Pierre Arcand

Y a-t-il trop de diplômés ?

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Pierre Arcand

2012-04-02 08:30:00

Suite à la question Que vaut l'expérience française?, un(e) avocat(e) étranger relate ses difficultés pour décrocher un poste ici. Pour Pierre Arcand le problème vient d'ailleurs... dans le fait que les universités produisent trop de diplômés.

Question

Je vous écris suite à votre article : "que vaut l'expérience française?" qui a particulièrement attiré mon attention. En effet, je fais partie des étudiants étrangers qui effectuent une équivalence pour le Barreau du Québec ou dans d'autres cas, pour la Chambre des notaires.

Ces ordres reconnaissent nos expériences et diplômes obtenus à l'étranger, pour la plupart en France. Ils se basent sur une comparaison des cours, par le biais de syllabus détaillés que nous devons produire à ces ordres lors de notre demande d'équivalence.

Suite à l'examen de notre dossier, nous devons effectuer une équivalence au sein d'une Université Québécoise, la plupart d'entre nous effectuons 45 crédits, soit 15 cours, et passons par l’École du Barreau.

Par conséquent, nous avons un gouvernement qui accepte notre candidature comme résident permanent, un ordre qui reconnait nos diplômes et expériences professionnelles, en plus d'effectuer une équivalence dans une université québécoise.

Malgré cela, nous avons du mal à obtenir ne serait-ce qu'une entrevue dans notre recherche de stage, et je ne parle même pas d'un emploi. Nous sommes des travailleurs qualifiés ayant déjà pratiqué à l'étranger. Certes, la comparaison ne peut-être parfaite, mais elle demeure possible.

Les ordres reconnaissent nos aptitudes et nos "lacunes" en droit québécois sont comblées par l'équivalence que nous suivons. Par ailleurs, la plupart d'entre nous, sommes installés au Québec de manière définitive, certains ont des enfants scolarisés, d'autres sont propriétaires de maisons...

Par conséquent, les réticences des grands et moyens cabinets de Montréal me semblent non fondées. Il faudrait les informer davantage sur nos compétences, car notre double-cursus doit être perçu comme une richesse et non comme une faiblesse. Tout le monde ne peut prétendre à cela. Nous avons quitté notre pays, nos familles et amis et nous avons repris nos études. Qui peut en dire autant ?

Je souhaiterais beaucoup "médiatiser" notre cause afin de pouvoir avoir droit à une chance, comme tout autre citoyen du Québec.

Cordialement.

Réponse

Chère lectrice/lecteur,

Habituellement je ne me lance pas dans une argumentation sur les positions que je prends dans mes chroniques mais votre question et les informations incluses permettent de préciser aux lecteurs le cheminement qui mène aux équivalences. Juste pour cela, votre question méritait d’être publiée.

Plus encore, un complément de réponse qui initialement était destiné à vous uniquement, m’a fait réaliser que le point que vous soulignez n’est peut-être pas une conséquence de la non reconnaissance de l’expérience acquise à l’étranger mais plutôt du nombre de diplômés en droit en regards du nombre d’emplois disponibles. Voici donc ma réponse à vos commentaires.

 Me Pierre Arcand, recruteur juridique, répond à vos questions
Me Pierre Arcand, recruteur juridique, répond à vos questions
Je comprends très bien votre point de vue. Je suis conscient de l’apport des nouveaux arrivants à l’économie du Québec et des efforts faits par ces derniers pour s’y intégrer. Ceci étant dit et comme je le mentionnais précédemment, les étudiants issus d’un cheminement atypique et qui ont des études autres que la fac de droit, qu’ils soient immigrants ou non, font tous face au même problème; celui de faire reconnaitre leurs études ou leur expérience, par les cabinets et employeurs potentiels

Je vous rappelle par ailleurs que les étudiants au profil standard ont aussi de la difficulté à trouver un stage et un emploi s’ils ne sont pas dans le premier tiers sur le plan des résultats académiques. Votre situation n’est donc pas l’exception mais la règle applicable à la majorité des nouveaux diplômés en droit au Québec.

Ce qui m’emmène à poser la question suivante : l’offre (diplômés) dépasse-t-elle la demande (emplois disponibles) ? Oui, probablement, et ce, même avant l’arrivée des équivalences pour étudiants étrangers. Le problème se situe donc, selon moi, au niveau du nombre de diplômés, et non au niveau de la reconnaissance de l’expérience étrangère ou du double cursus comme vous le dites.

Je n’ai malheureusement pas de solution à proposer pour régler cette situation. Le contraire aurait été prétentieux car plusieurs ordres professionnels sont confrontés à cette réalité depuis plusieurs années et ils ne semblent pas avoir trouvé de solution. Je me contenterai donc d’énumérer les options envisageables et je vous laisserai le soin de forger votre propre opinion. Je souligne certains avantages et inconvénients mais il ne s’agit que des plus évidents, on pourrait faire une thèse de doctorat sur le sujet (si ce n’est pas déjà fait).

Options 1. Contingenter l’entrée à la faculté de droit

Avantages : les étudiants ne perdent pas 3 années pour se retrouver sans emploi, il y a moins d’étudiants dans les facultés donc un enseignement plus personnalisé, moins de monde à l’entrée donne automatiquement moins de monde à la sortie.

Inconvénients : on sélectionne les individus avant même qu’ils n’aient la moindre formation en droit, on passe à côté d’excellents juristes qui n’ont pas les résultats voulus au niveau collégial, on a moins de financement pour les universités (les inscriptions en droit et autres sciences sociales qui ont un ratio de 100 étudiants pour un enseignant financent les programmes comme médecine qui exige un ratio étudiant/ enseignants beaucoup plus bas). Une fois admis à la faculté, on a presque automatiquement notre droit de pratique.

