Droit de travailler en français au fédéral : victoire pour un ancien fonctionnaire
Radio -canada
2021-08-05 13:15:00
Dans une décision de 57 pages, rendue mercredi, la juge Marianne Rivoalen, appuyée par les juges Yves de Montigny et George R. Locke, donne raison à M. Dionne, et au commissaire aux langues officielles qui était intervenant dans cette cause.
Selon la Cour d’appel fédérale, le juge Peter B. Annis a erré dans sa décision de juillet 2019, dans laquelle il avait débouté M. Dionne.
Fonctionnaire fédéral au sein du Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), M. Dionne travaillait depuis Montréal, qui fait partie des régions désignées bilingues au niveau fédéral, ce qui signifie qu’il pouvait y travailler dans la langue officielle de son choix, selon la Loi sur les langues officielles.
Mais son emploi nécessitait de constamment travailler en anglais, lorsqu'il avait recours à d’autres fonctionnaires fédéraux, des spécialistes majoritairement unilingues anglophones, installés dans les bureaux du BSIF à Toronto.
Une situation qui l’avait convaincu de faire une plainte auprès du Commissariat aux langues officielles en 2010, puis de se tourner vers les tribunaux, insatisfait des conclusions du commissaire.
Débouté par la Cour fédérale, M. Dionne a finalement obtenu la reconnaissance que ses droits linguistiques ont été violés.
« C’est très positif pour les droits linguistiques, car la Cour d’appel vient remettre les pendules à l’heure », explique Me Gabriel Poliquin, avocat d’André Dionne.
« La Cour d’appel fédéral rappelle que les principes de l’arrêt Beaulac de la Cour suprême du Canada s’appliquent dans tous les cas, à chacun. Ce n’est pas parce qu’on est majoritaire québécois ou bilingue qu’on a moins de droits linguistiques », réagit l’avocat de M. Dionne, Me Poliquin, du cabinet Gib van Ert Law, en entrevue avec Radio-Canada.
L’ARRÊT BEAULAC
La Cour d’appel fédérale fait plusieurs fois référence à l’arrêt Beaulac dans son jugement. Comme le résume le Commissariat aux langues officielles du Canada sur son site web, dans cette décision de 1999, la Cour suprême du Canada précise que le bilinguisme institutionnel signifie l’accès égal à des services de qualité égale, et rejette l’idée selon laquelle les droits linguistiques devraient recevoir une interprétation restrictive parce qu’ils découlent d’un compromis politique.
Une avancée pour le droit de travailler en français
Me Poliquin souligne que ce jugement marque une avancée importante pour les droits linguistiques des fonctionnaires fédéraux.
« C’est le premier jugement de la Cour d’appel fédérale à se pencher sur les droits [linguistiques] des employés d’institutions fédérales. La Cour dit (...) que M. Dionne, son droit, c’est de pouvoir être outillé dans la langue officielle de son choix afin de lui permettre de bien desservir le public dans la langue officielle choisie par celui-ci », dit-il.
Dans son travail, cela ne se déroulait pas ainsi, raconte Me Poliquin.
« M. Dionne desservait des institutions financières, plusieurs étaient au Québec et demandaient un service en français. Sauf que M. Dionne, dans son travail, recevait les rapports, l’information et l’aide des spécialistes uniquement en anglais. Il devait s’improviser traducteur et intégrer ces rapports de l’anglais vers le français. La Cour dit que ce n’est absolument pas correct : ce n’est pas parce qu’on est bilingue qu’on est traducteur ».
Selon l’avocat, il reviendra donc désormais aux institutions fédérales de mettre en place des mécanismes pour veiller à l’application de ce droit, comme, par exemple, en ayant un service de traduction adéquat ou en embauchant davantage de personnes bilingues.
