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Liberté d’expression ou liberté de commerce?

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Jean-francois Parent

2017-10-27 11:15:00

Un jugement rendu par la Cour suprême contre Google sera bien difficile à faire respecter, disent des avocats...

Michel Solis, de Solis Juritech à Montréal
Michel Solis, de Solis Juritech à Montréal
Il génère plus de questions que de réponses.

C'est du moins ce qui ressort d'une discussion tenue aux Rendez-vous juridiques de la fac de droit de l'UdeM, la semaine dernière, sur les leçons à tirer de l'arrêt Equustek.

En juin dernier, la Cour suprême maintenait un jugement rendu par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique ordonnant à Google de cesser de référencer les sites web d'une entreprise trouvée coupable de vol de propriété intellectuelle.

C'était une victoire pour une startup britanno-colombienne, Equustek, dont les produits étaient copiés et vendus par DataLink Group. Des ordonnances judiciaires lui interdisant de vendre des produits frauduleux, DTG a quitté le Canada. L’entreprise opère depuis dans les méandres du web, vendant toujours des copies des produits d'Equustek. Cette dernière tente ainsi d'obtenir, depuis 2012, que Google cesse de référencer les sites web de DTG.

La nouveauté, c'est que la Cour suprême a ordonné à Google de cesser le référencement partout dans le monde.

« L'extraterritorialité de la décision soulève plusieurs questions », postule d'entrée de jeu l'un des conférenciers Gérald Goldstein, qui dirige le programme de maîtrise en droit comparé à l'UdeM.

D'abord, comment rendre une telle ordonnance exécutoire? Posez la question, c'est y répondre.

Si Equustek ne peut faire homologuer le jugement canadien dans toutes les juridictions où les produits frauduleux sont vendus à son détriment, rien ne changera, concède Michel Solis, de Solis Juritech à Montréal.

Car si Google veut bien se plier à l'ordonnance au Canada, pas question qu'elle le fasse ailleurs dans le monde.

« La seule façon de forcer Google à respecter l'extraterritorialité, c'est de poursuivre Google au Canada pour non-respect des termes du jugement », estime Me Solis. Ce qui ne serait pas plus facile, puisqu'on risque de se retrouver avec des ordonnances contradictoires : Google a en effet logé une requête pour être dispensé de se conformer à l'ordonnance canadienne sur le territoire américain.

Une décision « répugnante »

Au lendemain de la décision canadienne, le géant internet a demandé aux tribunaux californiens de qualifier la décision canadienne de « répugnante » en vertu du Premier amendement garantissant la liberté d'expression.

La perspective américaine veut que les recherches effectuées sur Google relèvent de la liberté d'expression, et que l'arrêt Equustek soit donc une forme de censure.

Gérald Goldstein, Professeur à l'UdeM
Gérald Goldstein, Professeur à l'UdeM
Un argument contre lequel le professeur Goldstein s'inscrit en faux : « Il s'agit plutôt de liberté de commerce. » Le voleur de propriété intellectuelle trouble l'ordre public en privant le titulaire des droits de ses revenus, dit-il en substance. « C'est un principe reconnu en droit international depuis ses premiers pas », qui remonteraient au Moyen-Age.

Autre problème : un jugement favorable à Google, rendu aux États-Unis, ferait en sorte que l'on demanderait au moteur de recherche de se conformer à deux ordonnances contradictoires. Toute tentative d'Equustek de faire respecter l'injonction canadienne se heurterait à ce paradoxe.

Outre les difficultés de faire respecter l'ordonnance, cette dernière suscite des inquiétudes. Google étant un tiers au litige, qui n'a rien à se reprocher, le précédent fait en sorte que n'importe quel moteur de recherche pourrait se voir condamné en lieu et place des véritables contrevenants.

Sans parler de l'effet d'entraînement que peut avoir un tel arrêt : est-ce que Google pourrait être condamné par un tribunal chinois, en Chine, pour avoir permis la diffusion de publications critiques de l'Empire du Milieu?

Un précédent

Le droit est nouveau en ce domaine, mais comporte quand même quelques situations auxquelles on peut se référer. Ainsi, dans les années 2000, des militants français des droits de la personne avaient obtenu que Yahoo! efface les souvenirs nazis de ses sites de ventes aux enchères. La vente de tels produits étant illégale en France, les militants antinazis avaient obtenu une injonction contre Yahoo!.

Ce dernier a contesté l'injonction, soutenant que cela brimait sa liberté de commerce. Le répertoire, ancêtre de la recherche internet, a perdu en appel : la justice américaine a rendu une injonction extraterritoriale interdisant à Yahoo! de vendre des souvenirs nazis.
Il reste que les yeux sont rivés sur une éventuelle décision américaine dans l'affaire Equustek.

La décision pourrait avoir des répercussions quant aux obligations morales des tribunaux partout dans le monde : l'équilibre entre les droits de propriété intellectuelle et la liberté d'expression pourrait bien baliser d'autres types de décisions,comme celles sur le « droit à l'oubli », qui obligent les médias sociaux à retirer certains contenus.
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