Option 2. Contingenter pendant les études à la Faculté

Avantages : la sélection est faite sur la base des résultats à la faculté et non au Collégial, il y a plus d’étudiant qui ont la chance de faire leurs preuves, mais seulement ceux ayant les meilleurs résultats peuvent passer l’année suivante, les étudiants plus faibles sont fixés rapidement sans perdre trois années de leur vie.

Inconvénients : ce sont les universitaires qui font la sélection via les programmes de cours, les évaluations et les résultats en première année, il y aurait un très grand nombre d’étudiants par classes en première année au moment crucial où se fait la sélection.

Option 3. Contingenter l’admission au Barreau par les examens de l’École du Barreau

Avantage : l'évaluation est faite via un programme élaboré par des gens ayant l’expérience de la pratique, évaluation uniforme au niveau du Québec, évaluation orientée vers la pratique du droit et non vers la théorie (idéalement), les universités peuvent continuer à financer leurs programmes les plus dispendieux avec les inscriptions en droit.

Inconvénients : les étudiants ont « gaspillé » trois années et des frais importants avant de s’apercevoir qu’ils ne pourront pas pratiquer comme avocat. Il est permis de se demander si ce sont vraiment les meilleurs qui seront sélectionnés dans le cadre des évaluations faites à l’École du Barreau considérant les différents modèles qui ont été mise en place depuis 1990.

Option 4. Ne pas contingenter et laisser le libre marché faire son œuvre.

Avantage : tout le monde a sa chance de se faire valoir sur le marché du travail, même si les conditions ne sont pas idéales pour tous. Les universités financent une partie des programmes plus dispendieux avec les étudiants de droit.

Inconvénients : il est permis de se questionner sur la valeur de certains diplômés et par le fait même la valeur du diplôme si aucun contingentement (ou sélection naturelle) n’est fait dans le cadre des études. Plusieurs diplômés se retrouvent sans emploi ou sans la possibilité de faire un stage après quatre années d’études.

Comme vous pouvez le constater, il n’y a pas de solution magique. La situation actuelle est probablement un amalgame de toutes ces options. Ce n’est pas la situation idéale mais est-ce qu’une situation idéale est possible ? Je ne crois pas, mais si vous pensez avoir la solution, vous pouvez formuler vos commentaires sur le sujet, je les lirai avec intérêt.

Je suis conscient que je ne réponds pas directement la question qui m’est posée, mais je crois qu’il ne peut y avoir de réponse ou de solution au problème que vous énoncez et qui touche les immigrants sans en trouver une, au moins partielle, au problème plus général qui touche tous les membres du Barreau actuels ou en devenir.

Par contre vous parlez de médiatisation de la situation. Je crois que la médiatisation qui doit être faite, devrait viser les gens intéressés à l’obtention d’équivalences professionnelles afin qu’ils connaissent les difficultés qu’ils vont rencontrer (comme d’ailleurs devraient l’être les étudiants au CEGEP avant leur inscription en droit), tant au niveau des équivalences qu’après les avoir obtenues. De cette façon, à défaut d’aplanir les obstacles, ils seront au moins informés à l’avance de ce qui les attend et pourront faire un choix éclairé.

Je terminerai avec un commentaire bien personnel. Je n’ai pratiquement jamais entendu un étudiant en droit à l’université dire qu’il abandonnait parce que les études en tant que telles, étaient trop exigeantes. Certains se font montrer la sortie parce que leurs résultats étaient médiocres, mais il s’agit d’une infime minorité et on peut questionner leur motivation.

Une fois acceptés à la faculté, les étudiants les moins motivés, en ressortent avec un diplôme qu’ils soient doués ou non. Je crois que dans le but de resserrer les critères d’admissions à la profession, autant que d’augmenter la valeur de notre diplôme, et accessoirement de contingenter l’accès au Barreau, le passage à l’université devrait être beaucoup plus exigeant en terme de temps et d’efforts.

Je pense la même chose, à tort ou à raison, de pratiquement tous les diplômes universitaires. L’université fut un lieu de haut savoir, pas certain que ce soit toujours le cas. En passant, cela n’a rien à voir avec le débat actuel sur le dégel des frais de scolarité, mais si l’université, par son niveau élevé d’exigence intellectuelle, devenait l’apanage de gens uniquement motivés, intelligents et prêt à s’investir (personnellement et non financièrement) dans leur formation, peut-être que nous n’aurions pas économiquement besoin de dégeler les frais de scolarité. J’arrête ici car mon texte déjà long risque de s’éterniser.

Je vous souhaite une belle semaine,

Pierre Arcand

La Question au Recruteur

Chaque semaine, le recruteur juridique Me Pierre Arcand répond à une question posée par vous, chers lecteurs.

La Question au Recruteur de la semaine est choisie parmi toutes celles reçues sur le site. Toutes les questions sont bonnes pour autant qu’elles concernent votre carrière de juriste.

Sur l'auteur

Pierre Arcand s'est spécialisé en recrutement juridique après avoir pratiqué le droit pendant une douzaine d'années. Ayant été associé au sein de cabinets boutiques ainsi que d'un important cabinet de Montréal, il connaît bien la communauté juridique et les enjeux reliés à la pratique du droit tant en cabinet qu'en entreprise. Arcand et Associés, une entreprise spécialisée dans le recrutement de cadres et de professionnels, a été fondée en 1999. Pierre Arcand et son équipe apporte un soutien professionnel tant aux entreprises qu'aux cabinets qui cherchent à recruter les meilleurs candidats disponibles.
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