Laflèche

J’adore Rome! Prise 2

Main image

Isabelle Laflèche

2016-05-27 16:00:00

Vous vous souvenez de Catherine Lambert, cette jeune avocate d’un grand cabinet new-yorkais née de l’imagination de la romancière Isabelle Laflèche? Eh bien là voilà de retour, cette-fois à Rome! Extraits choisis...

Pour gagner un exemplaire du roman J’adore Rome, rendez-vous sur la page Facebook de Droit-inc! La gagnante de la semaine passée est Audrey Sylvestre !


Chapitre 2

Isabelle Laflèche a travaillé pendant dix ans comme avocate à Montréal, Toronto et New York
Isabelle Laflèche a travaillé pendant dix ans comme avocate à Montréal, Toronto et New York
« Je t’ai dit que je serais prête dans cinq minutes. Alors, arrête de m’appeler toutes les demi-heures. » Cette citation de Marilyn Monroe traduit tout à fait mes pensées alors qu’Antoine m’attend à la porte, son sac de voyage Lacoste en cuir à l’épaule. Il a fière allure dans un costume noir sobre, chemise blanche et richelieus de cuir.

« Ça y est, Catou ? Je ne veux pas rater l’avion. »

Il tape du pied, l’air impatient. Cette pression supplémentaire me fait transpirer. Malgré son conseil d’apporter un minimum de vêtements, j’ai fait beaucoup d’efforts pour assembler la garde-robe parfaite. Dior un jour, Dior toujours ! Dans ma valise sont donc glissés mon trench classique, une chemise blanche impeccable et une longue jupe semblable à celle d’Audrey Hepburn dans Vacances romaines, avec quelques robes vintage, une robe de soirée noire toute simple, un jean et quelques pulls de cachemire. En plus de mes escarpins Dior, de mes talons aiguilles et de ma collection de lingerie française, bien sûr.

Aujourd’hui, je porte un ensemble inspiré des dolci gelati : pantalon de laine color block rose et crème, pull de soie crème, et ballerines couleur chair.

Antoine prend ma valise et se dirige vers la porte. Paniquée, je l’interromps dans son mouvement.

« Attends ! Je n’ai pas fini de préparer ma trousse de toilette. »

Bien que nous, les Françaises, nous puissions nous targuer d’avoir un style naturel et une beauté sans effort, nous voyageons rarement sans une quantité indécente de potions magiques et de produits essentiels.

« J’ai une réunion téléphonique dans cinq minutes. Au moins vingt personnes seront au bout du fil ; je ne peux pas me permettre d’être en retard. Que dirais-tu qu’on se retrouve à l’aéroport ? De cette manière, tu pourras boucler tes valises tranquillement. Tu peux prendre la limousine du cabinet, je m’appelle un taxi. »

Je suis déconfite par ces propos fort peu romantiques. Pour pimenter notre relation, on repassera. J’ai l’impression de partir en escapade amoureuse avec Warren Buffett.

Antoine lit la déception sur mon visage.

« Désolé, je n’y peux rien, Catou. Je suis au beau milieu de négociations importantes, j’ai besoin de faire quelques appels pendant le trajet vers l’aéroport pour régler des problèmes de dernière minute concernant un bilan. Tu sais ce que c’est, me dit-il rapidement d’un ton cassant que je connais trop bien. J’espère que ça ne te dérange pas, ma chérie, ajoute-t-il en me donnant un bisou sur la tempe avant de se hâter vers la porte. À tout de suite. »

Après avoir tendu ma valise au chauffeur, je me glisse sur la banquette en cuir lisse de la limousine. J’ai pris congé ce vendredi pour que nous puissions profiter ensemble d’une journée tranquille à voyager, je n’avais définitivement pas en tête des trajets séparés et une réunion téléphonique. J’essaie de voir le bon côté des choses : lorsque Antoine aura bouclé l’affaire, le reste du week-end nous appartiendra.

Dès que nous nous mettons en route, il me vient à l’esprit qu’en travaillant dans l’industrie de la mode avec des artistes passionnés, je suis à des années-lumière de l’époque où je pratiquais le droit chez Edwards & White. Je n’ai plus envie d’horaires fous ni de rencontres de dernière minute, ni de m’acharner jour et nuit sur des dossiers pour respecter des échéances impossibles. Voir Antoine encore englouti dans le tourbillon de la haute finance m’amène à me demander si un fossé n’est pas en train de se creuser entre nos centres d’intérêt respectifs. Je décide de chasser ces pensées négatives en regardant par la vitre ; je choisis plutôt de me concentrer sur sa nature généreuse et sur notre week-end qui s’amorce. J’aime Antoine pour sa vivacité d’esprit, c’est ce qui m’a attirée dès le départ chez lui. Le fait de cheminer dans deux milieux complètement différents nous donne matière à conversations. Au fond, c’est ce qui permet de garder allumée la flamme d’une longue relation.

