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Sa bouteille de Pine-Sol l’a-t-elle rendue malade?

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Radio-canada Et Cbc

2024-02-06 14:15:16

L'avocat Alexandre Brosseau-Wery. Source: Radio-Canada / Nancy Lambert / Martin Brunette
Victime de la bactérie Pseudomonas aeruginosa, une femme se bat contre le fabricant des bouteilles de Pine-sol qui font l’objet d’un rappel…

Il a fallu plusieurs mois à Nathalie Leprêtre, une naturopathe de Magog, pour découvrir ce qui pourrait bien être la source de son mal.

En octobre 2022, six mois après une infection aux poumons par la bactérie Pseudomonas aeruginosa, elle apprend par les réseaux sociaux que l’entreprise Clorox rappelle 7,5 millions de bouteilles de Pine-Sol à parfum de lavande, citron et mandarine, produites entre janvier 2021 et septembre 2022.

Dans le communiqué de Clorox comme dans celui du gouvernement du Canada, on peut lire : « Les produits rappelés peuvent contenir des bactéries, y compris le Pseudomonas aeruginosa ».

« J'ai été voir en dessous de mon lavabo, j'ai sorti la bouteille. J'ai vérifié le code-barres, il faisait partie du rappel. Instantanément, je me suis dit : OK, je viens de comprendre d'où vient ma contamination au Pseudomonas. »

Un traitement de choc

Lorsque ses premiers symptômes sont apparus, en mai 2022, elle s'est rendue au CHUS de Sherbrooke. Elle faisait alors de la fièvre, éprouvait une grande fatigue, toussait beaucoup.

Sa médecin lui a prescrit un antibiotique. « Elle m'a dit : c’est une méchante bactérie, on va frapper fort, on va la soigner, on va y aller avec un traitement intraveineux. On doit l'éradiquer d'un coup.»

De retour chez elle, croyant éliminer ainsi tout risque d'être infectée par d’autres bactéries, elle nettoie ses planchers en profondeur avec sa bouteille de Pine-Sol à odeur de lavande.

L’ironie de la chose ne la fait pas sourire. « J'utilise ce produit-là pour décontaminer ma maison. Je me retrouve finalement à en étendre. Je répandais du Pseudomonas, je m'autocontaminais au lieu de faire une désinfection ».

Une bactérie présente partout

Le lien entre son infection au Pseudomonas et le produit Pine-Sol reste à établir, mais pour elle, cela ne fait pas de doute puisque sa bouteille fait partie des produits rappelés par le fabricant.

Seulement, cette bactérie se trouve partout dans l'environnement, souligne Alex Carignan, microbiologiste, professeur et chercheur au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke.

« Le Pseudomonas aeruginosa est ubiquitaire. On le retrouve partout dans notre environnement. On va beaucoup le retrouver dans l'eau, dans les milieux aqueux, ce qui explique justement son omniprésence un peu partout ».

Lorsqu’elle a appris qu’elle était infectée par cette bactérie, sa médecin lui a d’ailleurs recommandé de faire analyser l'eau de son puits artésien.

« On a payé plus de 200 $ pour le test et c'est revenu négatif. Il n'y avait aucune contamination au niveau du puits ».

À ce moment-là, elle ignorait que la source de la contamination était peut-être ailleurs, c'est-à-dire, sous l’évier de la cuisine.

Depuis sa contamination, Mme Leprêtre a été admise à plusieurs reprises à l'hôpital pour combattre une série de pneumonies.

Pour compliquer les choses, ses médecins lui ont découvert une allergie à l’antibiotique qu’on lui a prescrit. Cette allergie a entraîné des complications telles qu'elle a dû s'alimenter uniquement avec des aliments liquides ou en purée pendant plusieurs mois.

Ses poumons de plus en plus infectés

Dans ses poumons, de croissance modérée, le Pseudomonas est passé à une croissance abondante. « Lors de ma deuxième récidive de pneumonie, la pneumologue m'a dit : Écoutez, vous êtes colonisée. Et là, c'est un coup de massue ».

« Une fois qu'ils s'installent, c'est très très difficile de s'en débarrasser, constate le microbiologiste Alex Carignan. C'est d'autant plus difficile que le Pseudomonas, c'est une bactérie qui a une forte tendance à développer des résistances aux antibiotiques ».

