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Sélection des juges à Ottawa : matière à scandale

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Radio -canada

2020-10-20 14:15:00

Des experts et d'anciens membres du gouvernement Trudeau critiquent le rôle joué par le cabinet du premier ministre dans le processus de nominations des juges...

L’ancienne ministre fédérale de la Justice, Jody Wilson-Raybould. Photo : Radio-Canada
L’ancienne ministre fédérale de la Justice, Jody Wilson-Raybould. Photo : Radio-Canada
Le 18 février 2019, un adjoint libéral du nom de François Landry met ses inquiétudes par écrit. Dans un échange avec sa chef de cabinet, ce conseiller politique affecté aux nominations à la magistrature dit ressentir une forte pression politique venant du cabinet du premier ministre (CPM). Il ose même une analogie entre les pratiques du gouvernement Trudeau et les jeux d’influence qui ont mené à la commission Bastarache, sur le processus de sélection des juges au Québec en 2010.

« J’ai besoin de parler de ce que le CPM exige avant les nominations à la magistrature. Cela soulève des préoccupations. Je pense que nous devons être plus prudents dans le contexte actuel. Je veux protéger le ministre... ainsi que moi-même », affirme M. Landry à Rachel Doran, la chef de cabinet du ministre de la Justice, David Lametti.

Ce courriel obtenu par Radio-Canada - ainsi que d’autres documents et témoignages - lève le voile sur les tensions internes au sein du gouvernement fédéral entourant la sélection des avocats qui seront invités à enfiler la robFe de magistrat.

En entrevue avec Radio-Canada, l’ancienne ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould confirme les pressions venant entre autres du cabinet du premier ministre. Elle affirme être fière des plus de 200 nouveaux juges qu’elle a nommés, mais ajoute qu’elle a dû ignorer de nombreuses tentatives d’influencer le processus en cours de route.

« À l’époque où j’étais ministre, il y a eu des gens au “centre”, au cabinet du premier ministre, d’autres ministres, des partisans libéraux, qui ont pris un grand intérêt dans le processus de nominations », a affirmé Mme Wilson-Raybould.

« Certaines personnes ont cette impression que les nominations - que ce soit à la magistrature ou ailleurs - peuvent servir à obtenir des faveurs si on est partisan ou si on a fait quelque chose au bénéfice du parti », a-t-elle ajouté.

Avant de travailler au ministère de la Justice, M. Landry avait de l’expérience en politique en tant qu’adjoint libéral à Québec. Il avait aussi déjà été dans le domaine des nominations à Ottawa, ayant travaillé dans cette fonction au ministère de la Famille.

Parlant au nom de trois autres adjoints qu’il avait consultés sur les nominations à la magistrature, M. Landry déclare dans son courriel qu’un d’entre eux n’est pas préoccupé, mais que les deux autres sont d’accord avec lui : « Ils pensent tous deux qu’il y a matière à scandale ».

« Similaire » à la Commission Bastarache

« Ce que nous faisons est similaire à ce qui a mené à l’établissement de la Commission d’enquête sur le processus de nomination des juges en 2010 au Québec », lance M. Landry dans sa note interne.

La comparaison frappe l’imaginaire. Présidée par l’ex-juge de la Cour suprême Michel Bastarache, cette commission d’enquête publique a levé le voile sur un système où les intérêts partisans prenaient une place démesurée dans la sélection des juges en 2010 et 2011 au Québec. Qui peut oublier les fameux ''Post-It'' de Chantal Landry - avec lesquels la chef de cabinet adjointe du premier ministre Jean Charest notait l’allégeance partisane des candidats - ou le rôle joué par des argentiers du Parti libéral du Québec, comme Franco Fava?

Dans son rapport final, déposé en 2011, M. Bastarache notait que l’absence de règles sur le rôle des intérêts partisans dans les nominations créait un « vacuum » et ouvrait la porte à l’exercice d’influences inappropriées sur la nomination des juges. À la suite de ce traitement choc, le Québec a réformé son processus de nomination et mis fin aux jeux de coulisses.

En 2016, le gouvernement libéral fédéral s’est targué d’avoir modernisé le processus pour mettre un terme aux efforts du précédent gouvernement conservateur d’amener la magistrature plus à droite. On parle alors chez les libéraux de créer un processus « ouvert et transparent » où les candidats les plus méritants seront récompensés.

