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Le buffet

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Frédéric Bérard

2013-02-06 14:15:00

La commission Charbonneau et ses révélations assourdissent les réformes et projets de loi que le gouvernement fédéral tente de faire passer, au mépris du cadre constitutionnel.
Foulée de la commission Charbonneau oblige, bien peu s’écrit sur la dynamique fédérale actuelle. Le regard sur la vitrine des scandales (vrais, semis et faux) exposés au grand jour par un appareil médiatique soufflé aux amphétamines, ce dernier peine à suivre et/ou à rendre justice aux événements de la Colline parlementaire. D’intérêt pour qui, de toute manière ? À côté des anecdotes ô combien juteuses des Zambino, Dumont et Lalonde de ce monde, tout nouveau stratagème conservateur possède des allures d’intrigues de niveau Ciné-Quizz.

Le pays, Québec compris, risque de se retrouver avec une gueule de bois, prévient Frédéric Bérard
Le pays, Québec compris, risque de se retrouver avec une gueule de bois, prévient Frédéric Bérard
Pourtant. Une fois la parade terminée, le pays, Québec compris, risque de se retrouver avec une sale gueule de bois : projets de loi mammouths, propension voire obsession quant à la loi et l’ordre, financement préférentiel des ONG religieux, résolution sur le statut du fœtus, réforme des affaires étrangères et implantation de politiques de type va-t’en-guerre, attachement monarchiste assumé, mépris des institutions parlementaires et de la séparation des pouvoirs, utilisation policière de preuves obtenues sous torture, violation des conventions internationales en matière d’immigration et de droit de l’enfant. Demeure la désagréable sensation d’en oublier, d’ailleurs.

Cela dit, les deux plus récents projets fédéraux, soit la réforme du sénat canadien et le mode d’accession au trône, ne semblent souffrir d’aucun vice de fond patent. Au contraire. Toute tentative, même ténue, de modernisation d’institutions vétustes et/ou parfaitement symbolique devrait, il me semble, être accueillie comme une véritable panacée à l’encontre du cynisme ambiant. Sauf qu’au-delà des intentions nobles et louables, le bât blesse. Sur la forme, cette fois. La façon de procéder, parfaitement unilatérale. Le respect du cadre constitutionnel existant.

La monarchie

Le projet de loi fédéral C-53 vise à entériner les changements de règles à la succession au trône du Royaume-Uni, changements proposés par Londres lui-même, évidemment. Ainsi, la primogéniture, concept faisant en sorte que les héritiers mâles auront préséance sur leurs sœurs aînées, sera conséquemment abolie. Idem quant à la règle interdisant à un héritier le droit d’épouser un conjoint catholique, sous peine d’être rayé de la lignée royale. Deux discriminations de moins, en bref. Une bonne chose, bien sûr.

Mais s’agit-il d’une modification de nature constitutionnelle qui, le cas échéant, devrait obliger le processus d’amendement prévu ? Les avis des constitutionnalistes consultés semblent variés. Certains plaident la formule de l’unanimité (P. Taillon), d’autres celle du 7/50 (H. Brun). Difficile de plaider, à notre sens, que les changements ci-haut mentionnés entraîneraient une modification à la «charge de la Reine, celle de gouverneur général et celle de lieutenant-gouverneur», telle que prévue à l’article 41a) de la Loi constitutionnelle de 1867. À vrai dire, en quoi le sexe ou la religion de cette même Reine viendrait affecter le cadre de ses fonctions, ses responsabilités, ses charges ?

Cela dit, il semble qu’un changement substantiel aux conditions d’accession au poste de Chef d’État, devrait, selon toute vraisemblance, être assimilé à une modification de nature constitutionnelle. La formule résiduaire du 7/50, nécessitant l’appui d’au moins sept provinces représentant au minimum 50% de la population canadienne, trouverait ainsi application. Ottawa a pourtant choisi, rappelons-le, de faire ici cavalier seul.

Le Sénat

D’impact drôlement plus sévère sur le régime fédéral canadien, le projet de loi C-7 vise, pour sa part, de modifier unilatéralement le processus de sélection des sénateurs et de limiter, du même coup, la durée de leur mandat à neuf ans. De manière concrète, le processus suggéré permettrait aux provinces de tenir des élections dites sénatoriales afin de pourvoir aux sièges éventuellement laissés vacants. Le mal à ça ? Sur le fond, probablement aucun, sous réserve bien sûr de la conception de la Chambre haute que chacun se fait. Sauf que la forme…

L’article 42 (1) b) de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit en fait que toute modification aux pouvoirs du Sénat et au mode de sélection des sénateurs, doit s’effectuer en vertu de la formule du 7/50 mentionnée précédemment.

De fait, d’aucuns plaideraient l’insignifiance d’un sénat au sein d’une fédération qui se respecte. Celui-ci vise à protéger et promouvoir les intérêts régionaux, des États ou provinces. L’équilibre fédéral, quoi. Pourtant, le fédéral a choisi, ici encore, de s’affranchir du consentement pourtant nécessaire, voire obligatoire, de ces mêmes provinces.

Le précédent

Et pourquoi donc ? Parce que quiconque connaît l'histoire constitutionnelle canadienne un minimum, sait fort bien que toute forme d’amendement, même mineur, à la loi constitutive du pays comporte un potentiel politique explosif. Pensons Meech. Pensons Charlottetown.

À titre d’exemple, pourquoi une province accepterait d’avaliser gratuitement la réforme au mode d’accession du trône ou celle relative au Sénat ? Pourquoi ne pas profiter de l’occasion pour obtenir une nouvelle concession du fédéral (P.Taillon) ? Voilà exactement le type de piège que tente d’éviter ici le gouvernement Harper, fin stratège politique s’il en est.

Petit problème, cependant : les formules d’amendement ne sont pas optionnelles ; elles sont impératives. Peu importe le degré de difficultés potentielles. Peu importe le caractère noble ou légitime de l’opération envisagée.

Vision trop rigide, trop dogmatique ? Peut-être. Sauf qu’entre deux maux, je préfère le moindre. Les formules d’amendement ont été instaurées afin d’éviter la tyrannie de la majorité, de forcer le consensus politique, d’éluder les dérapages ou dérives d’un gouvernement central déjà puissant, de préserver l’équilibre fédéral.

Voilà pourquoi les actuels renvois sur la réforme sénatoriale devant la Cour d’appel du Québec et la Cour suprême constituent une bonne chose : clarifions l’application de ces mêmes formules, enjoignons ensuite le politique de suivre les règles en place. Ceci évitera que les prochaines tentatives de modification de l’ordre constitutionnel canadien ne s’assimilent, éventuellement, à une vulgaire visite au buffet.


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