Nouvelles

Le milieu juridique est-il passé à côté du #moiaussi ?

Main image

Jean-francois Parent

2018-03-08 15:00:00

Le milieu juridique est discret, voire opaque, et les dénonciations en cabinet sont rares...

La présidente du Jeune Barreau de Montréal, Me Sophia M. Rossi
La présidente du Jeune Barreau de Montréal, Me Sophia M. Rossi
Comment expliquer que le phénomène #MoiAussi n'ait pas affecté le milieu juridique?

L'atmosphère feutrée des cabinets d'avocats n'est pourtant pas immunisée contre les gestes que plusieurs considèrent comme déplacés, et qui peuvent même constituer des actes criminels.

Et pourtant, il n'y a pas grand-chose qui percole, la vague n'ayant pas atteint le milieu juridique. On se rappelle que les accusations de viol et de harcèlement sexuel portées à l’encontre du producteur Harvey Weinstein, en octobre dernier ont déclenché une série de dénonciations portée par le mot dièse « metoo » ou « moiaussi ».

L'avocat Marcel Aubut
L'avocat Marcel Aubut
« Ce n'est pas qu'on ne prend pas la question au sérieux, mais plutôt qu'il est difficile de dénoncer de telles situations », observe la présidente du Jeune Barreau de Montréal, Me Sophia M. Rossi. Plusieurs cabinets font signer des documents attestant qu'on a pris connaissance de la politique encadrant le harcèlement, fait-elle valoir. « On le constate, la majorité des cabinets ont des politiques en place, et quand une situation survient, elle est prise très au sérieux. »

À tout le moins, quand une situation devient publique. Le cas Marcel Aubut est éloquent : dans les jours suivant les allégations le concernant, il a perdu ses mandats, sa pratique et ses clients.


Dénonciation difficile

La juge à la retraite Nicole Gibeault
La juge à la retraite Nicole Gibeault
« Le problème c'est qu'on ne dénonce pas. C'est très difficile de le faire », poursuit Me Rossi, par ailleurs spécialiste en droit du travail.

On ne veut pas stigmatiser des collègues, on minimise le problème, on a peur des représailles, on juge le mécanisme de dénonciation trop compliqué... Sophia Rossi observe que les raisons de ne pas dénoncer sont les mêmes dans tous les milieux de travail. Les cabinets n'y échappent pas.

« Peut-être faut-il faire plus pour faciliter la dénonciation », avance-t-elle.

La juge à la retraite Nicole Gibeault abonde dans le même sens. Même si « on est beaucoup moins frileux pour dénoncer depuis le mouvement #moiaussi », des progrès sont encore à faire pour mieux épauler les victimes présumées. Par contre, « est-ce que le système judiciaire est lourd pour gérer ça ? Absolument », dit-elle.

« Il est difficile de trouver une femme, en droit, qui n'a pas subi une forme ou une autre de sexisme », écrit la plaideuse ontarienne Kathryn Marshall dans une chronique du magazine juridique Precedent. « Mais le droit est un milieu discret. Les avocats sont formés à garder les choses sous le couvercle. Il serait donc étonnant qu'une vague de l'ampleur de celle qu'on a vue éclate dans le milieu. »


Le Barreau de l’Ontario à l’avant-garde

La plaideuse ontarienne Kathryn Marshall
La plaideuse ontarienne Kathryn Marshall
Déjà en 2010, un sondage mené auprès des juristes du pays par le magazine juridique Precedent révélait qu’un avocat sur cinq aurait vécu une situation de harcèlement sexuel ou de comportement sexuel inapproprié sur son lieu de travail.

Les statistiques du Programme de conseil juridique en matière de discrimination et de harcèlement, financé par le Barreau de l'Ontario, sont éloquentes : bon an, mal an, près d'une dizaine de plaintes de harcèlement sexuel sont déposées contre des avocats par leurs collègues féminines ou masculines, mais pas seulement eux: l’ensemble de la population peut le faire.

Fonctionnant à la manière d'un ombudsman pour l'industrie juridique, le Programme publie des rapports semestriels où les problèmes courants sont détaillés.

Dans son plus récent rapport couvrant les six premiers mois de 2016, le Programme rapporte 11 plaintes de harcèlement sexuel contre des avocats, provenant de cinq avocates, trois avocats et trois stagiaires féminines.

Le Programme recense aussi 16 plaintes contre des avocats durant cette même période, provenant cette fois de non-juristes: 81% sont des plaignantes et la majorité rapporte des événements de harcèlement survenus au bureau de l’avocat.

Le Programme offre des services confidentiels de soutien et de médiation, puis fait un rapport au Barreau chaque année.


Rappeler les règles de conduite

Gina Doucet, grande patronne de Cain Lamarre
Gina Doucet, grande patronne de Cain Lamarre
La vague #MoiAussi « n'est pas anodine », affirme Gina Doucet, grande patronne de Cain Lamarre pour le Québec. Cela a été l'occasion, pour le cabinet, de rappeler l'importance des règles et des procédures à suivre lors d'une telle situation.

Dans la foulée des dénonciations, on a précisé ce qu'il fallait faire— et ne pas faire.
Se félicitant de ce que le cabinet n'ait pas eu à gérer de telles situations, Me Doucet a cependant estimé qu'il fallait être clairs. « On a rappelé les règles de conduite, on a insisté sur ce qu'il faut faire non seulement si on subit (du harcèlement) mais également si on en est témoin », relate l'associée-directrice de Cain Lamarre.

Pour elle, il était important de souligner que l'on peut dénoncer un comportement sans crainte de représailles, et que le cabinet prendrait très au sérieux toute situation problématique et qu'on allait soutenir les démarches pour la régler.

« Et on reste attentifs aux conversations de corridors », afin de réagir si des rumeurs qui devaient s'avérer fondées circulaient. On pourra ainsi bonifier les politiques et procédures en place, explique-t-elle.

Sans prétendre parler pour la profession, Gina Doucet constate que le milieu se mobilise. Outre le fait que de telles situations sont particulièrement déplaisantes, « le risque réputationnel est trop important pour qu'on n'agisse pas ».

Le Barreau agit

Le Barreau s'est également commis pour que la judiciarisation des agressions soit plus facile pour les victimes et ce, « bien avant le mouvement #metoo - #moiaussi », rappelle Martine Meilleur, porte-parole du Barreau.

Il a publié notamment un rappel, l'automne dernier : « L’avocat doit s’abstenir en tout temps d’exercer de la discrimination et du harcèlement envers quiconque, client, employé, collègue ou toute autre personne (…) Le harcèlement sexuel (…) est un acte dérogatoire à la dignité de la profession (et) l’avocat qui a connaissance de harcèlement sexuel (…) doit en informer immédiatement le Syndic », rappelle l'Ordre.

-Avec Delphine Jung
6131

Publier un nouveau commentaire

Annuler
Remarque

Votre commentaire doit être approuvé par un modérateur avant d’être affiché.

NETiquette sur les commentaires

Les commentaires sont les bienvenus sur le site. Ils sont validés par la Rédaction avant d’être publiés et exclus s’ils présentent un caractère injurieux, raciste ou diffamatoire. Si malgré cette politique de modération, un commentaire publié sur le site vous dérange, prenez immédiatement contact par courriel (info@droit-inc.com) avec la Rédaction. Si votre demande apparait légitime, le commentaire sera retiré sur le champ. Vous pouvez également utiliser l’espace dédié aux commentaires pour publier, dans les mêmes conditions de validation, un droit de réponse.

Bien à vous,

La Rédaction de Droit-inc.com

PLUS

Articles similaires