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De Bulgarie à Professeur titulaire!

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Camille Laurin-desjardins

2020-09-28 11:15:00

Il a quitté la Bulgarie en 2002 pour venir s’établir au Québec. Il vient d’obtenir un poste de professeur à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Entretien...

Ivaylo Kraychev. Photo : Site Web de l’Université d’Ottawa
Ivaylo Kraychev. Photo : Site Web de l’Université d’Ottawa
Il a pratiqué comme avocat au privé pendant huit ans en Bulgarie, avant de venir s’établir au Québec avec sa petite famille. Ici, l’avocat plaideur a dû refaire une licence en droit pour pouvoir être reconnu comme avocat.

Depuis 2007, Ivaylo Kraychev est chargé de cours à la section de droit civil de l’Université d’Ottawa. Treize ans plus tard, il voit sa nomination à titre de professeur remplaçant, un poste d’une durée de deux ans, comme un accomplissement.

Droit-inc a discuté de son parcours atypique avec le civiliste, pour qui plaider, ça reste l’art de convaincre... que ce soit en français ou en bulgare!

Droit-inc : Enseigner, est-ce que cela a toujours été un but pour vous?

Non... J'ai d’abord été avocat plaideur de première ligne, en Bulgarie, et c'est ce que je voulais faire.

C’est pour ça qu'en arrivant au Canada, je n'ai pas continué avec un doctorat, mais j'ai refait pratiquement une deuxième licence, pour avoir accès à l'École du Barreau et à la profession.

Par après, quand ma vie s'est réorientée un peu vers l'enseignement, mes objectifs ont graduellement changé.

Pendant quelques années, j'enseignais en même temps à l'Université d'Ottawa, à l'Université du Québec en Outaouais et j'avais mes dossiers. Et à un certain moment, j'ai dû faire un choix.

Parce que sinon, ça n’aurait pas été correct, à la fois vis-à-vis mes étudiants et mes clients. Et j'ai choisi de me consacrer entièrement à l'enseignement universitaire. Donc, pendant des années, j'ai été chargé de cours au deux universités.

Donc vous ne pratiquez plus?

Non. Vers 2012, je me suis consacré entièrement à l'enseignement universitaire.

Pourquoi avez-vous décidé de venir au Québec?

Votre question a deux volets : la première, c'est pourquoi j'ai quitté la Bulgarie, et la deuxième, c'est pourquoi j'ai choisi le Québec…

À la première : je n'aimais pas la situation, surtout politique, en Bulgarie. Je ne suis pas un immigrant économique au sens strict du terme, bien que c'est ce programme que j'ai utilisé. Mais je me considère plutôt comme un immigrant de valeurs.

J'étais encore étudiant au moment de la chute du mur de Berlin. C'était toute cette ère post communiste... où il était assez difficile de pratiquer le droit, dans un tel environnement. J'ai essayé de changer l'environnement, j'ai participé à toutes les manifestations pro-démocratie et anticommunistes – et des fois, je le fais même maintenant, quand je me trouve en Bulgarie.

Les choses s'améliorent, les choses bougent, mais je dirais à la vitesse d'une tortue.

Donc, j'ai essayé de faire ce que je pouvais, mais… ma décision était prise : on va quitter le pays.

À l'époque, il n’y avait pas énormément de pays qui acceptaient légalement des immigrants. Il y avait surtout le Canada et l'Australie.

J’ai pris connaissance du programme par hasard… J’ai vu des annonces en français dans un journal en Bulgarie : « Vous êtes jeune et dynamique? Peut-être que le Québec vous intéresserait. »

Sauf que je n'ai pas tout de suite postulé, parce qu'à l'époque, au Québec, il y avait des métiers indésirables. Et la liste des métiers était en ordre alphabétique, alors vous pouvez vous imaginer : « avocat » était en première place!

Donc j'ai attendu un certain temps, et après, j'ai vu que les exigences avaient changé, et c'est à ce moment-là que j'ai postulé.

Pourquoi j'ai choisi le Québec? Premièrement, parce que je parlais français...

Vous avez appris le français en Bulgarie?

Oui. J'ai fait ce qui est l'équivalent de l'école secondaire dans un lycée français, là-bas.

Par après, j'avais un peu oublié, parce qu'avant l'université, c'était l'armée obligatoire, puis l'université, qui était en bulgare.

Mais après, j'ai eu beaucoup de clients de la France, je faisais du droit international privé, j'avais des compagnies françaises qui poursuivaient différentes compagnies bulgares, donc je l'ai assez bien maintenu avant de venir ici.

Donc vous avez entamé ces procédures pour immigrer au Québec…

Oui. J’ai rempli les documents, plus tard, j’ai fait une entrevue… Et ensuite, j'ai été admis. J’ai décidé de partir avec ma famille et de m'établir ici.

Je suis marié et j'ai une fille. J’ai fait bien sûr la procédure pour toute la famille. Ma femme aussi est avocate, elle parle français. Donc ç’a contribué à monter un bon dossier… avec notre enfant qui à l'époque, était en bas âge.