La voiture emprunte l’autoroute, mes pensées dérivent vers mon travail. Je suis soulagée d’avoir réglé tous les dossiers urgents qui s’empilaient sur mon bureau avant de m’envoler vers Rome. Heureusement, après les longues heures que j’ai passées au travail dernièrement, mon patron, Frédéric Canet, a gentiment offert de s’occuper de quelques-uns de mes dossiers. Je devine qu’il considère lui aussi qu’un long week-end me fera du bien.

Récemment, Frédéric nous a proposé, à mon assistant Rikash et à moi, de développer les opérations commerciales de Dior à l’étranger. Compte tenu des difficultés amoureuses qu’Antoine et moi avons connues ces derniers temps, je ne lui ai pas encore donné de réponse. Je ne veux surtout pas mettre ma relation en péril avec des déplacements d’affaires qui occasionneraient de longues périodes de séparation. Je pense que notre escapade romantique nous donnera le temps, à Antoine et à moi, de soupeser les avantages et les inconvénients de la situation si j’acceptais une telle offre.

Je sors mon iPod de mon sac à main et la chanson Fly Away, de Lenny Kravitz, me transporte dès les premières notes. J’oublie le boulot et les occasions d’avancement professionnel dans des contrées lointaines. Je me détends et me laisse bercer.

J'adore Rome!
J'adore Rome!
Aussitôt arrivée à l’aéroport, je me dirige vers le comptoir de la classe affaires. Je suis rapidement enregistrée et invitée à passer au lounge Air France, où Antoine et moi avons convenu de nous rejoindre. S’il y a une chose que les Français ont maîtrisée, c’est l’art de bien voyager. Douces couvertures de cachemire, goûters bio et bouteilles d’eau Jean Paul Gaultier sont offerts aux voyageurs.

Le décor du lounge est minimaliste, tout comme l’éclairage, ce qui donne à la salle une allure de cocon. Je prends quelques magazines de mode internationaux et des biscuits fins, et commande un cappuccino en rêvant à notre week- end. J’ai hâte de me promener dans les jardins magnifiques de la Villa Borghèse, de passer des heures avec Antoine aux terrasses des cafés à savourer des déjeuners alléchants, et de lui voler des baisers près du Colisée. Vu ma passion pour tout ce qui est chic et de bon goût, je vais sûrement me délecter à faire du shopping près de la Via Condotti et dans les nombreux marchés aux puces.

En attendant qu’Antoine se manifeste, je décide d’aller me refaire une beauté aux W.-C. Ma mine fatiguée a besoin d’un petit remontant. Je fixe la glace en essayant de camoufler mes cernes avec le Baume aux Agrumes d’Aēsop, un soin de beauté recommandé par Inès de La Fressange, icône de la mode. Apparemment, elle ne voyage jamais sans cet hydratant. J’en enduis mes traits tirés et cela illumine immédiatement mon teint, efface les rides et rend à ma figure sa carnation habituelle. L’odeur d’agrumes, vive et acidulée, réveille tous mes sens et ravive ma flamme de séductrice. Au point où je me demande si je n’arriverais pas à convaincre Antoine d’oser une séance d’amore durant le vol. La vie est courte, alors pourquoi pas ?

Je me tamponne les joues de rouge à la Diana Vreeland, l’ex-éditrice emblématique de Vogue, et le geste me donne la confiance et l’audace nécessaires pour mettre mon plan à exécution. Je passe la couleur cramoisie sur mes lèvres pour ajouter un effet théâtral, question de me la jouer femme fatale des années 1940. Puis, je vaporise derrière mes oreilles du parfum Bas de Soie de Serge Lutens. Si cela ne séduit pas mon amoureux, rien n’y fera. Je quitte les toilettes pleine d’énergie, fraîche comme une rose et ragaillardie.

D’un pas nonchalant, je reviens au lounge avec mes lestes intentions, et je remarque qu’Antoine n’est pas encore arrivé. J’essaie de ne pas trop m’en faire : il est sans doute en train de terminer ses appels avant notre vol. Encouragée par l’éclairage tamisé, je m’assois et ferme les yeux tout en continuant à planifier mentalement chaque détail de notre voyage et l’exécution de mes sulfureux desseins.

Quelques minutes de rêveries plus tard, je sens qu’Antoine passe près de moi et pose sa main réconfortante sur mon épaule. Je prends un ton enjoué pour le mettre dans l’ambiance.