Le ministre de la Justice défend aujourd’hui le système en place, affirmant que les choix sont effectués en fonction du besoin de chaque cour et d’objectifs précis, comme accroître la diversité au sein de la magistrature.

« Durant mon mandat comme ministre de la Justice et procureur général du Canada, je n’ai jamais subi de pression pour nommer un candidat en particulier à la magistrature. Je suis le seul à décider quel candidat je recommande au cabinet et ma décision est basée sur les besoins de la magistrature, la qualité des candidats et la diversité de la magistrature. Il n’y a aucune considération partisane dans mon processus de décision », affirme M. Lametti.

Selon les documents et témoignages obtenus par Radio-Canada, toutefois, les libéraux utilisent un système où les contributions et activités partisanes des avocats en lice sont notées, où de nombreux membres de l’establishment libéral ont une influence sur les nominations et où le cabinet du premier ministre exerce un fort contrôle.

Le ministre fédéral de la Justice, David Lametti. Photo : Radio-Canada
Le ministre fédéral de la Justice, David Lametti. Photo : Radio-Canada
Des vérifications sur les antécédents politiques de candidats sont faites par des employés du bureau de recherche du Parti libéral du Canada - une entité payée par les contribuables - avec l’aide de la base de données privée du parti.

En plus, le ministère de la Justice fournit souvent les listes complètes d’avocats qui sont admissibles pour une nomination au cabinet du premier ministre, permettant à la garde rapprochée de M. Trudeau de garder un oeil sur l’ensemble du processus, selon nos sources.

L’impact sur le système de Justice est réel. Des postes de juges ont été laissés vacants au fil des ans tandis que certains tentaient de pourvoir des postes avec des alliés du gouvernement, affirment nos sources.

Dans un autre courriel dont Radio-Canada a obtenu copie, M. Landry a fait part à ses supérieurs de plaintes provenant du cabinet du premier ministre. Selon M. Landry, celui-ci insiste pour que de soi-disant représentants du « grand public » qui analysent les candidatures d’avocats sur des comités indépendants soient, en fait, recommandés par des députés libéraux.

« Nous travaillons très forts et la seule raison qu’il y a des délais, c’est que le (cabinet du premier ministre) a demandé d’être inclus pour tout contrôler », écrit-il.

M. Landry a quitté le bureau de M. Lametti il y a environ un an. Selon nos sources, le départ s’est fait en mauvais termes.

En réponse aux questions de Radio-Canada, il affirme pouvoir s’exprimer uniquement dans le cadre d’une commission parlementaire qui pourrait offrir l’immunité aux différents témoins et émettre des recommandations pour améliorer le système.

« J'ai dénoncé des pratiques qui posaient de sérieux problèmes d'éthique. J'aurais beaucoup à dire à ce sujet et j'estime que ce serait d'intérêt public », a-t-il dit dans un commentaire écrit.

« Combien a été donné et sur quelle période? »

Selon nos sources, les tensions entourant les nominations à la magistrature remontent à l’époque où la ministre de la Justice était Mme Wilson-Raybould, de la fin 2015 au début 2019.

Celle-ci s’opposait particulièrement au rôle joué par le cabinet du premier ministre dans la sélection des futurs juges. Elle a même tenté de limiter l’information qui était partagée avec la garde rapprochée du premier ministre. Parmi les documents qu’elle ne voulait pas voir circuler, il y avait les résultats des consultations menées, sous le sceau de la confidentialité, par son cabinet avec les juges en chef des différentes cours.

Les tensions étaient telles que le processus a été paralysé pendant plusieurs semaines à cause d’un désaccord en lien avec certaines nominations en Ontario, selon une source.

Le cabinet du premier ministre a continué à insister pour avoir un rôle à jouer dans le processus, comme le démontre un courriel venant d’un de ses employés - Cameron Wilson - à une adjointe de Mme Wilson-Raybould.

« Malgré ce qu’en pense François, nous devrions avoir accès aux commentaires provenant des membres du caucus », affirmait M. Wilson le 14 août 2018, faisant référence au conseiller à la magistrature François Giroux.

Selon d’autres courriels internes obtenus par Radio-Canada, le cabinet du premier ministre exige que de nombreuses vérifications soient faites sur les candidats envisagés pour un poste de juge. Premièrement, les ministres libéraux sont directement consultés sur les candidats envisagés pour pourvoir des postes dans leur province respective. Cette exigence est liée au fait que la plupart des juges sont nommés par le cabinet, sur recommandation du ou de la ministre de la Justice.

