Comment déjouer les biais de notre cerveau?

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Sophie Audet

2016-05-13 14:15:00

Une jeune avocate s’apprête à embaucher un confrère et redoute les biais qui pourraient fausser son jugement dans le cadre du processus de recrutement. Sa coach la conseille…

Sophie Audet est coach d'affaires
Sophie Audet est coach d'affaires
Amélie est une jeune avocate qui pratique le droit commercial au sein du contentieux d’une entreprise montréalaise.

Sophie Audet, coach d’affaires, l'assiste dans le développement de son leadership et répond aux questions qu’elle se pose quand elle est mise en difficulté dans le cadre de situations professionnelles.

A: Coach
De: Amélie
Sujet ; « Il est plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé.» Albert Einstein
Date: 12 mail 2016 10: 33

Allo Coach,

J’espère que tu vas bien.

Tout d’abord, merci pour l’aide que tu m’as apportée quant à la gestion de mon temps. J’ai été très rigoureuse dans la planification de mon horaire et l’exécution de mes tâches en fonction de cette planification. Le fait de réserver des blocs de temps pour mes courriels, mes retours d’appels et mes urgences fait une grosse différence. Je suis beaucoup plus efficace pour limiter les dérangements impromptus. Je constate que mon stress a diminué en conséquence. Comme il s’agit d’un changement d’approche assez majeur, je continue de suivre cela rigoureusement pour éviter que mes mauvaises habitues ne reviennent au galop et te tiens informée en cas de rechute.

Cette planification m’a permis de me rendre compte qu’il y a trop de travail pour une seule personne. J’ai donc décidé d’embaucher un ou une avocat(e) junior pour m’assister. Ceci me permettra de me concentrer sur les dossiers les plus stratégiques, de développer davantage mon leadership et de réduire substantiellement mon budget d’avocats externes.

Dans le cadre de ce processus, j’ai reçu de la documentation de mes collègues des Ressources Humaines visant à m’aider à faire ma sélection de façon judicieuse. J’ai été étonnée par le petit guide traitant des biais qui peuvent fausser notre jugement dans le cadre d’une telle sélection.

Peux tu m’éclairer davantage?

Quels sont les biais les plus importants dont nous devons nous méfier et comment les déjouer?

Ciao et merci d’avance!

Amélie

A : Amélie
De : Coach
Sujet : « Le commencement de toutes les sciences, c’est l’étonnement de ce que les choses sont ce qu’elles sont.» Aristote
Date: 12 mai 2016 – 18 : 16

Bonjour Amélie,

Notre cerveau réagit à des stimuli qui l’influencent sans que nous ne nous en apercevions. Que nous en soyons conscients ou non, notre jugement est donc soumis à de nombreux biais cognitifs. Ces biais affectent notre perception, notre attitude, nos comportements et notre jugement.(1).

La question n’est donc pas de savoir si nous avons des biais cognitifs qui affectent notre jugement mais plutôt d’identifier ceux qui sont les plus présents.

Voici quelques biais cognitifs qui se manifestent fréquemment dans le monde du travail il et les stratégies pouvant être mises en place pour les déjouer.

1. Biais dont nous devons nous méfier lors de la sélection d’un collaborateur

a) Biais de similarité: Tout d’abord, nous avons tendance à être attirés par ceux qui partagent nos valeurs, nos pensées, nos traits de personnalité et notre état d’esprit. Si nous n’y sommes pas attentifs, nous privilégierons donc des collaborateurs qui nous ressemblent.

b) Biais de confirmation ou effet halo: Cette tendance nous pousse è rechercher des informations confirmant nos idées préconçues et à ignorer les informations qui sont contradictoires. En raison de ce biais, nous pourrons être incités par exemple à fermer les yeux sur le manque d’expérience d’un candidat, tout simplement parce qu’il est diplômé d’une école prestigieuse ou qu’il a travaillé dans un grand cabinet. Ce biais nous incitera également à estimer que les candidats ayant un physique avantageux sont plus intelligents et compétents.

Stratégies : Voici quelques stratégies pouvant nous aider à déjouer ces deux biais lors de la sélection d’un collaborateur (2):

Questions à se poser avant les rencontres:

Avons nous fixé les critères de sélection en amont et les avons nous priorisés?