Depuis le début de l’infection, Mme Leprêtre a connu trois épisodes de pneumonie, ce qui est problématique selon lui. « Lorsqu'on accumule des pneumonies, il peut s'installer un dommage permanent au niveau des poumons. Le patient peut perdre de la fonction pulmonaire ».

Des enregistrements révélateurs

Elle porte plainte auprès de Clorox, qui délègue un expert en sinistre d'une compagnie d’assurance nord-américaine. Mme Leprêtre a enregistré ses conversations téléphoniques, documents audio qu'elle nous a remis. Dans un premier temps, l’expert en sinistre cherche à comprendre ce qu'elle désire obtenir. Il avance un montant. « Si on parlait de, je ne sais pas, 8000 $ à 10 000 $?».

Mme Leprêtre estime que le montant est dérisoire en regard de ce qu’elle subit depuis plus d’un an. Il faut savoir que Mme Leprêtre, naturopathe, n’a plus d’énergie ni de disponibilité pour recevoir ses clients, car ses rendez-vous médicaux se multiplient.

De plus, elle a renoncé à plusieurs plaisirs de la vie tels que les voyages, les sorties au restaurant, les activités familiales.

Le représentant de la compagnie d'assurance revient à la charge lors d’un autre appel. Lors de cet échange, Mme Leprêtre lui fait comprendre que 100 000 $ est un minimum puisqu’elle ne travaille plus depuis un an et demi. Il s’engage alors à en faire part à la compagnie Clorox.

Mais ce qu’elle souhaite avant tout, ce sont des excuses de Clorox.

L’expert en sinistre lui dit alors ceci : « Le fait que Clorox veuille éventuellement faire un règlement avec vous, c’est une admission de responsabilité, non?»

Dans un courriel que Clorox nous a fait parvenir, la porte-parole précise que le fabricant n'a jamais autorisé ni proposé une offre de règlement. Elle reconnaît que Mme Leprêtre a contacté Clorox. Elle nous explique que la compagnie a demandé des documents médicaux qui appuyaient sa réclamation. Elle précise qu'elle attend toujours ces documents.

Une réclamation dans les six chiffres

Incapable d’en venir à une entente, elle a remis sa réclamation entre les mains d’un bureau d’avocats. Une mise en demeure a été envoyée au fabricant, lettre qui est restée sans réponse.

Nous avons soumis son cas à Me Alexandre Brosseau-Wery, avocat spécialisé dans les réclamations liées aux préjudices corporels. Dans toute action en responsabilité civile, on doit établir trois choses : la faute, le dommage et le lien de causalité.

« En l'espèce, Clorox semble admettre qu'elle a vendu un produit qu'on peut qualifier de défectueux vu qu'il était contaminé. Clairement, madame a subi des dommages. Alors, la seule question vraiment qui va se poser, c'est le lien de cause à effet entre ces deux éléments-là. Si elle fait la démonstration que sa source d'eau potable n'est pas contaminée et qu'il ne reste que le produit, par élimination, le tribunal va en arriver à la conclusion que ces dommages résultent bien du produit.»

Une espérance de vie écourtée, une qualité de vie diminuée, devenue dépendante des autres, elle est aujourd’hui sans emploi. À combien évalue-t-il ces dommages?

« On parle d'indemnité pour ses pertes de revenus, de toutes les dépenses en soins et, en plus, on peut s'attendre à une indemnité pour ce qu'on appelle des dommages moraux. Donc, on pourrait parler d'une indemnité qui avoisine les 800 000 $, tant qu'à moi.»

Alerte à tous

Pour éviter tout alarmisme, le microbiologiste Alex Carignan précise que pour les gens qui sont en bonne santé, le Pseudomonas ne cause généralement aucun problème. Mais si Mme Leprêtre a communiqué avec La facture, c'est qu’elle croit que d’autres personnes sont dans la même situation qu'elle.

« Je suis convaincue qu'il y en a d'autres qui, en 2022, ont fait des pneumonies, qui ont eu des complications et qui, peut-être, encore aujourd'hui, ont des complications, qui ont vu leurs vies changées aussi et qui ne savent pas que Clorox est en arrière de ça.»

Santé Canada nous confirme que 17 personnes ont affirmé avoir eu des symptômes en lien avec l’un des produits rappelés par Pine-Sol. Sont-elles les seules?

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