Les Productions Intègres présentent : Documents Technologiques et Autres Incompris

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Dominic Jaar

2009-10-13 10:15:00

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Vous connaissez déjà tous ma loi fétiche et la ferveur que je déploie à en suivre cas par cas la citation.
Or, il appert que désormais je doive scruter l’ensemble du corpus jurisprudentiel pour trouver les nouvelles décisions qui traitent de documents technologiques.

En effet, bon nombre d’entre elles omettent simplement de mentionner nommément la LCCJTI. Et pourtant, un appel à propos de celle-ci serait si doux…

Dès lors, on peut facilement imaginer la liste de mots clés d’une longueur absurde que je me voie contraint d’utiliser dans mes fils RSS afin de m’abreuver des ratios decidendi et obiter couchés ici et là par la magistrature dans des décisions qui, autrement, demeureraient occultes : courriel, technolog*, électronique, métadonnée, etc.

Grâce à cette ruse technologique, j’ai réussi à traquer une décision rendue le 26 juin 2009 qui, ma foi… aurait pu être intéressante ! Une affaire dans laquelle une partie cherchait à valider l’intégrité de documents technologiques fournis par un tiers. Dans 2414-9098 Québec inc. c. Pasargad Development Corporation, le tribunal était saisi d'une requête « assez inusitée », comme il le mentionne. En fait, il s'agit d'une "Requête de la demanderesse pour production de documents technologiques" en vertu des articles 2, 20, 46 et 402 C.p.c. Comme le relate le juge : « En deux mots, la requérante veut qu'un expert nommé par le Tribunal puisse avoir un accès aux bureaux et à tous les ordinateurs d'un ingénieur du nom de Richard Bélec (Bélec), qui n'est actuellement pas partie à ce litige, en vue d'obtenir copie du fichier-maître détenu par ce dernier, et procéder à différentes vérifications "à la satisfaction des experts du tribunal et de ceux de la demanderesse". »

Vous conclurez comme moi qu’il s’agit là plutôt d’une requête pour ordonnance Anton Piler, à l’encontre d’un tiers de surcroit !

Pas surprenant que dans les circonstances le juge ait rejeté celle-ci. Par ailleurs, là où je frémis à la lecture de cette affaire, c’est quand je note qu’il aurait été possible pour la demanderesse d’atteindre le résultat recherché de façon beaucoup plus simple mais surtout moins invasive. D’ailleurs, je note avec délice cet indice assez révélateur subtilement glissé par le juge dans son jugement : « Le Tribunal, en disposant de cette requête, ne se prononce pas sur la légitimité d'une telle démarche à une étape ultérieure du dossier, si les plans et travaux de Bélec font l'objet d'allégations spécifiques dans les procédures, ou s’il y a des indices que le fichier-maître fourni est altéré, mais ce n'est pas actuellement le cas. » Quelques mots de plus et on peut lire la recette procédurale pour remettre en question l’intégrité d’un document.

Quant à moi, cette affaire aurait dû se présenter de la façon suivante : Sur réception de la clé USB contenant le « fichier-maître », le demandeur requiert de son expert une analyse de l’intégrité des documents technologiques fournis. L’expert se penche sur le document et tente d’identifier des anomalies, par exemple, une date de création, un nom d’auteur, un lieu de sauvegarde, etc. qui donne à croire qu’on a porté atteinte à la preuve. Dans un tel cas, l’expert souscrit un affidavit détaillé selon l’article 89 (4) C.p.c. lui permettant ainsi de contraindre la personne ayant produit le document à en démontrer l’intégrité, comme le prévoit l’article 7 de la LCCJTI en ces termes :

''« Il n'y a pas lieu de prouver que le support du document ou que les procédés, systèmes ou technologies utilisés pour communiquer au moyen d'un document permettent d'assurer son intégrité, à moins que celui qui conteste l'admission du document n'établisse, par prépondérance de preuve, qu'il y a eu atteinte à l'intégrité du document. »''

Là où nous faisons fréquemment face à un problème insoluble est quant à l’article 6 de cette même loi qui énonce :

''L'intégrité du document est assurée, lorsqu'il est possible de vérifier que l'information n'en est pas altérée et qu'elle est maintenue dans son intégralité, et que le support qui porte cette information lui procure la stabilité et la pérennité voulue.''

Or, dans nombre d’instances, les documents produits sont des transferts au sens de la LCCJTI plutôt que des copies, qui elles permettraient de « vérifier que l'information n'en est pas altérée et qu'elle est maintenue dans son intégralité », en se penchant, entre autres, sur les métadonnées des documents produits.

Malheureusement, le Québec est en retard sur les autres juridictions en ce qu’il existe toujours une incertitude, que je ne m’explique pas, à savoir si la règle de la meilleure preuve et le droit à l’original existent en matière technologique. On pourra sans doute se cacher encore un certains temps derrière le droit civil pour justifier cette anomalie. Du moins, jusqu’à ce que la Cour suprême nous rappelle, comme elle l’a fait dans l’arrêt Lac d’Amiante, que l’administration de la preuve en droit civil québécois a été importée de la common law et que, l’accessoire suivant le principal, les corollaires du « discovery », dont l’obligation de confidentialité (« deemed undertaking »), sont inhérents à la procédure civile québécoise.


