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Les avocats de l’État québécois dénoncent des pressions politiques

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Radio-canada Et Cbc

2024-03-21 11:15:00

Le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette et Benoît Pelletier. Sources: Archives / Radio-Canada
Dans une note interne, des avocats de l’État québécois reprochent à des ministres d'essayer de faire modifier leurs avis juridiques…

L'association des juristes du gouvernement du Québec affirme que les fonctionnaires qu'elle représente sont de plus en plus souvent visés par des tentatives d'influence et des pressions politiques, a appris Radio-Canada. Dans un message interne adressé à ses 1367 avocats et notaires, le bureau de direction tire la sonnette d'alarme.

Le dossier est très délicat. Il est extrêmement rare de voir Les avocats et notaires de l'État québécois (LANEQ) prendre une position critique vis-à-vis du gouvernement.

Le message aux membres, que nous avons obtenu, n'était d'ailleurs pas destiné à être rendu public et la direction de LANEQ n'a pas souhaité nous accorder d'entrevue.

« LANEQ est informée d’une recrudescence d’interventions de la part d’autorités qui visent à influencer ou à faire modifier certains actes de nature juridique qu’accomplissent les avocates, les avocats et les notaires déployés dans différents ministères et organismes », peut-on lire dans un communiqué interne adressé aux avocats et notaires de l’État québécois.

En date du 31 août 2023, on dénombrait 1367 avocats et notaires employés dans des ministères et organismes québécois, dont 70 % de femmes. C'est le ministère de la Justice qui en emploie le plus (513), mais ceux-ci sont ensuite déployés dans tous les ministères. Par exemple, il y en a une trentaine au ministère de l'Environnement.

Les avocats et notaires de la fonction publique agissent comme conseillers juridiques et légistes auprès des hautes autorités, des ministres et présidents d’organismes et les accompagnent dans pratiquement tous les dossiers majeurs du gouvernement.

Les ministres s'appuient souvent sur des avis juridiques pour justifier une décision ou une orientation politique. L'avocat qui rédige l'avis doit donner une opinion basée sur les règles du droit et sa conclusion est définitive.

Certains ministres plus cavaliers

Le communiqué interne de LANEQ ne donne aucun exemple et ne vise personne en particulier. Selon nos informations, le message concerne, entre autres, certains ministres du gouvernement Legault avec un comportement jugé plus cavalier.

Parmi les pressions dénoncées par des juristes de la fonction publique, il y a des demandes pour modifier les conclusions d'avis juridiques qui ne faisaient pas l'affaire des autorités.

« Notre statut d’acteurs qui participent et veillent à ce que les affaires de l’État soient administrées conformément à la loi, commande que notre indépendance ne puisse faire l’objet de compromis », peut-on lire dans un communiqué.

Dans son message aux membres, LANEQ rappelle qu'« aucune mesure disciplinaire ne peut être imposée à un juriste qui a refusé de signer un document d'ordre professionnel qu'en toute conscience professionnelle il ne peut approuver ».

Le Bureau de direction ajoute qu'« aucun juriste n'est tenu de signer un document d'ordre professionnel ou technique qu'en toute conscience professionnelle il ne peut endosser, ni de modifier un document d'ordre professionnel ou technique qu'il a signé et qu'il croit exact au point de vue professionnel ».

Invité à commenter le message de l'association des juristes de l'État, le cabinet du ministre de la Justice nous a renvoyé vers les communications du Ministère. Ce dernier a tenu à réaffirmer « sa pleine confiance à l’égard de l’expertise des avocats et des notaires de l’État ».

« Ceux-ci posent à chaque jour des actes juridiques réservés, dont la rédaction d’avis juridiques et contribuent aux processus décisionnels gouvernementaux », écrit par courriel le directeur des communications Jean Métivier. « Nous ne commenterons pas davantage la déclaration effectuée par le syndicat ».

De « l'ingérence » « inacceptable », selon deux professeurs de droit

C'est « inacceptable » de demander de modifier un avis juridique, « ça ne doit pas se faire », explique l'ancien ministre québécois Benoît Pelletier, qui a également été avocat pour le gouvernement fédéral.

Benoît Pelletier, qui est professeur à la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa, rappelle que si un ministre n'est pas satisfait d'un avis juridique, il peut en demander d'autres et il peut aussi passer outre les opinions qu'il a reçues de la part des juristes.

Alors pourquoi un ministre voudrait-il faire modifier un avis?

« L'intérêt, c'est peut-être de convaincre d'autres collègues du bien-fondé de la position du ministre ou de convaincre le premier ministre, lui-même, ou, finalement, de sentir qu'il a une assise légale », mentionne Benoît Pelletier.

« C'est difficile pour un ministre d'aller à l'encontre d'opinions juridiques qu'il a reçues », ajoute Benoît Pelletier.

Son collègue à la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa, John Mark Keyes émet l'hypothèse « qu’il y a de la pression quand le gouvernement veut dévoiler un avis juridique qui appuie sa décision ».

« C’est valable que le ministre informe l’avocat sur les circonstances entourant l’avis juridique, mais de mettre de la pression pour changer la conclusion, c’est de l’ingérence », dit le professeur Keyes.

Si l'avocat n'a plus confiance dans le gouvernement qui l'emploie, « il faut mettre fin à la relation avec le client », croit-il, ce qui veut dire : « chercher un autre emploi ».

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