Jurisprudence

Conjoints de fait: la Cour d’appel se positionne

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Sylvie Schirm

2013-10-01 14:30:00

La Cour d’appel vient de rendre un jugement très important pour les conjoints de fait qui poursuivent leur ex-partenaire en enrichissement sans cause. Me Sylvie Schirm, avocate spécialisée en droit de la famille commente...

La Cour annonce ses couleurs dans le premier paragraphe du jugement dans l’affaire Droit de la famille 132495(1) :

“Après avoir consacré 22 années de sa vie au bien-être de son conjoint et de leurs 4 enfants, l'appelante voit son recours en enrichissement injustifié rejeté par la juge de la Cour supérieure, celle-ci étant d'avis qu' «En décidant autrement, (elle) risque de se substituer à la plus haute instance de ce pays en cherchant à donner à la défenderesse une somme d'argent à laquelle sa situation de conjoint de fait ne lui permet pas d'accéder». J'estime qu'il s'agit là d'une erreur. Le présent appel sera donc l'occasion pour la Cour de rappeler que le droit civil québécois accorde des droits au prestataire de services domestiques dans le cadre d'une union de fait. La Cour précisera également quel type de réparation peut être accordé à ce dernier.”

Faits de l'espèce

Le couple fait vie commune pendant 22 ans et quatre enfants sont nés de leur union. Suite à la rupture, la conjointe demande une compensation pour enrichissement injustifié.

Les parties se connaissent très jeunes. Monsieur débute dans l’entreprise familiale et son frère lui cède 20% de ses actions.

Sylvie Schirm est une avocate spécialisée en droit de la famille.
Sylvie Schirm est une avocate spécialisée en droit de la famille.
Madame poursuit des études universitaires en arts visuels et débute un certificat en enseignement qu’elle abandonne pour suivre son conjoint, et elle travaille pour l’entreprise familiale pendant 5 ans.

Entre-temps, le père de monsieur lui cède la place à l’entreprise. Lors de la naissance du troisième enfant, madame cesse de travailler, mais elle continue de recevoir le salaire de l’entreprise.

La preuve non contredite démontre que monsieur était présent et impliqué dans la vie familiale. Les parties construisent leur maison de rêve, qui est au nom de monsieur seulement. Madame est impliquée activement dans la construction et la décoration de la résidence.

À deux reprises durant la vie commune, le couple parle de signer un contrat de vie commune. Cependant, aucune entente n’est signée, madame considérant que l’offre de partager ce qui serait le ‘patrimoine familial’ comme étant insuffisant.

En fin de vie commune, monsieur a un actif de $4 millions et madame de 111,000$. Madame réclame 1,000,000$ soit 25% de la valeur des actifs de monsieur.

En première instance, la juge Johanne April refuse la demande, tout en constatant la situation déplorable dans laquelle madame se trouve.

Elle dit :

(76) Le Tribunal est conscient que la rupture laisse la défenderesse dans une situation déplorable eu égard à la situation particulièrement enviable qui a été la sienne tout au long de la vie commune. Le Tribunal constate que la défenderesse ne s'est pas appauvrie puisqu'elle a reçu également une compensation matérielle par :

- La possession et la propriété de véhicules automobiles;
- Un R.E.É.R.;
- Des voyages.

Plusieurs erreurs soulevées

La Cour d’appel infirme le jugement. Plusieurs erreurs sont soulevées. D’abord, la Cour clarifie que la défense du conjoint soulevant les avantages reçus durant la vie commune (incluant le salaire reçu de l’entreprise de monsieur) n’est pas une défense à l’établissement de l’enrichissement et l’appauvrissement. Cet aspect doit être traité lors du calcul de la réparation, dit la Cour d’appel.

Une autre erreur est celle de conclure que madame devait prouver qu’elle aurait pu gagner mieux sa vie si elle n’était pas restée à la maison avec les enfants. La Cour d’appel explique clairement que c’est au poursuivi de repousser la présomption que l’appauvrissement est causé par la relation lorsque celle-ci est de longue durée et qu’il existe un motif juridique à son enrichissement.

L’arrêt Kerr c. Baranow de la Cour suprême avait établi qu’une façon de compenser l’appauvrissement d’un conjoint dans une relation de longue durée et de nature traditionnelle est de partager la richesse accumulée en proportion des contributions de chacun. Pour ce faire, il faut établir qu’il y a coentreprise familiale avec les critères suivants :

1) que les parties ont collaboré à la réalisation d'objectifs communs importants,
2) un niveau élevé d'intégration des finances des parties,
3) que les parties avaient l'intention de partager la richesse qu'elles ont créée ensemble
4) qu'une partie s'est fiée à l'autre, à son détriment, pour le bien-être de la famille

En effet, la Cour d’appel suit clairement les enseignements de la Cour suprême dans l’affaire Kerr c. Baranow et conclut qu’il y a coentreprise familiale.

Finalement, la Cour met fin à la controverse autour de l’application de l’arrêt Kerr c. Baranow au Québec. En effet, il existait des doutes quant à son application, vu qu’il s’agissait d’un jugement rendu en common law. La réparation proposée, soit le partage de la richesse accumulée, a tout à fait sa place en droit civil québécois, nous enseigne la Cour d’appel.

Bref, ce jugement ouvre la porte encore davantage aux réclamations d’enrichissement injustifié entre conjoints de fait. Suite à l’arrêt Lola, et avec ce jugement qui confère à madame 25% des avoirs de son conjoint, ces réclamations risquent d’être encore plus nombreuses et tous les conjoints de fait vivant en union libre, avec enfants, et depuis un certain nombre d’années sont clairement à risque de subir une telle demande lors de la rupture.

(1) 2013 QCCA 1586
(2) 2011 CSC 10, (2011) 1 R.C.S. 269
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