Avons-nous un processus de sélection unique pour tous les candidats (ex. mêmes questions, même formulaire d’entrevue);

Quelles opinions nous sommes nous déjà faites sur les personnes que nous allons rencontrer à la simple lecture de leur curriculum vitae? Est ce que ces opinions sont appuyées par des informations solides ou basées sur nos interprétations?

Y a -t-il des éléments dans le curriculum vitae de ces candidats qui nous impressionnent particulièrement? Est ce que ces éléments sont vraiment pertinents pour le poste?

Questions à se poser après chaque rencontre :

Cette personne nous rappelle-t-elle quelque chose nous ? Cette personne nous rappelle-t-elle quelqu’un d’autre que nous connaissons? Si oui, positivement ou négativement?

Si la personne nous ressemble et que sa candidature nous enthousiasme, avons-nous contre vérifié si elle rencontre vraiment nos critères de sélection? A-t-on réellement besoin de quelqu’un à notre image? Notre équipe ne serait pas plus enrichie par quelqu’un ayant des traits de personnalité complémentaires?

Si un candidat partait avec une opinion très favorable de notre part, lui avons nous posé des questions autres que celles destinées à renforcer nos convictions initiales? Si un candidat ou une candidate nous a séduit par sa beauté, aurions-nous la même évaluation si il ou elle était laide ou obèse?

Avons-nous échangé avec des collègues quant à nos opinions, évaluations et perceptions? Daniel Kahneman, professeur de psychologie et lauréat du prix nobel d’économie, suggère de miser sur la sagesse collective pour contrecarrer les biais cognitifs. Ainsi, le fait de mener nos entrevues avec plusieurs collègues et d’échanger avec eux sur nos perceptions respectives nous permettra d’être en mesure de mieux faire la part des choses.

2. Biais dont nous devons nous méfier face à nos succès et à nos échecs

Biais d’auto-complaisance : Ce biais est notre tendance à attribuer notre réussite à nos qualités propres (causes internes) et nos échecs à des facteurs ne dépendant pas de nous (causes externes), ceci, afin que notre image de soi demeure positive. Ce biais est très fréquent pour ceux ayant un ego surdimentionné.

Quant à ceux ayant un ego sous-dimentionné ou le syndrôme de l’imposteur, ils auront plutôt tendance à faire l’inverse.

Stratégie: Le meilleur antidote à ce qui précède est d’avoir la curiosité de se poser les questions suivantes à la suite d’une réussite ou d’un échec afin d’avoir une perspective plus juste de la réalité.(3) :

Quels sont les faits objectifs de la situation? (qui? quoi? quand? où?)
Quelles interprétations en faisons-nous ? Quelle opinion avons-nous de la situation ?
Dans quelle mesure essayons-nous de prouver quelque chose à nous-mêmes ou à autrui par notre interprétation ou notre opinion de la situation?
Quels sont les aspects de la situation (échec ou réussite) dont nous sommes vraiment responsable? Quels sont les aspects de la situation qui sont vraiment imputables aux autres ? Quels aspects sont vraiment reliés à des circonstances extérieures ? Dans quelle mesure avions nous un contrôle sur ces circonstances ?
Quelle pourrait être une autre vision raisonnable de la situation qui tiendrait compte du « big picture » ?

3. Biais dont nous devons nous méfier quant à notre humeur

Biais de négativité: Ce biais désigne la programmation par défaut du cerveau qui est de focaliser sur le négatif.

Ainsi, un événement négatif aura plus d’impact sur notre état qu’un événement positif de la même intensité(4). En raison du même principe, nous nous habituons plus rapidement aux expériences positives qu’aux expériences négatives.

Enfin, notre cerveau dirige notre attention sur les éléments factuels qui supportent notre façon de voir les choses. (5) Si nous n’y faisons pas attention, les éléments factuels confirmant notre biais négatif nous colleront donc à la peau comme du velcro alors que les éléments factuels positifs qui pourraient faire la différence agiront sur nous comme du téflon.

Le biais de négativité peut avoir un impact important sur notre humeur. De plus, le discours intérieur qui en résulte nous incitera à ruminer et à tomber dans plusieurs pièges comme la surgénéralisation et de la pensée catastrophique (6).