« Bon, mon chéri, envoie-moi au septième ciel et parle-moi en italien... N’aie pas peur d’être très coquin. »

Antoine parle couramment l’italien, grâce à des cours suivis à l’université, et je fonds littéralement quand il m’ensorcelle avec son superbe accent. J’adore aussi quand il s’habille chic dans le style sémillant de Milan, avec ses pulls de cachemire italien colorés et ses chaussures de cuir confectionnées à la main. Ça me rappelle mon premier voyage en Italie, quand ma mère m’a emmenée faire du shopping à Florence. Pendant qu’elle dénichait des tissus de luxe, je regardais, bouchée bée, les beaux garçons du coin. Une façon très agréable de passer le temps !

Les yeux clos, je perçois qu’Antoine se rapproche. Je deviens délicieusement émoustillée à l’idée de céder à mes fantasmes aériens. Je sens sa peau chaude qui palpite près de la mienne et, après quelques secondes, le silence se rompt tandis que mon corps bourdonne de trépidation.

Hélas, l’italien que j’entends n’a rien à voir avec la passion amoureuse, le sexe ou l’amour. C’est un murmure sonore dans un accent anglais chantant que je reconnais rapidement.

Mes yeux s’ouvrent tout grand et je me retrouve à quelques centimètres de mon assistant Rikash, qui murmure à mon oreille « Giorgio Armani, Dolce & Gabbana, Roberto Cavalli... ».

Ooooooh, ahhhh, au secours !

« Mais qu’est-ce que tu fous ici ? » dis-je en bondissant de mon fauteuil.

« Buon giorno, principessa ! »

Il me faut quelques secondes pour appréhender la situation ; je suis habituée à sa compagnie, mais je n’aurais jamais cru le trouver ici, maintenant.

« Que fais-tu là? Tu viens à Rome? Avec nous? »

J’ai l’esprit qui s’agite: est-ce qu’Antoine a invité Rikash pour me faire une surprise ? Si c’est le cas, notre escapade idyllique vient de prendre une tournure inquiétante. Pourquoi ferait-il cela ? Je recommence à m’inquiéter sérieusement de sa crise de la quarantaine, voire de son orientation sexuelle. Rikash sourit et ajuste son mouchoir de soie. Il se lève de son fauteuil et pivote pour étaler toute l’élégance de son ensemble : pantalon rouge, veste de lin beige, mouchoir de poche moutarde et chaussettes de soie assorties. Comme d’habitude, il a fait sa recherche pour être au fait de la mode masculine actuelle en Italie, dont il s’est approprié le style à la perfection.

« Oui, dah-ling, Rome est à nous ! Tu ne sautes pas de joie? »

Il me prend les mains et les tient un moment, tout en me regardant droit dans les yeux. Je sais au fond de mes tripes qu’il se trame quelque chose de sérieux.

« Mais j’ai bien peur que le mot “nous” ne s’applique qu’à toi et moi dans les circonstances. Je m’en vais à Rome avec toi seule, mon chou. »

À ma réaction, il voit bien que je suis terriblement déçue, triste et furieuse. J’imagine que mon visage devient rapidement plus pâle que mon pull crème et que je souffle de la vapeur par les narines comme un taureau sur le point de charger.

« Les négociations d’Antoine sont dans une impasse, qu’il a heureusement vue venir. Alors, il m’a fait attendre dans les coulisses au cas où il aurait besoin de retourner en vitesse au bureau. »

Rikash dit cela d’un ton aussi désinvolte que s’il m’annonçait qu’Antoine est allé aux toilettes.

« Alors, me voici ! »

Il ouvre bien grand les bras et s’approche pour m’étreindre. J’imagine qu’il est ravi. Eh bien, pas moi.

« Merde ! Tu me fais marcher ? Il a prévu un remplaçant pour notre week-end d’amoureux ? Qui oserait faire un truc pareil ? »

Je repense immédiatement à la distance qui s’est installée entre Antoine et moi, sauf que cette fois, ce n’est pas de la tristesse qui m’envahit et monte en moi, mais plutôt une colère bouillante.

Je regarde mon téléphone ; il affiche une bonne douzaine de textos contrits et d’appels manqués, tous d’Antoine, sans doute arrivés pendant que je rêvassais. J’essaie de le rappeler, mais j’aboutis aussitôt dans sa boîte vocale, ce qui me met dans un état encore plus mauvais. Je jette mon portable et mon sac sur la banquette de cuir, et je fais appel à mon Ava Gardner intérieure, celle qui a dit : « Quand je perds mon sang-froid, mon chéri, inutile de le chercher. » Je veux sauter dans un taxi et foncer vers Antoine pour lui dire ce que je pense de son plan ridicule. Est-ce qu’on en est rendus là? Prévoir un remplaçant pour nos sorties romantiques ?