Le gouvernement Trudeau va plus loin. Grâce au code postal des candidats, le gouvernement identifie aussi ceux et celles qui habitent dans des circonscriptions représentées par des députés libéraux, qui sont ensuite consultés sur les candidats. Les députés de l’opposition n’ont pas le même droit de regard.

Il y a aussi de nombreuses consultations et discussions avec des partisans libéraux et certains avocats bien branchés. Par exemple, le gouvernement s’est assuré de consulter le président de l’aile albertaine du Parti libéral du Canada - un avocat de Calgary nommé Robbie Schuett - sur des nominations dans cette province, selon des courriels.

Le juge Michel Bastarache écoute le témoignage de Chantal Landry en 2010. Photo : Radio-Canada
Le juge Michel Bastarache écoute le témoignage de Chantal Landry en 2010. Photo : Radio-Canada
Selon un autre courriel, le bureau de recherche du Parti libéral - une entité qui travaille pour le caucus du parti - participe au processus de vérification des antécédents de certains candidats.

Par exemple, le 11 février 2019, M. Landry demande quelles vérifications il doit faire en lien avec un avocat de Toronto nommé Paul Schabas, reconnu comme étant plus à gauche. La directrice des nominations au cabinet du premier ministre, Mme Leftick, lui répond que le bureau de recherche du parti « est sur le coup, j’attendrais pour l’instant ». M. Schabas a été nommé à la Cour supérieure de l’Ontario l’an passé.

Tel que révélé précédemment par le ''Globe and Mail'', le gouvernement fait des recherches en utilisant la « libéraliste » - la banque de données privée du Parti libéral du Canada - pour vérifier le passé partisan des divers candidats, y compris leurs dons politiques et leur participation à des événements libéraux. Le gouvernement avait noté, par exemple, qu’un avocat du Manitoba avait installé des pancartes libérales lors des élections de 2011 et 2015. Celui-ci a été nommé à la magistrature en 2018.

Les courriels démontrent aussi que les dons à d’autres formations attirent l’attention. Dans le cas de deux candidats qui avaient déjà donné au Nouveau Parti démocratique (NPD), le cabinet du premier ministre exigeait de connaître les dates et montants exacts des contributions.

« J’ai besoin de plus de détails (...) Combien a été donné et sur quelle période? » demandait M. Wilson à deux conseillers au ministère de la Justice - Laura Berger et M. Landry - à la fin janvier 2019.

Un ex-conseiller de Justin Trudeau nommé Mathieu Bouchard, lui-même avocat, fournissait souvent les commentaires de ses contacts dans le monde juridique au sujet de candidats potentiels au cabinet de la ministre de la Justice. Selon les postes disponibles, il pouvait encourager certains avocats à postuler, ou obtenir le statut de certaines candidatures auprès du cabinet du ministre de la Justice.

Dans ses communications, M. Bouchard affirmait aussi amasser des candidatures pour les postes de représentants du grand public dans les comités consultatifs à la magistrature. Il disait ensuite les transmettre au cabinet du ministre de la Justice, en y ajoutant ses recommandations.

« Il n’y a aucune restriction »

La sélection des juges a longtemps été liée au patronage et à la partisanerie, certains gouvernements utilisant ces nominations pour récompenser des alliés du parti au pouvoir.

L’enjeu est de taille : une fois nommés, les juges peuvent servir jusqu’à la fin de leur vie dans certains pays, ou jusqu’à 75 ans pour les cours fédérales au Canada.

Les experts s’entendent pour dire que la confiance de la population envers le système judiciaire dépend en bonne partie de la perception du processus de nomination.

En 2010, l’ex-ministre de la Justice du Québec Marc Bellemare avait créé une commotion en affirmant avoir subi des pressions politiques en lien avec des nominations à la magistrature.

En réponse à ces allégations d’ingérence politique, M. Charest avait créé la commission Bastarache, qui avait un double mandat : vérifier les allégations contre M. Charest et étudier le processus de nomination.

