliquait pas la violence du crime commis. Le fait qu'il ait menti en créant de fausses accusations pour échapper à son sort lui a également nui.

Un adolescent en attente de son procès

En février 2018, un adolescent autiste de 17 ans de Limoilou a tué sa mère de 49 ans, avec qui il demeurait un week-end sur deux. Le reste du temps, il vivait dans un centre d'hébergement avec des éducateurs spécialisés. Le crime fut violent ; il a poignardé sa mère à plusieurs reprises. Celle-ci est décédée à l'hôpital des suites de ses blessures.

L'adolescent a d'abord dû passer un examen psychiatrique qui l'a déclaré apte à subir son procès. Son avocat a ensuite demandé à ce qu'il subisse un examen sur la responsabilité criminelle. Le psychiatre consulté par la défense a déclaré qu'il ne pouvait pas être tenu criminellement responsable. Le psychiatre interrogé par la poursuite a quant à lui déclaré l'inverse.

Le procès de ce jeune homme devait avoir lieu à l'hiver 2020. Comme on sait que notre système de justice a connu une pause involontaire cet hiver, et bien que les activités judiciaires reprennent tranquillement et graduellement, il va sans dire que son procès a été repoussé, comme tant d'autres.

La Couronne a l'intention de réclamer une peine pour adulte, alors que l'accusé était mineur au moment du crime. Ceci peut faire la différence entre une peine maximale de 7 ans (système de justice pénale pour adolescent) et la prison à perpétuité (pour les adultes) dans le cas d'une condamnation pour meurtre au second degré. C'est un cas à suivre...

TSA et crime sexuel

Un autre cas, un autiste de 22 ans accusé de leurre informatique envers deux adolescentes. L'avocat de la défense a fait valoir que l'accusé a vécu de l'intimidation pendant toute sa jeunesse en raison de son TSA. La juge Chantal Pelletier a reconnu que l'accusé n'avait pas de déviance sexuelle et que c'était un cas particulier qui méritait d'être traité différemment. Elle en a conclu que c'est son état qui l'a amené à poser les gestes déplacés (à savoir, les conversations en ligne).

Bien qu'il ne se soit pas retrouvé en prison, il figure désormais au registre des délinquants sexuels pour le reste de ses jours. Il n'avait aucun antécédent judiciaire.

Vivre seule avec un "cas lourd" sans ressources

Dans le cas cité en début d'article, c'est il y a quelques jours seulement que l'accusé a comparu au palais de justice de Drummondville. La victime, la mère de l'accusé Jean-Luc Ferland, avait contacté les policiers la veille du drame car elle éprouvait des difficultés avec son fils autiste de 32 ans qui vivait avec elle. Elle souhaitait pouvoir le forcer à subir une évaluation psychiatrique. Elle n'a pas obtenu l'aide qu'elle demandait car il n'avait pas (encore) été violent avec elle et ne l'avait pas menacée, même si son comportement montrait des signes inquiétants.

Qui sait si elle n'aurait pas obtenu le soutien nécessaire, si elle avait eu à sa disposition de meilleures ressources pour les adultes autistes. Elle vivait seule avec son fils qui était considéré comme un "cas lourd" et elle ne recevait aucune aide. Mme Desjardins est décédée le lendemain de sa visite au poste de police.

En attendant son procès, M. Ferland demeure détenu puisqu'il fait face à une accusation de meurtre au deuxième degré. Le dossier sera entendu le 14 août prochain au palais de justice de Drummondville.

Vivre avec un TSA en pleine pandémie

La crise qu'on vit depuis la mi-mars avec la Covid-19 ne fait qu'accentuer les problèmes que rencontrent de nombreuses familles comme Mme Desjardins et son fils. Le virus, l'incertitude, les débats médiatisés et surtout le confinement forcé, que ce soit seul ou avec les membres de sa famille, tous ces éléments ne sont rien pour faciliter la vie de personnes pour qui le quotidien a une si grande importance. Pire : à cause du confinement, certaines ressources dédiées aux gens qui souffrent de maladie mentale sont moins disponibles qu'avant.

Il existe des organismes pour soutenir les proches qui sont en détresse comme l'était la mère de M. Ferland. Citons par exemple l'Association des proches de la personne atteinte de maladie mentale (APPAMM). Nous ne répéterons jamais assez que les proches ne doivent pas attendre d'être épuisés ou à bout avant de demander de l'aide. Mais qu'en est-il quand les gens demandent de l'aide et n'en reçoivent pas, comme ce fût le cas de Mme Desjardins?

La communication doit s'améliorer à ce sujet entre les corps policiers, le système de justice et les organismes qui soutiennent les personnes atteintes de troubles mentaux et ceux vivant avec un TSA, ainsi que leurs familles. Les policiers auraient sans doute pu référer Mme Desjardins à un organisme approprié plutôt que de la retourner chez elle, alors qu'elle craignait visiblement pour sa sécurité.

N'attendons pas que d'autres drames se produisent avant de réagir. Il y a tout un travail de sensibilisation à faire auprès de tous les acteurs du système judiciaire. On connaît tous une personne vivant avec un tsa, il faut être capable de leur apporter du soutien et de la compréhension. Plus on va les écouter, mieux on va les comprendre.

Sur l’auteure

Me Julie Couture est avocate criminaliste depuis 2003. Elle a fait ses débuts avec l'honorable juge Marco LaBrie et l'honorable Alexandre St-Onge tous deux maintenant juge à la Cour du Québec. Fondatrice de Couture avocats, elle pratique en droit criminel et pénal exclusivement.

Maître de stage pour le barreau du Québec, elle a longtemps formé les jeunes avocats et avocates criminalistes ce qui lui a aussi permis d’avoir trois enfants. Entrepreneure depuis le début de sa pratique du droit, et très présente sur le web, elle pourra partager ses expériences afin d'aider le plus possible la communauté juridique. Elle a longtemps commenté l'actualité dans le Journal de Montréal comme l'avocate du journal et dans son blogue juridique en plus de plusieurs passages à la télévision.

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1 commentaire

  1. béatrice
    béatrice
    il y a un an
    autisme
    Il faudrait commencer à vivre avec son époque et se rappeler avant tout que les personnes atteintes de troubles autistiques sont avant tout victimes dans nos sociétés ; il est bien certain que si elles avaient le choix elles préfèreraient être comme les autres. Malheureusement, bien peu de gens cherchent à comprendre l'immense difficulté de leur existence et elles doivent vivre dans une solitude immense. Qui tente d'ouvrir la porte qui mène à leur monde ? Qui peut comprendre l'étendue et la profondeur de ce désert que les autistes traversent, de ce gouffre dans lequel ils se trouvent ? Les autistes, criminels ou pas sont des êtres d'une grande innocence....mais qui peut comprendre cela ?

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