« Du calme, du calme, mon amie. »

Rikash me prend les épaules et, avec de grands gestes circulaires, m’encourage à respirer.

«Tu as déjà fait ce genre de chose toi-même, tu te rappelles ? »

l fait allusion à quelques voyages d’affaires de dernière minute que j’ai effectués pour Dior, à Shanghai entre autres, et avant, quand je travaillais chez Edwards & White. J’essaie de suivre le conseil de Rikash, de respirer à fond et de retenir mon souffle pendant quelques secondes avant d’expirer. Cela m’aide à me calmer l’esprit. Je me penche en avant et me cale dans mon fauteuil en cuir en posant les deux bras sur les accoudoirs.

« Oui, je sais qu’il peut arriver des urgences de dernière minute. J’en ai eu quelques-unes quand j’étais chez Edwards & White, mais ne pas se présenter, ce n’est pas la bonne façon de faire. »

Je me mords la lèvre inférieure.

« Tu ne t’y attendais pas aujourd’hui... » « Exactement. »

« Je comprends, ma belle, mais vois les choses du bon côté : on va s’éclater aux frais d’Edwards & White. Comme Antoine avait l’intention de rencontrer des clients en Italie, nos frais de voyage sont en partie couverts par son cabinet. »

« Qu’est-ce que tu veux dire ? »

Bon, là, je suis vraiment fâchée. Comment se fait-il que mon assistant en sache plus que moi sur les affaires d’Antoine ? Ce dernier est-il toujours le même homme attentionné de qui je suis tombée amoureuse ? Il semble plus préoccupé par les besoins de ses clients que par les miens. Je regarde Rikash, abasourdie. Est-ce qu’Antoine essayait de camoufler son intention de travailler durant tout le week-end ? Et m’emmenait-il uniquement pour se déculpabiliser ?

« Dépenses payées ? C’est vrai ? »

Je prends mon sac. Rikash fait un signe affirmatif tout en prenant son bagage à main monogrammé.

« Alors, très bien, mon cher ami. On va s’a-mu-ser. »

Je troque mes ballerines contre une vertigineuse paire de talons aiguilles Sophia Webster. Je noue une écharpe autour de mon cou, prends ma veste de cuir, et me dirige vers la porte d’embarquement, le regard droit, la tête haute et les talons encore plus hauts.

« Bien dit, ma chérie, approuve Rikash en me tapotant le dos. Si tu veux, je peux t’appeler mon petit oiseau d’amour pendant tout le week-end », roucoule-t-il.

« N’exagère pas. »

Je marche à grands pas, avec confiance, et je m’efforce d’assurer tout en m’effondrant de tristesse sous ma carapace. Sans avoir à me retourner, je devine que Rikash sourit avant de poser ses verres fumés Tom Ford sur le bout de son nez et de me suivre vers la porte.

Mes espoirs d’un week-end fellinien sont brisés ; je me prépare mentalement à un voyage qui ressemblera davantage à La Traviata, le mélodrame de l’opéra de Verdi à propos d’une héroïne déchue. Ainsi va la vie.

© Québec Amérique, 2016

Isabelle Laflèche a travaillé pendant dix ans comme avocate à Montréal, Toronto et New York. Passionnée depuis toujours par la mode et inspirée par ses propres expériences, elle signait en 2010 son premier roman, J’adore New York, un succès de librairie traduit dans plusieurs pays. Après nous avoir fait découvrir l’envers du décor de l’univers scintillant de la haute couture avec J’adore Paris, l’auteure poursuit sa série enlevante avec ce nouveau tome, tourné cette fois vers les enjeux éthiques entourant la mode à bas prix.
5105

Publier un nouveau commentaire

Annuler
Remarque

Votre commentaire doit être approuvé par un modérateur avant d’être affiché.

NETiquette sur les commentaires

Les commentaires sont les bienvenus sur le site. Ils sont validés par la Rédaction avant d’être publiés et exclus s’ils présentent un caractère injurieux, raciste ou diffamatoire. Si malgré cette politique de modération, un commentaire publié sur le site vous dérange, prenez immédiatement contact par courriel (info@droit-inc.com) avec la Rédaction. Si votre demande apparait légitime, le commentaire sera retiré sur le champ. Vous pouvez également utiliser l’espace dédié aux commentaires pour publier, dans les mêmes conditions de validation, un droit de réponse.

Bien à vous,

La Rédaction de Droit-inc.com

PLUS

Articles similaires