Bien qu’il n’ait pas retenu les affirmations de M. Bellemare contre M. Charest, le commissaire avait affirmé que le processus était malgré tout perméable aux interventions et influences de toutes sortes. Dans son rapport final, M. Bastarache avait formulé 46 recommandations pour améliorer la transparence, l'efficacité et l'imputabilité du processus de sélection et de nomination des juges et des membres du Tribunal administratif du Québec.

Dès le début 2012, le gouvernement du Québec modifie de fond en comble son processus de nomination à la magistrature. Afin de réduire les risques que les choix soient teintés par la partisanerie, Québec a décidé de lancer des concours individuels pour pourvoir chaque poste vacant, comme c’est déjà le cas en Ontario.

Patrick Taillon, professeur de droit constitutionnel à l’Université Laval. Photo : Radio-Canada
Patrick Taillon, professeur de droit constitutionnel à l’Université Laval. Photo : Radio-Canada
Ainsi, le gouvernement se doit de choisir un juge parmi un petit nombre de candidats préapprouvés par un comité indépendant. Un processus semblable a cours au Royaume-Uni.

À Ottawa, à l’inverse, le gouvernement fédéral choisit les nouveaux juges parmi un grand groupe de candidats admissibles. Les candidats auront été approuvés au préalable par un comité consultatif sur les nominations à la magistrature, mais rien ne garantit, par exemple, que les candidats « fortement recommandés » par ces comités auront préséance sur des candidats qui ont la mention inférieure de « recommandés ».

Dans une note interne qui a circulé en 2019, la sous-ministre de la Justice à Ottawa, Nathalie Drouin, affirmait que dans le système actuel, il n’y a aucune restriction sur la façon dont le ministre de la Justice décide quel candidat sera recommandé pour une nomination ni sur la façon dont les autres ministres sont impliqués dans l’évaluation des candidats.

Dans son rapport de 2011, M. Bastarache conclut que les consultations au sujet des candidats à la magistrature devraient se limiter à vérifier les éléments se rapportant aux facteurs qui doivent être pris en ligne de compte dans la décision de nommer un juge.

« C’est une faute éthique grave »

Professeur de droit constitutionnel à l’Université Laval, Patrick Taillon estime que le système de nomination au fédéral demeure « opaque » sous le gouvernement Trudeau.

« Le problème, c’est que la nature profondément politique de la phase finale du processus, elle persiste. C’est difficile de savoir avec transparence quelle est la part d’influence du processus administratif et quelle est la part d’influence du processus politique », déclare-t-il en entrevue à Radio-Canada.

Parlant de l’utilisation de la « libéraliste » dans le processus de vérification des candidats, il affirme que le gouvernement franchit des lignes et risque de transformer la magistrature en un enjeu politique, comme cela se voit présentement aux États-Unis.

« C’est une faute éthique grave que d’entrer des considérations proprement partisanes dans le processus de nomination », ajoute M. Taillon.

Professeure de droit à l’Université de Sherbrooke, Geneviève Cartier a produit un rapport d’expert sur le pouvoir discrétionnaire du gouvernement dans le processus des nominations pour la commission Bastarache. Interrogée sur le système en place au fédéral, elle soutient qu’il serait possible d’instaurer de nouvelles règles, entre autres en exigeant que le ministre de la Justice justifie ses choix publiquement.

« Il y a manifestement au gouvernement fédéral une marge de manœuvre très importante (...) qui peut gagner à être davantage balisée, ne serait-ce que pour nourrir ou pour favoriser la confiance du public dans le processus de nomination », dit-elle.

« Une des meilleures manières de se contraindre quand on exerce un pouvoir discrétionnaire, c’est d’être obligé d’expliquer sur quelles bases on a pris nos décisions. »

Quant aux vérifications en cours au fédéral sur les activités partisanes d’un candidat, elle se fait tranchante : « Il m’apparaît évident qu’une loi qui désigne le pouvoir de nommer des juges ne peut pas avoir pour objectif de remercier les amis du régime ou de favoriser les candidatures qui ont donné à la caisse électorale du parti ou de punir les candidats qui font partie de l’opposition. »

« Nous sommes fiers de la qualité des juristes nommés »

En 2016, le gouvernement Trudeau a réformé le processus de nomination, affirmant vouloir éviter certains abus qui avaient eu lieu sous le gouvernement précédent, celui de Stephen Harper. Par exemple, le gouvernement a retiré l’imposition d’un membre des services policiers dans chaque comité consultatif sur les nominations à la magistrature, ce qui avait fait partie des efforts des conservateurs en faveur de la « loi et de l’ordre ».

