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À la recherche des délais suspendus

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Léa Chebli

2020-09-17 11:15:00

Comment se traduit la suspension des délais de manière concrète dans vos dossiers?

Me Léa Chebli, l’auteure de cet article.
Me Léa Chebli, l’auteure de cet article.
Le 15 mars 2020, en raison de la pandémie de la COVID-19, le gouvernement du Québec a suspendu tous les délais de procédure civile ainsi que les délais de prescription extinctive et de déchéance (1). Qu’est-ce que la suspension des délais et comment se traduit-elle de manière concrète dans vos dossiers ? Nous faisons un tour d’horizon ci-dessous.

Il est important de ne pas confondre suspension et interruption d’un délai. Si la seconde consiste à « repartir le compteur à zéro », la suspension est un arrêt momentané du délai suspendu, qui continuera à courir après la suspension uniquement pour la durée du temps restante. Ainsi, un délai de 3 ans suspendu après 2 ans pour une période de 6 mois, continuera de courir pour 1 an (la durée de temps restante) une fois la suspension levée, et non pour la totalité des 3 ans qui constituent le délai.

Le 31 août 2020, il a été décrété que la suspension des délais de procédure civile et de prescription prendrait fin le 1er septembre 2020, soit après 170 jours (presque 6 mois !) de suspension (2).

Ainsi, à compter du 1er septembre 2020, tous les délais de prescription extinctive et de procédures civile ont recommencé à courir. L’arrêté 2020-4303 prévoit cependant un délai de grâce de 45 jours additionnels applicable dans certaines situations.

Les délais de prescriptions extinctives et de déchéance

À compter du 1er septembre, les délais de prescription extinctive et de déchéance ont recommencé à courir pour le temps restant aux dits délais. Il est donc très important d’être à l'affût de tels délais pour ne pas perdre ses droits.

Exemple : si un délai de prescription pour intenter un recours en justice venait à échéance le 29 mars 2020 et qu’il a été suspendu le 15 mars 2020, il ne recommencera à courir que le 1er septembre pour le temps restant, soit 15 jours. On inclut les 15 et 29 mars vu qu’il s’agit d’un délai ''en cours''. Le délai viendra donc à échéance le 15 septembre 2020.

Les 45 jours « de grâce »

Lorsqu’un délai de procédure civile venait à échéance 15 jours après la suspension du 15 mars 2020, il aura été suspendu jusqu’au 1er septembre et viendrait donc à échéance le 15 septembre. Cependant, pour éviter de bouleverser davantage une rentrée judiciaire qui s’annonce déjà chargée, et compliquée, l’arrêté 2020-4303 rajoute 45 jours additionnels aux délais suivants, à condition que les parties n’aient pas été en défaut de respecter ces délais au 15 mars 2020 :
  • le délai pour déposer un protocole de l’instance

  • les délais prévus aux protocoles de l’instance déposés avant le 1er septembre 2020

  • la mise en état du dossier pour les demandes introductives d’instance déposées avant le 1er septembre 2020

  • Concrètement, cela se traduit de la manière suivante.

    Pour les demandes introductives d’instance déposées pendant la suspension (entre le 15 mars 2020 et le 1er septembre 2020) :

    Les parties ont 45 jours ''de plus'' pour déposer leur protocole et inscrire le dossier. Ainsi, pour une demande introductive d’instance en matière civile qui aurait été déposée le 1er août 2020, les parties ont :
  • Jusqu’au 30 novembre 2020 pour déposer leur protocole (45 jours prévu au C.p.c. commençant à courir le 1er septembre ET le délai de 45 jours additionnel)

  • Jusqu’au 15 avril 2021 pour mettre en état le dossier (6 mois prévus au C.p.c. commençant à courir le 1er septembre ET le délai de 45 jours additionnel)


Pour les dossiers institués avant la suspension ET dans lesquels les parties n’étaient pas en défaut de respecter les échéances au 15 mars 2020 :

Les parties bénéficient d’un délai additionnel de 45 jours à compter du 1er septembre pour les délais susmentionnés en plus du temps qu’il restait à courir pour lesdits délais avant le 15 mars 2020.

Exemple : si un dossier devait être mis en état le 29 mars 2020, ce délai a été suspendu le 15 mars 2020 jusqu’au 1er septembre 2020. À compter du 1er septembre 2020, le délai recommence à courir pour le temps restant, soit 15 jours (rappel qu’on inclut les 15 et 29 mars vu qu’il s’agit d’un délai ''en cours''), et les parties bénéficient en plus du délai de 45 jours. Ce dossier devra donc être en mis en état le 30 octobre 2020 (15 jours restant du délai à partir du 1er septembre + les 45 jours additionnels). Il est aussi possible de calculer un tel délai en y ajoutant 215 jours (170 jours de suspension + 45 jours de grâce).

Il est important de prendre note que le délai de 45 jours de grâce ne s’applique pas aux délais d’appel. Ainsi, pour un délai d’appel d’un jugement de 30 jours en vertu de l’article 360 C.p.c, celui-ci sera calculé de la manière suivante.

Pour un jugement dont le délai d’appel a débuté pendant la suspension :

Au 1er octobre 2020 (30 jours ''débutant'' le 1er septembre puisqu’en vertu de l’article 83 C.p.c. le premier jour n’est pas compté dans l’échéance mais le dernier oui).

Pour un jugement dont le délai d’appel a débuté avant la suspension :

Pour le nombre de jours qu’il restait, à partir du 1er septembre, en incluant ce jour puisqu’il s’agit de la ''continuation'' et non du ''début'' d’un délai. Par exemple, pour un délai d’appel de 30 jours débutant le 1er mars et venant normalement à échéance le 31 mars 2020, ce délai a été suspendu le 15 mars et recommence à courir le 1er septembre pour les 17 jours restants (15 mars au 31 mars en incluant ces deux jours dans le calcul), soit jusqu’au 17 septembre 2020 (on inclut le 1er et le 17 septembre).

Le tribunal reste bien évidemment compétent pour en décider autrement et modifier les délais applicables aux dossiers en cours. Également, les délais susmentionnés ne s’appliquent pas automatiquement aux affaires administratives, puisqu’il pourrait y avoir eu des règles différentes, comme en matière de logement où la suspension des délais relatifs aux dossiers relevant de la compétence de la Régie du logement a été levée le 6 juillet 2020 (3).

(1) Arrêté 2020-4251
(2) Arrêté 2020-4303
(3) Arrêté 2020-4282

Sur l’auteure

Léa Chebli est avocate au cabinet IMK à Montréal.
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2 commentaires

  1. Me Redoute
    Me Redoute
    il y a 3 ans
    Merci
    Un gros merci à Me Chebli pour sa générosité à partager le fruit de son travail.

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 3 ans
    Appréciation de Marcel Proust
    J'adore la référence à Marcel Proust dans le titre de l'article de Maître Chebli. Il faut lire autre chose que de la jurisprudence si on veut se nourrir l'esprit.

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