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Paradise Papers : que peut faire le droit ?
Julien Vailles
2017-11-07 15:00:00
Quelles mesures devraient être adoptées pour limiter les scandales de nature fiscale? Vers qui doit-on se tourner? Des spécialistes nous répondent…
Cette nouvelle n’est pas sans rappeler celle des « Panama Papers », survenue l’an dernier. Alors que le cabinet panaméen Mossack Fonseca était alors en cause, les documents obtenus proviennent cette fois de la firme d’avocats Appleby, ainsi que de la société de services corporatifs Estera, selon plusieurs médias.
À l’ère où de telles révélations semblent monnaie courante, que peut faire le Canada pour limiter ces événements? « Son pouvoir est limité, croit Marie-Pierre Allard, professeure de droit fiscal à l’Université de Sherbrooke. Il faut rappeler que le plus souvent, les professionnels mettent tout en œuvre pour que les lois fiscales soient respectées », explique-t-elle.
En effet, les lois canadiennes ne servent pas à empêcher quelqu’un d’éluder l’impôt d’un autre pays. Et ce sera la même chose pour un autre État : les règles sont conçues pour limiter la fraude fiscale envers ce seul État.
Règles internationales insuffisantes
En fait, le principal enjeu semble être le fait que les règles fiscales internationales ne sont pas adaptées à la réalité d’aujourd’hui, croit la professeure Allard.
Un exemple classique : au sens du droit interne, dans certaines juridictions, comme les États-Unis, c’est le lieu de constitution qui importe pour déterminer si une société est résidente ou étrangère. Dans d’autres cas (souvent dans les juridictions européennes), c’est plutôt ce qu’on appelle le critère du « mind and management » qui déterminera la résidence; c’est-à-dire de savoir où sont prises les décisions importantes concernant les affaires de la société. Les conventions fiscales donnent souvent préséance au lieu de constitution. Une société pourrait donc se constituer en Europe et gérer ses affaires depuis les États-Unis, afin de ne « résider » dans aucun pays au sens du droit fiscal.
On songe aussi au commerce électronique : les modèles cadres de conventions fiscales de l’OCDE semblent archaïques face à cet enjeu, croit la professeure Marwah Rizqy, collègue de Mme Allard qui se spécialise en planification fiscale internationale. Membre du Barreau du Québec et du Barreau de New York, Mme Rizqy a fait son droit à l’Université de Sherbrooke.
« À l’origine, pour déterminer les implications fiscales, on avait décidé de tenir compte de la localisation physique des serveurs où étaient hébergés les sites Internet, explique-t-elle. Mais on sait aujourd’hui que ces serveurs peuvent facilement être délocalisés ».
Et si on tenait plutôt compte du lieu physique des marchandises entreposées avant l’expédition? « Cela ne résoudrait pas le problème. Aujourd’hui, beaucoup de ce qu’on achète sur Internet n’est pas tangible : les services, la musique, etc. », rappelle la professeure Rizqy.
Des pistes de solutions
Que faire dans les circonstances? Conclure davantage de conventions fiscales, peut-être, pour permettre un meilleur échange d’informations? « Ce n’est pas nécessairement suffisant. Certains États n’ont pas d’Agence du revenu sérieuse, rappelle Mme Rizqy. Dans ces circonstances, comment peut-on être certains que des informations fiables seront alors fournies? » questionne-t-elle.
En fait, il s’agit surtout de mettre à jour les conventions fiscales existantes – ainsi que les modèles de conventions fiscales proposés par l’OCDE, l’ONU et les États-Unis. La professeure met aussi l’accent sur une solution avancée par l’économiste Joseph Stiglitz : celle de carrément « mettre en quarantaine » les États problématiques.
Le Canada a également son rôle à jouer, à l’interne. Pour les dossiers qui sont déjà en Cour, il s’agira pour l’Agence du Revenu du Canada d’éviter les amnisties pour les contrevenants, croit Mme Rizqy.
Il faut aussi insister sur le lieu d’incorporation : pourquoi constituer une société dans un paradis fiscal notoire, si ce n’est pour des raisons fiscales, lorsqu’on n’y fait pas d’affaires? Peut-être, risque Mme Rizqy, pourrait-on inverser le fardeau de preuve à cet égard pour les entreprises, et ainsi exiger d’elles qu’elles fournissent une explication satisfaisante.
Il s’agira aussi de montrer clairement ses couleurs. Dans la convention multilatérale concernant le projet BEPS (pour Base Erosion and Profit Shifting), le Canada a pris des engagements minimaux, déplore Mme Allard. Une opinion partagée par sa collègue, qui dit être « restée sur sa faim » relativement à cet accord.
Et vous, qu’en pensez-vous?
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