Geneviève Cartier, professeure de droit à l’Université de Sherbrooke. Photo : Radio-Canada
Geneviève Cartier, professeure de droit à l’Université de Sherbrooke. Photo : Radio-Canada
De plus, le gouvernement fédéral disait que les comités consultatifs auraient comme mandat de trouver des candidats qui représentent mieux la diversité canadienne.

« Les mesures que nous présentons aujourd’hui rendront le processus de nomination plus ouvert, transparent et responsable pour les nominations à venir, ce qui se traduira par une magistrature qui reflète davantage la diversité de la société canadienne », disait Mme Wilson-Raybould dans un communiqué.

Toutefois, le gouvernement ne nomme pas seulement des candidats qui ont été « fortement recommandés » par les comités consultatifs. Dans certains cas, le gouvernement peut piger dans la catégorie des candidats « recommandés » pour accroître la diversité au sein de la magistrature, un objectif qui a été annoncé publiquement et qui fait consensus au sein du monde juridique.

Un doute subsiste quant à la possibilité de nommer des candidats moins qualifiés pour des considérations partisanes. Lorsque les statistiques sur les nominations sont publiées tous les ans, il est impossible de savoir combien de nouveaux juges proviennent de chaque catégorie.

Le cabinet de M. Lametti affirme que toutes les vérifications qui sont faites sur chaque candidat, avant sa nomination, servent au ministre « alors qu'il se prépare à la discussion au sein du cabinet, ainsi qu'à répondre à toutes questions éventuelles des médias, des parlementaires ou des Canadiens ».

« Les dons politiques n'avantagent ni n'excluent un candidat de la nomination à la magistrature. Nous sommes fiers de la qualité des juristes nommés suivant notre réforme (de 2016), ainsi que des commentaires positifs reçus de la part de la communauté juridique à travers le Canada », affirme Rachel Rappaport, attachée de presse du ministre David Lametti.

M. Bastarache n’a pas voulu répondre aux questions de Radio-Canada sur le processus de nomination au fédéral. Dans ses mémoires publiés l'an dernier, M. Bastarache se disait fier de l’impact de son travail au Québec, ajoutant que cette province était maintenant un modèle à suivre.

« Les politiciens doivent nommer les juges. Mais il faut que ce soit bien réglementé et qu’il y ait des barrières institutionnelles pour empêcher les nominations partisanes, écrit M. Bastarache. Je crois que tous les systèmes peuvent être améliorés, en particulier le processus de nomination au gouvernement fédéral. »

Mme Wilson-Raybould ajoute que le système existant peut produire de bons résultats, mais que cela dépend quand même des personnes en poste.

Lorsqu'on lui demande si le système doit être réformé, elle répond : « Il faut demeurer vigilant. Il est important que chaque processus en place, y inclus le processus judiciaire, puisse être évalué et puisse être amélioré ».


Comment Ottawa choisit les juges

Il y a trois grandes étapes avant qu’un avocat accède à la magistrature fédérale.

En tout, il y a près de 1200 postes de juges au pays qui sont pourvus à Ottawa, soit ceux de la Cour suprême, la Cour fédérale, les cours supérieures, les cours d’appel, diverses cours de la famille et la Cour de l’impôt. En ce moment, il y a près de 50 postes vacants au sein de diverses cours.

Officiellement, le choix est fait par ce qui s’appelle le gouverneur en conseil, soit le gouverneur général qui approuve une recommandation faite par le cabinet des ministres. En fait, pour les juges en chefs des différentes cours et ceux de la Cour suprême, c’est le premier ministre qui fait la recommandation au cabinet. Pour tous les autres juges, la recommandation vient du ministre de la Justice.

Pour la grande majorité des postes, la première étape commence lorsque les avocats soumettent leur candidature à un des 17 comités consultatifs à la magistrature au pays.

Composés de sept membres, ces comités classent les candidats selon trois catégories : non recommandé, recommandé et hautement recommandé.

À la fin de cette étape, les candidats se font dire à quelle date leur dossier a été évalué, mais ils ne se font pas dire s’ils sont éligibles ou non pour une nomination.

Commence alors la seconde étape : le conseiller à la magistrature du ministre de la Justice reçoit la liste de candidats recommandés et hautement recommandés, ainsi que les cours pour lesquelles ils ont postulé.