Droit et Techno

Deux fois par mois, Dominic Jaar et Philippe Senécal, conseillers juridiques de Conseils Ledjit, rédigent pour vous des billets rapportant des nouvelles technologiques liées au droit ainsi que des nouvelles juridiques relatives aux technologies. Pour consulter toutes leurs chroniques, cliquez ici.

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16 commentaires
  1. Me
    Me
    Je ne sais pas ce qu'est un "acte civil". Vous voulez p-e dire "acte juridique". Encore ici, vous avez tort. C'est la rencontre de volontés qui fait naitre des actes juridiques. La signature n'est qu'un parmi les éléments pouvant servir à faire la preuve de cette rencontre des volontés. Vous remarquerez d'ailleurs que le législateur accorde a la signature une importance infiniment moindre que ce que la culture populaire lui accorde.

    Donc non, elle est loin d'être fondamentale et la Loi sur le cadre [...] ne devrait pas en hausser l'importance

    • Étudiant de 1ere année
      Étudiant de 1ere année
      il y a 16 ans
      Re : Me
      C'est toujours assez comique lorsque quelqu'un, un "Me" en plus, corrige quelqu'un avec condescendance et fait lui même une erreur.

      "Je ne sais pas ce qu'est un "acte civil". Vous voulez p-e dire "acte juridique". Encore ici, vous avez tort. C'est la rencontre de volontés qui fait naitre des actes juridiques."

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 16 ans
    Présomption de bonne foi
    >"Malgré tout, la présomption de bonne foi étant ce qu'elle est en matière civile, cette discussion demeurera inévitablement stérile si on doit remettre en question la bonne foi d'une partie dans tous les dossiers où on retrouve des documents technologiques, c.-à-d. tous les litiges..."

    Quand vous devez combattre un fraudeur auquel est accordé une présomption de bonne-foi, vous ne luttez pas à arme égale lorsqu'il profite d'une présomption d'intégrité sur un document électronique non-signé.

    Votre commentaire conduit à une autre question: d'où vient la valeur accordée par les tribunaux aux documents papiers ? Elle découle du fait qu'il est difficile et risqué, de falsifier un document papier: on risque de laisser des traces en endommageant le papier, en reproduisant mal l'écriture, en utilisant une encre d'une autre composition que celle utilisée sur le reste de la feuille ou si le procédé d'impression permet de détecter que la partie suspecte du document a été imprimé après le reste du document.

    Puisqu'aucune de ces difficulté n'existent dans le cas d'un document électronique non signé, il n'y a pas de raison de leur accorder un grands poids devant les tribunaux.

    Seul la signature électronique peut complexifier la falsification d'un document électronique, et justifier que celui-ci profite des mêmes avantages devant un tribunal qu'un document papier.

  3. Anonyme
    Anonyme
    il y a 16 ans
    Acte civil
    >"Je ne sais pas ce qu'est un "acte civil""

    j'entendais un acte unilatéral de volonté. Dans notre droit on rencontre surtout des actes bilatéraux de volonté, mais on retrouve certains actes unilatéraux ayant une porté juridique, comme par exemple la réalisation d'un testament.

    L'appellation "geste civil", plus imagée, ferait peut-être mieux l'affaire, pour désigner la signature, ce geste fait quasi-quotidiennement par la majorité des justiciables.

    La Loi en question n'est peut-être pas fondamentale, mais signer, on demande ça à des millions de personnes tous les jours. A partir du moment où l'état reconnait une valeur aux documents électroniques, je m'attends à ce qu'il mettent à la disposition du justiciable, à peu de frais, les moyens de signer électroniquement, et qu'il prenne à sa charge la défense de toute contestation du mécanisme de signature. En ce moment, quand vous êtes chez Notarius, c'est eux qui prennent en charge cette défense si la signature est contestée, et qui se chargent de faire témoigner les mathématiciens qu'il faut pour défendre la validité du système.

    La signature n'effectivement pas le seul moyen de faire une preuve quand les gens se rencontrent, mais quand les échanges se font uniquement par des canaux électronique, c'est la voie royale !

  4. Me
    Me
    En matière de testament la question ne se pose pas puisque l'application de la Loi est exclue, le législateur ayant decidé d'exiger un écrit. Dans les autres matières où la signature est requise (couvertes par la Loi sur le notariat) idem, l'application de la Loi est exclue puisque le législateur exige du bon vieux papier et rien d'autre. En dehors de ça, il ne semble que la signature est rarement, sinon jamais, requise...

    Alors je ne vois pas l'utilité de s'attarder sur des moyens électroniques pour substituer un truc qui, de toutes façons, n'est pas requis.

  5. Anonyme
    Anonyme
    il y a 16 ans
    Re: Me
    >"Alors je ne vois pas l'utilité de s'attarder sur des moyens électroniques pour substituer un truc qui, de toutes façons, n'est pas requis."

    Effectifement, la signature électronique n'est pas requise pour faire un testament (elle est même interdite), mais si un jour on vous oppose un document falsifié en prétendant qu'il émane de vous, vous serez content d'avoir signé électroniquement le document dont ce faux est inspiré, pour pouvoir démasquer le fraudeur, et vous serez également content si le tribunal refuse de retenir contre vous tout document électronique non-signé.

    La signature électronique est un procédé qui va beaucoup plus loin que la signature papier: ça permet de vérifier l'intégrité de tout document auquel elle est associée.

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