Opinions

Rupture à haut risque

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Simon Lapierre Et Isabelle Côté

2016-02-08 11:15:00

En forçant des femmes victimes de violence conjugale à avoir recours à la médiation avec leur conjoint, le système de justice les met en danger, selon ces deux chercheurs…

Simon Lapierre est professeur agrégé à l’école de service social de l’Université d’Otawa
Simon Lapierre est professeur agrégé à l’école de service social de l’Université d’Otawa
La Journée québécoise de la médiation familiale – (ndlr : qui avait lieu le 3 février) – vise à « sensibiliser la population à la médiation familiale et à l’informer des bienfaits de l’utilisation de ce mode amiable de résolution des conflits » (Justice Québec). Nous nous interrogeons sur la pertinence et la nécessité d’une telle journée, considérant que la médiation familiale est maintenant devenue une pratique incontournable, obligatoire.

Il semble important de souligner que cette pratique présente aussi certains dangers, notamment pour les femmes victimes de violence conjugale. Ces dangers sont généralement passés sous silence… Étant un contexte qui n’est pas sécuritaire, la rupture est une période où il y a un risque accru de violence sévère et d’homicides.

Durant cette période, les agresseurs peuvent continuer d’avoir recours au harcèlement et aux menaces pour maintenir leur contrôle et leur pouvoir sur leur ex-conjointe. De plus, les femmes qui ont vécu dans un climat de peur et de terreur pendant plusieurs années peuvent avoir compris qu’il est préférable d’éviter de contredire ou de contrarier leur conjoint, qu’il faut acquiescer à toutes ses demandes.

De toute évidence, la médiation familiale ne peut pas être un espace sécuritaire pour ces femmes, qui se retrouvent dans une position où elles ne peuvent exprimer librement leur point de vue.

Recours à la médiation familiale pas approprié

En effet, les inégalités de pouvoir et la domination que ces hommes exercent sur leur conjointe rendent impossibles la notion de consentement libre, la communication ouverte, la transparence, etc. Plusieurs médiateurs se disent conscients de cette problématique et affirment prendre les précautions nécessaires pour ne pas mettre les femmes en danger, mais cela n’est malheureusement pas suffisant pour nous rassurer.

Certains médiateurs reconnaissent d’emblée que le recours à la médiation familiale n’est pas approprié dans les situations de violence conjugale. Par contre, les médiateurs n’ont pas nécessairement l’expertise nécessaire pour identifier ces situations de violence, qui sont souvent très complexes.

D’une part, les femmes victimes de violence sont généralement dans une situation où elles ne peuvent dénoncer les comportements violents de leur ex-conjoint, parce qu’elles ont peur de la réaction de celui-ci ou encore parce qu’elles ne font pas confiance aux professionnels et au système de justice.

D’autre part, les agresseurs vont tout faire pour tenter de cacher cette situation, incluant le recours au charme et à la manipulation.

Dans ce contexte, le médiateur peut rencontrer un couple à plusieurs reprises sans jamais percevoir la dynamique de violence conjugale. D’ailleurs, il est fort probable que de très nombreuses situations de violence conjugale se cachent actuellement derrière ce que de plus en plus de professionnels nomment les « situations hautement conflictuelles ».

Les femmes dans une situation dangereuse

Isabelle Côté est candidate au doctorat en service social de l’Université de Montréal
Isabelle Côté est candidate au doctorat en service social de l’Université de Montréal
Par ailleurs, certains médiateurs prétendent être en mesure de pratiquer la médiation familiale malgré une dynamique de violence conjugale, en prenant des précautions particulières et en imposant des règles claires – faire entrer les conjoints par des portes différentes pour éviter qu’ils se croisent, faire signer des engagements au respect et à la non-violence, etc.

Il n’en demeure pas moins que, peu importe les règles établies, les inégalités de pouvoir et la domination que ces hommes exercent sur leur conjointe placent les femmes dans une situation difficile et dangereuse. Une telle prétention témoigne, selon nous, d’une méconnaissance de la violence conjugale et le simple fait de devoir imposer de telles règles est une indication que la médiation n’est pas appropriée. D’autant plus que le médiateur n’est aucunement en mesure d’assurer la sécurité des femmes hors des séances.

La médiation familiale est un mécanisme qui a été mis en place par l’État parce qu’il est moins lourd et moins coûteux que les procédures judiciaires. Si cette pratique peut être appropriée dans certaines situations, son utilisation dans les situations de violence conjugale est extrêmement inquiétante. Ce n’est pas d’un mode de résolution de conflits dont nous avons besoin dans les situations de violence conjugale, mais plutôt un mécanisme qui assure la sécurité des femmes et qui responsabilise les hommes pour leurs comportements.

Simon Lapierre est professeur agrégé à l’école de service social de l’Université d’Otawa. Ses domaines de recherche se concentrent entre autres sur la violence faite aux femmes et violence conjugale, l’exposition à la violence conjugale et aux mauvais traitements à l'endroit des enfants ainsi que les théories et interventions féministes.

Isabelle Côté est candidate au doctorat en service social de l’Université de Montréal. Elle a notamment été la coordinatrice du projet « Recherche-action visant le développement, l’implantation et l’évaluation de l’implantation d’un outil d’intervention pour favoriser la communication mère-enfant dans un contexte de violence conjugale » sous la direction de Simon Lapierre (2012-2015).
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