Pour pourvoir un poste vacant, le conseiller à la magistrature consulte le juge en chef de la cour en question pour définir les besoins. Ils discutent alors des candidats hautement recommandés, en priorité, et ensuite des candidats recommandés. S’ensuivent de nombreuses consultations avec des experts du monde légal, des associations d’avocats et d’autres contacts, dont des députés libéraux qui sont aussi avocats.

Le conseiller à la magistrature cherche premièrement à répondre aux besoins de la cour, que ce soit une expertise légale particulière ou des exigences précises, comme le bilinguisme. Le gouvernement s’est aussi donné l’objectif d’accroître la diversité au sein des différentes cours, un facteur qui entre alors en jeu dans l’évaluation des différentes candidatures.

Le conseiller à la magistrature présente alors diverses options au ministre de la Justice David Lametti. Ce dernier tient compte de l’analyse de son conseiller à la magistrature, mais aussi de ses propres consultations, dont certaines avec des députés et sénateurs de tous les partis, avant de faire son choix.

S’amorce alors la troisième étape : la candidature est transmise au cabinet du premier ministre pour d’autres vérifications. C’est à cette étape que les cabinets du ministre de la Justice et du premier ministre mettent en branle une succession de consultations avec divers intervenants et vérifient plusieurs banques de données.

Voici le type de renseignements compilés par le gouvernement sur chaque candidat avant qu’une nomination soit officialisée :
  • Date de naissance et code postal

  • Universités fréquentées, employeurs présents et passés, associations au sein desquelles ils ont participé ou milité

  • Présence dans différentes bases de données : registres de lobbyistes, récipiendaires de contrats fédéraux, Panama/Paradise Papers

  • Présence sur Twitter, Facebook, Instagram et LinkedIn

  • Mentions dans divers médias selon Infomart et Google Actualités

  • Résultats de consultations avec ministres et députés libéraux

  • Liste des contributions à des partis politiques au fédéral et au provincial

  • Informations tirées de la Libéraliste (base de données privée du Parti libéral du Canada), qui recense les contributions financières, la présence sur la liste de membres du parti fédéral et provincial, et la participation à des événements tels les courses à la direction

  • Évaluation du risque en fonction de toutes ces vérifications

Armé de toutes ces informations, le cabinet du premier ministre présente alors les candidats à la magistrature pour approbation par le cabinet des ministres.

« Nous avons renforcé le rôle des comités consultatifs indépendants sur la magistrature, et nous avons mis en place un système plus rigoureux, plus ouvert, plus transparent, plus responsable et qui reflète mieux la diversité du Canada. Tous les candidats doivent subir une évaluation complète par un comité consultatif indépendant sur la magistrature et recevoir leur recommandation afin d’être admissibles à une nomination », affirme Rachel Rappaport, porte-parole du ministre de la Justice David Lametti.

Et ailleurs ?

Plusieurs juridictions ont limité le pouvoir discrétionnaire du gouvernement dans la sélection de futurs juges, laissant le gros du travail au sein des comités indépendants qui évaluent les candidatures.

Au Royaume-Uni. Les comités qui évaluent les candidats ne proposent qu’un seul candidat à l’équivalent du ministre de la Justice. Dans les cas où la recommandation du comité est rejetée, le Lord Chancellor doit fournir une explication par écrit.

En Ontario. La province a réformé son processus de nominations à la magistrature en 1995 pour « veiller à ce que les futurs juges soient nommés selon un processus indépendant des considérations politiques ». Les candidats doivent postuler pour un poste vacant précis. Ceux qui sont retenus sont interviewés par un Comité consultatif sur les nominations à la magistrature, qui dresse ensuite une courte liste de candidats potentiels. Le procureur général doit absolument choisir un candidat qui est ainsi recommandé pour le poste vacant.

Au Québec. Après la Commission Bastarache, le gouvernement a opté pour un système similaire lors d’une réforme en 2012. Un comité de sélection évalue les candidatures lorsqu’un poste de juge se libère et propose trois noms, en ordre alphabétique, au ministre de la Justice. L'allégeance politique ne doit pas être considérée par le comité lorsqu'il évalue les candidatures et fait des propositions au ministre ni par celui-ci lorsqu'il choisit un candidat en vue d'une recommandation au Conseil des ministres, affirme le gouvernement du Québec.

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