Entre jargon et langue de bois : les défis des journalistes qui vous couvrent
Mathieu Rompré
2012-02-09 14:15:00
Peut-on être à la fois un hyper-spécialiste et un bon communicateur? La question se pose et la réponse n’est pas toujours évidente. Pour le savoir, Mathieu Rompré interroge une journaliste de Droit-inc.com
Combien de fois, alors que j’étais journaliste, me suis-je dit en cours d’interview avec un « spécialiste », « pourquoi est-ce qu’il donne autant de détails non pertinents à la compréhension du phénomène, du concept ou du problème »? Qu’en pensent ceux qui gagnent leur vie à vous interviewer?
La peur maladive d’en dire trop
Le responsable des pages éditoriales du Legal Post (publié dans le Financial Post), Drew Hasselback, explique que selon lui, trop d’avocats sont devenus experts, par mécanisme de défense, dans les commentaires ayant recours à la forme passive. « Au lieu de dire qu’un client a admis sa responsabilité dans un dossier, plusieurs préfèrent dire qu’une certaine responsabilité a été admise », dit-il. Il ajoute que le réflexe naturel de bon nombre d’avocats est d’omettre à tout prix de nommer un client, ce qui crée souvent un discours prudent aux limites de l’aseptisé.
Certainement par réflexe, assurément par déformation professionnelle, les avocats sont souvent perçus comme difficiles à interviewer par les journalistes qui sentent l’inconfort des avocats à accepter une perte de contrôle, inhérente à toute entrevue.
Contrairement à l’Amérique du Nord, où le fait pour l’interviewé de demander un droit de relecture du texte à paraître, est presque impensable, l’Europe a une tradition plus libérale en la matière.
La journaliste Agnès Wojciechowicz qui collabore au site Droit-Inc tout ayant une expérience européenne, est à même de constater les avantages du système autorisant la relecture. « Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le résultat n’est pas une entrevue plus édulcorée. Les interviewés se permettent de dire davantage de choses, puisqu’ils savent qu’ils ont un filet de sûreté. Au final, c’est le lecteur qui y gagne.»
La fameuse langue de bois
Dans sa pratique journalistique, Agnès Wojciechowicz note que plusieurs juristes ont recours au langage technocratique. « Quand je demande aux avocats de décrire leur pratique, plusieurs se lancent dans une nomenclature de détails qui pourraient intéresser un client à qui on fait une offre de service, mais qui n’ont aucune utilité pour les journalistes. Alors, parfois je zappe… »
Alors que font les avocats et avocates qui se démarquent ? Comment arrivent-ils à garder votre attention et à faire leur chemin en « lead » de votre article ?
« Ceux qui ont l’habitude de la communication et de la vulgarisation ont généralement le sens de la formule. C’est clairement quelque chose qui s’apprend et qui nécessite de la pratique. Ce que je note, c’est que les plus aguerris ne se sentent pas obligés de recourir à la langue de bois. Ceux qui s’acharnent et qui parlent ce langage qui ne veut rien dire, finissent de toute manière par en subir les conséquences… ne serait-ce que dans les commentaires peu flatteurs qu’ils génèrent sur Droit-Inc », conclut la journaliste.
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