Au front pour les travailleurs étrangers

Élisabeth Fleury
2025-06-27 15:00:48

Le Québec est en pleine pénurie de main-d’oeuvre et les récents changements au Programme des travailleurs étrangers temporaires ne feront que l’accentuer, dénonce une avocate spécialisée en droit de l’immigration.
Me Angélique Adam est avocate chez Phoenix-GMI, une entreprise québécoise spécialisée en recrutement international, en soutien aux procédures d’immigration ainsi qu’en obtention de permis de travail et de visa de séjour.
« On est en région, à Montréal… On représente des entreprises qui emploient des travailleurs agricoles, des machinistes, des travailleurs de manufacture, de la santé, de la construction, tous des secteurs-clé où il y a des pénuries de main-d’oeuvre », précise Me Adam en entrevue avec Droit-inc.
L’avocate est donc aux premières loges pour constater les effets dévastateurs de la suspension, depuis le 5 juin, du volet Travailleurs étrangers du Programme de l’expérience québécoise — le PEQ — sur les employeurs qu’elle représente.
« C’est un programme de résidence permanente qui permettait [notamment] aux entreprises d’avoir des travailleurs étrangers qui pouvaient répondre de manière permanente à la pénurie de main-d’oeuvre », résume Me Adam.
Le gouvernement avait déjà, rappelle-t-elle, suspendu depuis novembre 2024 le volet Diplômés du PEQ. Et c’est sans compter que le nombre de travailleurs étrangers temporaires à bas salaire par entreprise est limité à 10%, ajoute l’avocate.
Quant au Programme de sélection des travailleurs qualifiés qui s’installe progressivement, il est, selon elle, encore «trop flou», et les entreprises n’ont pas le luxe d’attendre.
« On nous dit qu’il y a un programme de résidence permanente qui peut marcher, [soit] le régulier avec la grille des points, mais il faut attendre une invitation. L’invitation, quand est-ce qu’elle arrive, on ne le sait pas! » dénonce l’avocate.
Résultat: les entreprises qui doivent renouveler le statut des travailleurs étrangers se retrouvent « totalement désespérés », observe Me Adam.
« Les entreprises disent: on n’est pas capable de produire, il y a des contrats qui sont refusés, on fait face à des pertes économiques réelles », rapporte l’avocate, qui rappelle qu’il y a en plus au Québec un déclin démographique qui ne fera qu’accentuer la pénurie de main-d’oeuvre.
« Il faut arrêter le moratoire actuel et qu’on reprenne le Programme des travailleurs étrangers temporaires tel qu’il était avant septembre 2024, où on permettait aux travailleurs étrangers de venir et d’occuper un poste pour répondre à la pénurie de main d’oeuvre », insiste Me Adam, qui ne comprend pas le « raisonnement » du gouvernement.
L’avocate en a également contre la précipitation des changements apportés au programme.
« On a coupé le volet Travailleurs étrangers du PEQ du jour au lendemain, sans donner une période de transition de 30 jours comme ça se fait habituellement quand un programme d’immigration change », se désole-t-elle.
Anticiper, la clé
Pour éviter de perdre leurs travailleurs étrangers, les entreprises doivent anticiper, prévient Me Adam.
« Les employeurs n’ont d’autres choix que de faire appel aux experts en immigration et d’être dès maintenant le plus prudent possible. Il ne faut pas attendre d’autres catastrophes. Les entreprises doivent faire des plans stratégiques sur les 30 prochaines années, reprendre leurs listes de travailleurs étrangers et faire du cas par cas en vérifiant auprès d’un expert ce qui peut être fait et comment on peut protéger le statut de chaque travailleur », propose l’avocate.
L’immigration temporaire et permanente, c’est « très stratégique », souligne Me Adam.
« Il y a des dispenses de permis qui peuvent s’appliquer dans certains cas, il y a des stratégies avec des demandes d’EIMT [Évaluation de l’impact sur le marché du travail]... Nous, on a pu sauver tous nos employeurs parce qu’on a réussi à trouver des stratégies très pointues pour faire en sorte que les travailleurs restent au Canada et que des EIMT puissent encore être valides », mentionne l’avocate.
La piqûre du droit de l’immigration
Du droit de l’immigration, Me Angélique Adam en mange.
« J’y baigne depuis toute jeune. J’ai fait mes études à l’Université de Montréal, où j’ai fait mon baccalauréat en droit. Pendant mes sessions et pendant l’été, je remplissais des formulaires [d’immigration] et, au bout de 10 ans, à force de faire des demandes de permis et eu toutes sortes de clients et d’employeurs, j’ai appris les stratégies », raconte-t-elle.
Ce qu’elle aime de ce domaine du droit? « L’aspect à la fois économique et humain », répond celle qui a aussi pratiqué chez McCarthy Tétrault, chez BCF, à la Faculté de médecine de l’Université McGill et chez Technicolor.
Beaucoup de confusion
L’avocate se désole par ailleurs que « trop de gens confondent demandeurs d’asile, à qui on donne un permis de travail ouvert, et travailleurs étrangers, qui répondent à une pénurie de main d’oeuvre ».
Elle a d’ailleurs répliqué sur LinkedIn au discours trop souvent entendu voulant que les immigrants « prennent nos logements, nos soins ou nos services sociaux », ce qui est «non seulement faux, mais c’est aussi détourner le regard des véritables causes de la crise économique actuelle ».
«Les travailleurs étrangers temporaires cotisent aux impôts, occupent des postes essentiels souvent boudés par la population locale », rappelle Me Adam.