Complaisance et eau de javel

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Frédéric Bérard

2012-10-17 15:00:00

Cette semaine, notre super chroniqueur Frédéric Bérard s'intéresse à la Commission Charbonneau et au système de corruption mis en place au Québec qu'elle a révélé.

"La morale, c'est peut-être ringard, mais ça reste encore ce qu'on a trouvé de mieux pour distinguer le bien du mal."

Frédéric Beigbeder

J’étais et suis encore de ceux qui se méfient des commissions d’enquête. L’exercice, théoriquement noble et pertinent, se transforme trop aisément en buffet médiatique à la sauce sensationnaliste : trucide de la présomption d’innocence, ouï-dire à répétition, crime par association, allégations bien souvent autant diffamatoires que non vérifiées, confusion entre simples soupçons, accusations et condamnations.

Frédéric Bérard revient sur la Commission Charbonneau
Frédéric Bérard revient sur la Commission Charbonneau
Loin d’être de la responsabilité des commissaires ou de ses procureurs, ceux-ci faisant habituellement un job honnête et rigoureux, les tares ci-haut soulevées sont plutôt la conséquence d’une rigueur médiatique inversement proportionnelle à l’influence posée par le 4ème pouvoir. Notamment sur la réputation d’autrui.

Cela dit, au-delà des raccourcis médiatiques pris et entrepris quant à la couverture de la Commission Charbonneau, reste qu’un fait demeure : si le modus operandi débusqué se veut véridique, nous voilà dans de bien jolis draps. Politiquement, collectivement et fiscalement parlant.

Ajoutez à ce qui précède la razzia de l’UPAC en termes de perquisitions et accusations, et ce qui fut pendant longtemps simple rumeur deviendra sous peu, force est de constater, triste réalité : le milieu québécois de la construction serait ainsi donc corrompu. Idem pour le processus d’octroi des contrats publics, visiblement contaminé par la mainmise d’un louche entrepreneuriat sur une faction politique tout aussi peu vertueuse (remarquez l’emploi répétitif du concept d’euphémisme).

Au fil des derniers jours, certaines observations, en vrac, me sont venues à l’esprit. En voici les axes principaux :
  • Parle-t-on réellement ici du Québec ? D’une société libre et démocratique, où l’appareil politique doit, tant faire se peut, s’isoler des pressions et trafics d’influence du milieu corporatif ? Le versement direct de ristourne aux partis politiques, voire aux hommes d’État, afin d’obtenir un contrat public ? Vraiment ? Duplessisme 2.0 ? Qu’en est-il aujourd’hui de l’assainissement des mœurs politiques entrepris par Lévesque ?

  • Depuis combien de temps ce modus operandi existe-t-il ? Que faisaient les flics, pendant tout ce temps ? Ils attendaient la mise sur pied de l’UPAC ? De la Commission Charbonneau ? Ah bon. La corruption ne constitue-t-elle pas un crime d’importance au moins égale à certaines infractions devenues socialement désuètes ? Plus complexes certes de de tapocher un inoffensif badaud tenant sa bière sur le trottoir, mais quand même. Où se trouve le matricule 728 lorsque nous avons réellement besoin d’elle ? Me semble que certains mafieux y penseraient deux fois… Fin de la capsule humour noir (et inutile).

  • Si l’utilité de l’UPAC et de la Commission se révélait si fondamentale, pourquoi avoir autant traîné, alors ? Vous me répondrez : la complicité politicienne. Peut-être. Le cas échéant, n’a-t-on pas les gouvernements que nous méritons ?

  • Une fois le spectacle terminé et les médias enfin repus, que faire ? Suivre les recommandations de la Commission Charbonneau ? J’espère bien. Régie d’octroi des contrats publics ou un truc similaire ? Pourquoi pas.