__Stratégies : Voici quelques pistes pour contrecarrer le biais de négativité:

Cultiver l’optimisme : À partir du moment ou nous sommes conscients de notre programmation par défaut, nous devons rester vigilants à notre discours intérieur afin de ne pas s’y soumettre aveuglement. Une façon habile d’exercer cette vigilance est de demeurer alerte afin de percevoir nos réflexes de sabotage dès leurs premières manifestations (ex. « ce qui est raté est ma faute », « je te l’avais bien dit » « il est idiot et ne sait pas ce qu’il fait » etc.) et de les interrompre sur- le -champ.

Par la suite, nous pouvons tout simplement nous poser les questions suivantes : Quels sont les faits ? Quelle est notre interprétation de la situation ? Quelle autre interprétation de la situation ou autre façon de voir les choses pourrait être plus constructive ?

Pratiquer la gratitude : Bien qu’elle puisse sembler simpliste à première vue, la pratique quotidienne de la gratitude permet de rééquilibrer nos pensées négatives et nos pensées positives..(7)

Ainsi, elle augmente l’enthousiasme, réduit le stress, améliore le système immunitaire et la qualité du sommeil, diminue la pression sanguine et favorise le mieux être et l’estime de soi.(8).

Un exercice qui peut donner des résultats étonnants après seulement quelques semaines est de noter par écrit de façon quotidienne une chose pour laquelle nous sommes reconnaissants (cela peut être un bien matériel ou immatériel.)

Quels sont tes constats quant aux biais cognitifs ci-dessus?

Ton coach

A : Coach
De : Amélie
Sujet : Merci !
Date: 13 mai 2016 – 8 : 45

Allo Coach,

J’ai tendance effectivement à privilégier les gens qui me ressemblent et je n’avais pas réalisé que l’effet halo pouvait avoir autant d’impact. Quand au biais d’auto-complaisance, j’y porterai une attention particulière.

Merci pour ta liste de questions. Elle va m’aider à rester vigilante et honnête.

Enfin, pour ce qui est du bais de négativité, j’y ai beaucoup travaillé dans les derniers mois et j’ai commencé à observer des résultats intéressants.

On reparle de tout cela lors de notre prochaine rencontre en one-on-one!

Merci encore!

Amélie

Un coach professionnel est une personne bien placée pour vous aider à développer votre leadership personnel.
Pour plus d’information, Consulter mon site web à www.sophieaudet.ca . Suivez moi sur Facebook.

(1), Pour plus de détails, voir le livre Thinking Fast and Slow, du professeur de psychologie et lauréat du prix Nobel d’économie Daniel Kahneman 2013
(2) https://hbr.org/2015/04/3-ways-to-make-less-biased-decisions
(3) Inspiré des travaux de Carole Dweck, professeur de psychologie à l’Université Standford et auteur du livre « Mindset »
(4) A titre d’exemple, la détresse ressentie à la suite d’une perte d’argent abrupte est plus grande que la joie ressentie lorsque le même montant d’argent est gagné à la loterie. Pour plus de détails, voir « Bad is Stronger then Good », Roy Beaumaster, 2001 http://assets.csom.umn.edu/assets/71516.pdf. Voir aussi https://www.psychologytoday.com/articles/200306/our-brains-negative-bias
(5) Voir à titre d’exemple la recherche de Karen Reivich qui consistait à faire lire aux participants un article décrivant une recherche portant sur les dangers de la cigarette pour la santé mais évoquant certaines réserves quant à la méthode de recherche. Les non fumeurs ont été plus à même de se rappeler les effets nocifs sur la santé alors que les fumeurs ont porté surtout attention aux faiblesses de la méthode.
(6) The Resilience Factor: 7 Keys to Finding Your Inner Strength and Overcoming Life's Hurdles,, Karen Reivich and Andrew Shatté , 2003
(7) Dans son livre Posiitive Intelliigence, Shirzad Chamine indique que l’humain a besoin de trois pensées positives pour neutraliser l’effet d’une pensée négative. La neurosciences étant un domaine très jeune, les experts ont présentement un débat quant à ce ratio mais s’entendent sur le principe suivant : nous avons besoin d’un plus grand nombre de pensées positives que de pensées négatives pour maintenir notre équilibre et cet équilibre est nécessaire non seulement à notre bonheur mais également pour avoir accès à notre perspicacité, notre sagesse et notre créativité..Pour plus de détails, voir www.positivityratio.com.
(8) Counting Blessings Versus Burdens: An Experimental Investigation of Gratitude and Subjective Well-Being in Daily Life , Journal of Personality and Social Psychology . Voir également the Psychology of Gratitude de Robert Emmons.
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