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Appel de Vincent Lacroix: le juge tranchera demain

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L'équipe Droit-inc

2013-03-10 13:49:00

C’est finalement demain à 11 H00 que Vincent Lacroix saura s'il est autorisé à contester en Cour supérieure du Québec le verdict de culpabilité prononcé contre lui le 28 janvier.

Le juge Réjean Paul a indiqué ce matin lundi qu'il allait trancher sur les huit motifs présentés par M. Lacroix et contrés par une requête de rejet d'appel de l'Autorité des marchés financiers.

L’ex PDG de Norbourg saura donc s'il a le droit d'interjeter appel sur sa culpabilité quant à 51 chefs d'accusation.

Déclaré coupable en décembre d'avoir violé la Loi sur les valeurs mobilières et condamné à 12 ans moins un jour de prison, le fondateur de Norbourg a vu cinq de ses huit motifs disparaître lors des
audiences tenues en février.

Le juge Paul lui avait dit à plusieurs reprises de ne pas perdre son temps à plaider sur des motifs tels que les méthodes de l'AMF pour obtenir sa preuve et le fait qu'une enquête administrative en 2004 s'est transformée en enquête pénale.

Lundi matin, les trois motifs restants ont été examinés: la demande rejetée d'un procès devant juge et jury, le refus d'une série de témoins lors du procès pénal et les questions posées par le juge Claude Leblond pendant l'étape de la plaidoirie sur la preuve.

Peu d’observateurs accordent de grandes chances de succès aux motifs invoqués par M. Lacroix. Mais le criminaliste Jean-Claude Hébert estime que les motifs d’appel de Vincent Lacroix demeurent valides.

Dans La Presse, Maître Hébert invoquait plusieurs arguments. Voici le contenu de sa lettre publiée la semaine dernière :

Par Jean-Claude Hébert

C'est entendu: Vincent Lacroix est un filou. Faut-il pour autant le lyncher judiciairement? Parfois, la puissance de juger expose à l'excès. Quand l'injustice frappe l'innocent, une société de droit se discrédite. Quand l'injustice menace un escroc avéré, elle se grandit en le traitant avec droiture. La justice ne doit pas devenir comptable des rancoeurs accumulées.

Floués par Lacroix, les malheureux investisseurs auraient sûrement apprécié recevoir de l'État une partie des millions de dollars investis dans deux longues enquêtes parallèles (celle de la police et celle de l'AMF), et deux séries d'accusations, règlementaires d'une part et criminelles d'autre part. Tout bien pesé, c'est chèrement payé pour coffrer un seul homme.

Récemment, la ministre des Finances du Québec, Monique Jérôme-Forget, affirmait le besoin de "se donner des lois qui ont des dents et qui sont applicables" contre les fraudeurs en matière de crimes économiques. Évoquant l'affaire Lacroix, la ministre déplorait "l'impossibilité actuelle pour un organisme réglementaire comme l'AMF de communiquer son dossier d'enquête à la GRC, pour l'outiller dans son enquête criminelle".

En compulsant le Code criminel, la ministre pourrait aisément trouver les dents qu'elle recherche. Quant à l'efficacité de l'enquête policière, il eut été préférable que l'AMF laisse les limiers de la police financière creuser le sillon.

Depuis longtemps déjà, la GRC a soumis son rapport d'enquête à la Couronne. L'élémentaire bon sens favorisait l'incrimination de Vincent Lacroix en vertu du Code criminel. Par opportunisme, l'AMF occupa le terrain. Depuis lors, cet organisme de régulation affiche fièrement son costume de gendarme de la délinquance financière.

Joli coup de relations publiques!
Bien sûr, les gens préfèrent les histoires simples aux finesses juridiques. La mésaventure de Vincent Lacroix est facile à comprendre: ce détestable fraudeur mérite son châtiment, soupire-t-on d'impatience. Dans son cas, les règles de procédure, y compris le droit d'appel, sont perçus comme des obstacles à une justice efficace. En quête d'avortement du processus d'appel - qualifié de frivole et dilatoire -, l'Autorité des marchés financiers adopte une posture prisée par bien des gens.

Saisi du dossier d'appel, le juge Réjean Paul a correctement raccourci la liste des griefs formulés par Vincent Lacroix - habile fripouille, mais piètre plaideur. D'importantes questions ressortent de cette opération de nettoyage.

La légalité de la peine
Pour atteindre la somme de 12 ans, le juge du procès a (dans un même dossier) additionné plusieurs termes d'emprisonnement moindres.
Pourtant, la loi prévoit qu'une "nouvelle peine d'emprisonnement" peut être imposée uniquement "lorsque le défendeur est déjà en détention".

N'étant pas détenu, Lacroix aurait dû échapper au cumul des peines. L'arrêt de la Cour suprême évoqué par le juge Leblond conclut à l'inexistence d'un "pouvoir général d'imposer des sentences consécutives" si, par ailleurs, la loi détermine la marche à suivre. En l'occurrence, le législateur s'est clairement exprimé sur le sujet.

Le juge Leblond s'est aventuré dans un sentier périlleux en imputant au législateur l'intention de dire autre chose que ce qu'il a clairement dit.
Beau débat en perspective! Ici, le grief de Lacroix est loin d'être frivole et dilatoire. La primauté du droit doit prévaloir sur des considérations d'opportunité. Les principes ne sont pas simplement des icônes destinées à une vénération formelle, mais des ingrédients actifs qui inspirent le mouvement de justice.

Le droit au jury
Tout accusé passible d'une peine de cinq ans ou plus (pour chaque infraction dont il est inculpé) peut bénéficier d'un procès avec jury. Pour contourner cette protection constitutionnelle, le législateur québécois a prévu que les infractions réglementaires en matière de valeurs mobilières sont passibles d'une peine de cinq ans moins un jour. Normal, dira-t-on: une infraction réglementaire n'emporte pas les mêmes conséquences qu'un crime pur et dur répertorié au Code criminel.

D'entrée de jeu, Lacroix a réclamé un procès devant jury. De façon prémonitoire, il anticipait la possibilité que les peines de prison rattachées à chacun des chefs d'accusation portés à son encontre puissent être additionnées les unes aux autres. Du coup, la barrière du cinq ans moins un jour s'estompait. Sa demande fut rejetée. Cette décision du juge Leblond laissait croire que, dans un même dossier, les peines ne pouvaient s'empiler d'un chef d'accusation à l'autre.

Le dernier acte posé par le magistrat de première instance fait voir un tout autre raisonnement. S'agissant de punir Lacroix, les peines sont devenues cumulatives. Comprenne qui pourra! Voilà sûrement une autre importante question de droit qui mérite d'être discutée en appel. On s'éloigne toujours plus du scénario d'un appel frivole et dilatoire.

Enfin, Lacroix aurait avantage à contester l'approche juridique du juge Leblond. En effet, l'analyse d'une incrimination permise par le Code criminel diffère sensiblement de celle qui encadre une infraction réglementaire.

Dans son jugement sur la peine, le juge Leblond a traité les délits de Lacroix comme s'il s'agissait de véritables fraudes au sens du Code criminel. Par contre, à propos des infractions reprochées au défendeur, il opina que le "caractère intentionnel inclut a fortiori, tout élément de négligence". Dans un contexte emprunté au droit criminel, cet énoncé surprend.

Cette fois, l'argument de l'AMF - à l'effet que l'appel de Lacroix serait frivole et dilatoire - s'effrite totalement. Un débat au fond est impératif.
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