  • Mais encore ? Mais ensuite ? Combien de temps faudra-t-il avant que d’autres petits arrivistes filent dans les souliers de leurs prédécesseurs politiciens ou entrepreneurs ? Que des ministres s’adonnent de nouveau à l’aplatventrisme d’influence en échange d’une quarantaine de roses et autres billets de spectacles ? Qu’un maire ou l’autre s’étonne des agissements prétendument criminels du quasi-ensemble des individus occupant les postes les plus névralgiques de son administration ?


Bien sûr, laissons d’abord les tribunaux juger avant de le faire nous-mêmes. Malgré le climat pourri actuel, reste que tous et chacun bénéficie, même au plus fort de la tempête, de la présomption d’innocence.

Et ci-gît précisément mon point : au-delà des individus qui se verront condamnés ou pas, reste qu’un système de corruption a visiblement été établi et a opéré depuis trop longtemps, sous nos yeux. En toute impunité, à force de complaisance. Au-delà des hommes, le régime. Vivement l’eau de javel.

Ainsi qu’une prise de conscience collective.


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4 commentaires

  1. Elle
    Les valeurs
    Je crains qu'une prise de conscience collective n'aura d'effet que si elle émerge d'une remise en question individuelle.

    Fondamentalement, l'étendue de la corruption trouve sa source au plan des valeurs personnelles - ces bidules quétaines d'un autre siècle, dont l'honnêteté, respect des autres et de sa parole.
    Je ne parle pas ici des valeurs de ceux qui trichent, mais des autres qui laissent faire.

    Si les gens ne réagissent pas, c'est qu'ils ne sont pas touchés par ce qu'ils voient et entendent. Je ne crois pas à la thèse du sentiment d'impuissance ou au cynisme. C'est de l'indifférence. Que les gens contournent la loi pour s'enrichir, ça ne heurte pas les valeurs de tant de gens, voilà tout.

    • FB
      Re: les valeurs
      Plutôt d'accord avec vous. Mais n'existe-t-il pas un lien étroit entre indifférence et cynisme ?

      FB

    • Elle
      RE Re: les valeurs
      Ah, je ne sais pas, je fais mal le lien ...

      L'indifférent ne se sent pas impuissant face à une situation donnée, ni découragé, ni rien: il s'en fout, point.

      Quant au cynique (sans référence à la philosophie grecque ici), une fois son cynisme exprimé, il peut bien décider de ne rien faire, mais ce n'est pas forcément par indifférence. D'ailleurs j'ai l'impression que les cyniques ne sont pas indifférents. Le cynisme - quoique stérile et déplaisant - est déjà une réaction.

      Je me trompe peut-être.

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 11 ans
    Le régime ? Non. La morale ? Oui.
    Monsieur et madame tout le monde sont scandalisés par ce qu'ils entendent à la Commission Charbonneau (preuve et corroboration ou pas). Pourtant, la corruption dans l'industrie de la construction, c'est aussi quand monsieur et madame tout le monde paye son petit entrepreneur au noir pour économiser. La rumeur voudrait que ce soit d'ailleurs assez fréquent. Gagnant-gagnant !

    Parfois, le bon monsieur tout le monde occupe également un poste de fonctionnaire et se fait offrir une enveloppe pour donner un coup de main ou pour fermer les yeux. L'occasion fait le larron. Ni vu ni connu. Surtout que les syndicats ont mis au monde une vache sacrée voulant qu'on ne remet pas en question la dimension professionnelle du travail du fonctionnaire. Et si la pression est trop forte et qu'il passe aux aveux, monsieur tout le monde se dresse en victime et, dans le fond, en bon garçon repentant. C'est bien connu, au Québec, en 2012, monsieur et madame tout le monde ne sont jamais responsables. Le casino n'était pas, comme pour les mafieux, une façon d'essayer de blanchir les gains mais plutôt une façon de remettre l'argent à l'État.
    Morale de l'histoire: je veux bien que l'on fasse porter une partie du blâme par nos élus. Mais avant de leur lancer la pierre...

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