Carrière et Formation

Des enjeux à suivre de près pour les avocates

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Camille Dufétel

2023-03-08 14:15:00

Si les mentalités des cabinets ont évolué dans la dernière décennie, des avocates se questionnent toujours sur leurs conditions de travail et leur gestion du quotidien.

Sabine Neuman
Sabine Neuman
Conciliation vie pro/vie perso, syndrome d’imposture, comparaison avec ses pairs...

Dans une société du paraître, des avocates peuvent avoir l’impression de ne pas réussir aussi bien que leurs confrères et leurs consœurs, de ne pas parvenir à concilier leur vie professionnelle et leur vie personnelle, et en souffrir.

Les cabinets d’avocats pourraient en faire davantage pour que la situation évolue dans le bon sens, sur le plan de la flexibilité et du suivi.

C’est ce que remarque, alors que la journée internationale des droits des femmes bat son plein, Me Sabine Neuman.

Avocate française, mais également depuis 2014, au Barreau du Québec, elle est coach auprès de femmes juristes.

Cette conférencière a mis sur pied il y a une dizaine d’années « Avocate et bien plus ».

Elle accompagne des professionnelles entre la France et le Québec pour qu’elles trouvent « leur propre façon d’être avocate », en travaillant sur la priorisation, l’efficacité, et l’organisation.

Conciliation pro/perso

La principale problématique que lui évoquent les avocates concerne la conciliation vie professionnelle et vie personnelle. « Elles se demandent comment font les autres, dans un milieu où on a l’impression que tout le monde y arrive très bien ».

« Est-ce que je suis nulle ? Toutes les autres y arrivent et moi, je ne m’en sors pas », s’interrogent certaines d’entre elles. Au bureau, elles pensent à tout ce qu’elles devraient faire chez elles, et vice et versa, qu’elles aient une famille ou non.

Elles ont l’impression de ne jamais faire les choses suffisamment bien, assure la coach, qui constate aussi chez elles énormément d’auto-critique et de perfectionnisme.

Beaucoup vivent aussi de la dispersion, car tout ce qu’elles ont à faire est important et elles ne savent plus par quoi commencer. Elles sont beaucoup « en réactivité ».

« Beaucoup envisagent de quitter la profession, ajoute Me Neuman. Elles sont partagées entre cette exigence de performance, de toujours donner un travail impeccable à leurs clients, et en même temps l’envie de challenge et de stimulation ».

Autre point important soulevé par la coach, les nouvelles technologies et l’habitude de l’immédiateté qui rend beaucoup plus difficile la coupure entre le travail et la vie personnelle.

L’enjeu de la flexibilité

Si les avocates ont toujours eu leur place dans le milieu juridique, Me Neuman souligne que la profession se féminise de plus en plus.

Pour elle, la différence est qu’à une époque, il y avait soit des femmes carriéristes qui mettaient leur famille de côté, soit des avocates travaillant à temps partiel le temps de voir grandir leurs enfants, quitte à gagner moins.

Elle observe cela beaucoup moins aujourd’hui et constate que les gens sont de moins en moins prêts à se sacrifier pour leur travail.

Voilà pourquoi elle voit des avocates quitter des cabinets prestigieux et se mettre à leur compte pour s’organiser comme elles le veulent et/ou parce que les valeurs de leur cabinet ne leur correspondent pas.

Celle qui a pratiqué une quinzaine d’années à Paris et qui est également médiatrice, ne dit pas qu’aucun homme n’est touché par ces problématiques, mais pour elle, plus de femmes le sont.

Aujourd’hui, les cabinets considèrent ces réalités et le Québec est même très en avance sur la France, croit la coach, y compris le Barreau du Québec. Elle souligne qu’il est habituel au Québec de finir à 17 heures, quitte à retravailler plus tard en soirée chez soi.

« En France, on pourra dire à une avocate qui quitte son cabinet à 19h30, ‘tu prends ton après-midi ?’ », remarque-t-elle. Ce que demandent les avocates n’est pas de moins travailler, c’est de la flexibilité, insiste la coach.

Le mode de travail hybride que la pandémie a initié, et qui selon elle est là pour rester, a aussi changé la donne. Pour elle, au Québec, l’avantage à ce niveau est la culture de la confiance.

Mais des ajustements sont toujours possibles de la part des cabinets, qui ne devraient pas seulement organiser des formations, selon Me Neuman. Ils devraient selon elle effectuer aussi et surtout des suivis, en rencontres individuelles ou en petits groupes.

« Ça ne sert à rien de proposer une formation sur la gestion du temps et des priorités en trois heures si derrière il n’y a pas de suivi, car tu ne peux pas tout implémenter toute seule. Sinon elles essaient, n’y arrivent pas et perdent confiance en elles, déjà qu’elles vivent parfois le syndrome de l’imposteur ».

Les temps changent...

La donne était encore bien différente il y a peu. Ne serait-ce que consulter une coach.

« Pendant des années, c’était surtout du bouche-à-oreille, le coaching était encore secret, surtout pour les avocates, car on pouvait croire que c’était une faiblesse », se souvient-elle.

En 2013, elle était un « ovni », assure-t-elle. Or, d’après elle, beaucoup d’avocates quittaient la profession, souvent au moment où elles devenaient vraiment compétentes, parce qu’elles ne se sentaient pas à leur place alors qu’elles adoraient leur métier.

« Je trouvais ça dommage, poursuit-elle. La profession devenait déjà de plus en plus féminine, mais on avait l’impression que c’était fait pour un homme des années 50 dont la femme était à la maison et s’occupait de tout. »

Ce n’était pas la réalité, mais c’est ce qui selon elle était encore projeté dans de nombreux cabinets.

Me Neuman remarque aussi qu’à la formation du Barreau, on leur apprenait uniquement le droit, alors qu’il faut avoir de nombreuses autres compétences pour travailler dans un cabinet.

L’avocate Me Sylvie Grégoire l’a d’ailleurs poussée à donner des formations pour le Barreau du Québec, ce qu’elle a fait. Me Neuman a aussi donné, entre autres, des conférences pour l’Association du Barreau Canadien et est membre de sa Commission Mieux-être.

En attendant que tous ces enjeux soient encore mieux appréhendés dans le milieu, elle encourage les avocates à jouer le mieux possible avec « leurs cartes du moment », en se mettant la juste pression.
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