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Pierre Poilievre, Prémonitoire?

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Marc Bellemare

2024-06-04 11:15:37

Marc Bellemare. Source: Bellemare avocats
Marc Bellemare. Source: Bellemare avocats
L’ancien ministre de la Justice Marc Bellemare prend la plume pour une petite analyse politique de la clause dérogatoire dans le contexte de l’arrêt Jordan…

Sourire gêné, le porte-parole du Bloc québécois en matière de justice Rhéal Fortin a presque concédé jeudi être dans le sillon de Pierre Poilièvre en proposant (à son tour) le recours à la clause dérogatoire pour contrer les effets délétères de l’arrêt Jordan.

Après s’être accommodé de cette situation inacceptable pendant huit ans, le Bloc ressent tout à coup de puissants scrupules. Il annonce le dépôt imminent du projet de loi C-392 écartant la Charte fédérale de Trudeau père pour que les accusés de meurtre et d’agression sexuelle soient jugés coûte que coûte, sans limite de temps.

Rappelons qu’en juillet 2016 la Cour suprême prononçait Jordan et permettait à des centaines de criminels d’être dorénavant libérés au Canada, sans procès ni peine, certains ayant échappé à des accusations pour meurtre, d’autres pour agressions sexuelles, violence conjugale, ivresse au volant et fraude. L’unique raison de ces élargissements : l’accusé n’a pas été jugé dans un délai raisonnable de 18 ou 30 mois, selon la cour saisie de l’affaire. L’article 11b de la sacro-sainte charte, selon l’interprétation très libérale qu’en fait la Cour suprême, garantit un procès à l’intérieur de ces courts délais sans quoi l’accusé est libéré.

Doté d’un flair politique incontestable, Pierre Poilièvre partage haut et fort l’indignation populaire face à la mollesse de notre justice criminelle dont Jordan est la manifestation criante. Le 29 avril dernier, il annonçait devant l’Association canadienne des policiers son intention ferme d’invoquer la clause dérogatoire pour écarter la Charte et garantir une justice criminelle plus sévère à l’abri des tribunaux jugés trop complaisants envers les accusés. À plusieurs reprises au cours des dernières années, s’appuyant sur la Charte, ceux-ci ont cassé diverses mesures du Code criminel jugées « cruelles et inusitées » alors qu’elles avaient pourtant été adoptées démocratiquement par le Parlement canadien.

Les idées prémonitoires de Pierre Poilièvre font du chemin dans l’opinion publique et le Bloc québécois s’en inspire, quoiqu’il s’en défende hypocritement. Il lui faudra aussi faire preuve de plus de cohérence en matière de justice criminelle. Son discours est équivoque. En novembre 2022, il se faisait complice du gouvernement Trudeau en appuyant la loi C-5 qui a permis, en 2023 seulement, à quatre fois plus d’agresseurs sexuels d’éviter la prison et de s’en tirer avec une peine à la maison.

Cette loi ignoble a provoqué un tollé au Québec, le ministre de la Justice Jolin-Barrette la qualifiant d’inacceptable et soulignant les conséquences dévastatrices sur les victimes. Le Bloc a aussi voté en faveur de la loi C-75 qui favorise grandement la libération des criminels.

Alors, le Bloc québécois, complaisant ou intransigeant face au crime?

À propos de l’auteur

Marc Bellemare. avocat

Ancien Procureur général et ministre de la justice du Québec.

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