Le milieu judiciaire est-il devenu hostile pour les avocats?

Tensions et surcharge dans les tribunaux : une avocate tire la sonnette d’alarme.

Le milieu judiciaire serait-il devenu un environnement hostile pour ses professionnels? C’est le constat que dresse Me Ioanna Lianis, avocate en droit criminel et pénal depuis plus de 15 ans.

Elle est également médiatrice familiale accréditée et médiatrice-superviseure, accompagnant les professionnels dans l’obtention de leur accréditation.

Récemment, Me Lianis a partagé sur LinkedIn son étonnement face à la décision d’un confrère de ne plus plaider, jugeant le milieu trop hostile. Un signal d’alarme pour l’ensemble du système judiciaire.

« Le rôle de chacun dans notre système judiciaire est essentiel et il comporte des responsabilités importantes. Mais il est aussi possible et nécessaire d’exercer ces responsabilités avec bienveillance, respect et collaboration », souligne t-elle.

Qu’est-ce qui a poussé Me Lianis à s’exprimer publiquement? Quel constat pose-t-elle exactement? Le choix de cet avocat de ne plus plaider est-il un cas isolé, ou un signal sur un problème plus large? On lui a posé quelques questions…

Vous avez mentionné un confrère qui avait décidé de ne plus plaider en raison de la toxicité perçue du milieu judiciaire. Est-ce que vous pourriez nous en parler un peu plus en détail?

En fait, c’est le premier collègue dont j’entends qu’il a choisi d’abandonner. C’est un métier exigeant, bien sûr, mais en général, ceux qui y travaillent savent à quoi s’attendre. Ils connaissent l’ampleur de la tâche. Donc, quand quelqu’un décide de partir, c’est souvent que quelque chose ne va plus. C’est un choix lourd, parce que pour beaucoup d’entre nous, le droit fait partie de notre identité.

Je ne parle pas d’être complaisant ou d’effacer les tensions naturelles du métier, mais simplement d’instaurer un cadre plus bienveillant, un peu plus humain.

J’ai voulu semer une graine, inviter à la réflexion, à la recherche de solutions. Si de plus en plus de gens prennent conscience de ces enjeux et en discutent ouvertement, peut-être que les choses pourront, petit à petit, évoluer.

Selon vous, quels sont les comportements ou attitudes qui contribuent à rendre le milieu judiciaire parfois hostile?

Concrètement, je vois que les gens sont souvent fermés, moins à l’écoute, plus impatients. On sent cette pression dans les salles de cour : il faut aller vite, tout doit avancer. Cette hâte contribue à créer une ambiance tendue. Mais pour bien servir la justice, il faut d’abord prendre le temps nécessaire. Être compétent dans ce domaine implique d’écouter, de faire preuve de patience et de vraiment comprendre chaque dossier.

Nos décisions ont des conséquences concrètes, parfois sur la liberté des personnes. Cela exige un travail réfléchi et attentif. Et pour accomplir cela, il faut que tous les intervenants judiciaires, qu’ils soient avocats, procureurs ou juges, puissent exercer leur métier dans de bonnes conditions. Un avocat heureux est un avocat plus compétent : il a l’énergie nécessaire pour défendre ses clients, écouter attentivement et agir avec patience.

Avez-vous des idées de mesures concrètes pour améliorer le climat dans les tribunaux? Des initiatives qui pourraient favoriser un environnement plus serein?

Il y a vraiment beaucoup de choses qui pourraient être faites, notamment du côté de la magistrature ou de l’organisation des tribunaux. Ce n’est pas mon domaine direct, donc je ne vais pas entrer dans les détails techniques, mais des pistes existent. Pour les avocats, c’est aussi une question de responsabilité individuelle.

Si l’on se sent dépassé ou épuisé, il faut le reconnaître et le dire. Il faut savoir demander une charge allégée et veiller à avoir une vie équilibrée. Cela peut passer par le sport, la méditation, les amis, la famille… On ne peut pas se contenter de travailler sans relâche et s’attendre à rester compétent.

Aujourd’hui, être avocat, ce n’est plus seulement travailler, travailler, travailler. Les études montrent que nous sommes beaucoup plus efficaces si nous travaillons moins d’heures par jour, plutôt que de nous épuiser continuellement. Il y a aussi des actions possibles dans la formation continue.

Plutôt que de se concentrer uniquement sur le savoir-faire, il serait bénéfique de consacrer une partie des heures à des thèmes liés au savoir-être : comment mieux communiquer, comment gérer ses émotions et interagir de manière constructive en salle de cour et dans la vie en général.

Quels conseils auriez-vous pu donner à la jeune avocate que vous étiez, pour naviguer dans ce milieu parfois complexe?

À la jeune avocate que j’étais… Quand on commence, on est très concentrée sur le fait de faire ses preuves. On a tendance à se plonger complètement dans les dossiers, à vouloir tout maîtriser, et parfois on en oublie l’essentiel.

Mon conseil serait de revenir au moment présent et de trouver un équilibre entre le savoir-faire et le savoir-être. Il faut traiter les autres avec bienveillance, prendre le temps d’écouter plutôt que de simplement répondre, et développer de bonnes relations avec les autres acteurs de la communauté juridique.

Pour les jeunes avocats, je dirais donc : ne prenez pas tout sur vos épaules, prenez le temps de développer vos qualités personnelles et vos relations professionnelles. Cela vous aidera à naviguer dans le milieu judiciaire avec plus de sérénité et d’efficacité.