« Un jugement comme ça (...) donne le vent dans les voiles à des employés qui sentent que leurs droits ne sont pas respectés, qu’il y a un manque de respect envers les langues minoritaires – le français, tout particulièrement – mais qui se sentent gênés de faire avancer leurs droits », dit-il.
En 2020-2021, le Commissariat aux langues officielles du Canada rapportait 173 plaintes en la matière, contre 79 dix ans auparavant.
Changement de culture
La juge Rivolaen reconnaît le courage et la persévérance dont a fait preuve M. Dionne tout au long de ce processus.
« J’estime que ce sont des personnes comme M. Dionne qui font avancer l’état du droit dans le domaine des droits linguistiques et, en ce sens, je tiens à saluer tout particulièrement sa participation au débat concernant la partie V (Langue de travail) de la Loi sur les langues officielles », écrit-elle dans son jugement.
« M. Dionne est à la retraite maintenant, mais je pense que ce qui est vraiment important, c’est surtout la satisfaction de voir qu’il avait raison, que sa plainte était fondée », dit Me Poliquin.
« Je souhaite que cette décision incitera le gouvernement fédéral à revoir sa gestion de l’application de la Loi sur les langues officielles de manière à la rendre exécutoire sur le terrain dans toutes les institutions fédérales », affirme André Dionne dans une déclaration écrite.
Dans une réponse écrite à Radio-Canada, son client se dit heureux du résultat, mais surtout « fier d’y avoir cru ».
« Je suis ravi qu’un tribunal fédéral reconnaisse enfin le bien-fondé de ma requête. Il est évident que l’égalité réelle des deux langues officielles n’existe pas dans les institutions fédérales où l’usage effectif du français est quasi absent. Le démontrer devant les tribunaux est une tâche monumentale. L’aventure aura duré presque onze ans, dans mon cas », rappelle-t-il.
Il espère désormais que la Loi sur les langues officielles sera véritablement appliquée. Ce jugement le permettra-t-il?
« Je pense que ce jugement va contribuer à un changement de culture. (...) La partie V est une partie plutôt vague de la Loi et les institutions fédérales, au cours des années, ont pris la voie plus facile pour satisfaire à leurs obligations », estime Me Poliquin. « Ce que la Cour vient de dire, c’est que ce sont des obligations qui sont sérieuses (...). Les institutions vont donc devoir revoir leur pratique pour se conformer à la Loi et à l’interprétation qu’en fait le jugement ».
Joint par Radio-Canada, le commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge, n’était pas disponible pour commenter cette décision. Le Commissariat a toutefois réagi sur Twitter.
Commissaire : « Je me réjouis de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Dionne, qui confirme pour la 1re fois l’étendue des droits d’un fonctionnaire fédéral de travailler dans la #langueofficielle de son choix dans une région désignée bilingue. »
— CLO du Canada (@CLOduCanada) August 4, 2021
Dans une déclaration écrite, le BSIF a assuré « prendre les mesures nécessaires pour se conformer à la Loi et l'usage de l'une ou l'autre des langues officielles pour les employés ».
« À noter que depuis 2010, le Bureau a mis de l’avant plusieurs mesures pour assurer que ses employés situés dans les régions désignées bilingues soient en mesure de travailler dans la langue de leur choix », est-il indiqué.
Le BSIF n'a toutefois pas encore décidé s'il tentera d’amener le dossier qui l'oppose à M. Dionne devant la Cour suprême du Canada.
« Le BSIF examinera attentivement la décision de la Cour d’appel fédérale rendue aujourd’hui et déterminera les prochaines étapes, le cas échéant, en temps voulu », a écrit l'institution fédérale, précisant que la date butoir pour demander l'autorisation de faire appel est le 4 octobre prochain.
un fonctionnaire
il y a 3 ansB-R-A-V-O à ce fonctionnaire qui s'est tenu debout pour qu'on applique la Loi tel qu'il se doit, et au juge qui a reconnu le principe pour lequel s'est battu se travailleur du gouvernement.