Après, ça m'a pris quelques mois pour m'orienter dans la situation. Et pour retourner à ce que je faisais, la question s'est posée: est-ce qu'on revient aux études ou on revient au pays? Et j’ai décidé de retourner aux études.

Comment cela fonctionne-t-il? Vous avez dû refaire vos études en droit?

Oui, en partie. Parce que vous savez, moi, je voulais faire ce que je faisais en Bulgarie... je voulais avoir accès à l'ordre professionnel, c'est-à-dire le Barreau du Québec. Donc ça prend soit une équivalence que le Barreau prescrit, soit un diplôme dans l'une des universités reconnues.

J’ai choisi de faire à nouveau mes études à l'Université d'Ottawa. J'avais une trentaine de crédits qui étaient reconnus, sur 97. Donc il fallait que je fasse le reste. Je l'ai fait en deux ans et demi. À l’époque, je travaillais déjà dans un bureau de la région.

C'était un poste étudiant, chez Beaudry Bertrand. Je faisais de la recherche juridique, et ç'a bien tombé, ils m'ont gardé pour mon stage après la fin de l'école du Barreau.

Et ensuite?

J'ai travaillé un peu au centre d'un bureau, mais c'est plutôt une société nominale... les avocats, chacun, on travaille pour soi, donc pratiquement, je travaillais à mon compte, mais très souvent en collaboration avec d'autres avocats.

Et entretemps, en 2007, j'ai commencé, ma première charge de cours à l'Université d'Ottawa. Et à partir de 2009, j'ai commencé à avoir des charges de cours à l'UQO.

Avez-vous trouvé cela difficile, de devoir refaire vos études?

Eh bien, vous savez, l'immigration, ce n'est pas une tâche qui est très facile. Il faut s'adapter aussi à la culture. Parce que bon, on peut connaître la langue, mais si on ne connaît pas la culture du pays… les premières années, c'est toujours dur. Mais je m'attendais à ça, c'est certain.

Votre femme a fait la même chose?

Oui... D'abord, c'est moi qui avais trouvé un petit travail, et elle est entrée aux études. Après, j'ai commencé les études. Par contre, j'ai commencé l'École du Barreau avant elle, elle l'a fait après moi. Mais ça dépendait de qui, entre temps, avait trouvé un travail. Ce n'était pas évident, mais c'était faisable!

Qu’est-ce que vous aimez dans l’enseignement? Pourquoi avez-vous fait le choix de vous y consacrer?

J'adore le contact avec les étudiants. Pour être honnête, j'aimais aussi la plaidoirie... Mais j'ai découvert que l'enseignement me fascinait autant, sinon plus. Le contact des étudiants, les présentations, tous ces échanges... En deux mots : j'adore!

Est-ce que ça vous manque, en temps de COVID?

Le contact avec les étudiants, oui, ça me manque. J'ai déjà donné des cours entièrement en ligne, on a les outils techniques pour le faire. On essaie d'avoir la même qualité.

Mais quand vous avez une centaine d'étudiants, c'est beaucoup plus facile en salle, parce qu’on peut voir leur visage, lire leur visage... Des fois, on peut sentir si le message passe ou pas, tandis que quand on ne les voit pas, c'est un peu plus difficile.

Je crois que le contact immédiat, ça manque aussi aux étudiants et à mes collègues.

Qu'est-ce que vous enseignez?

J'enseigne différentes disciplines du droit privé, donc le droit d'inspiration française, des disciplines basées sur le code civil. Et j'adore ça, parce que, vous savez, la Bulgarie est un pays civiliste, aussi. Donc, ils ont repris aussi la base de leurs lois en droit privé, c'est toujours le code Napoléon, comme c'est le cas au Québec.

J'enseigne le droit des sûretés – que j'enseignerai en janvier, et que j'ai enseigné peut-être 25 ou 26 fois dans le passé, comme chargé de cours! Ce sont les hypothèques, les priorités, les gages... Donc, comment le créancier se garantit d'être payé.

J'enseigne aussi le droit des obligations, les contrats, le droit des biens.

Je vais donner aussi à l'hiver deux séminaires de plaidoirie. J'ai commencé avec ça, d’ailleurs, en 2007. J'ai réussi à convaincre l'université de m'embaucher en utilisant mon expérience d'avocat plaideur à l'autre bout du monde (rires)!

Plaider, c'est l'art de convaincre un décideur de prendre une décision en votre faveur. Et un décideur, c'est un être humain. On travaille surtout sur le raisonnement, un peu moins sur les sentiments de cet être humain. L'être humain ne diffère pas beaucoup dans le temps, et il n'est pas si différent au Québec ou en Bulgarie... ou n'importe où dans le monde.
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1 commentaire

  1. ancien de l'UdeO
    ancien de l'UdeO
    il y a 3 ans
    Félicitation
    Bravo. C'est bien mérité. Un professeur qui se démarque par son dévouement envers les étudiants. Bien content que ce soit reconnu.

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